C’est un petit livre qui propose de faire le point sur quelques questions de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale qui seraient mal connues ou controversées. Onze questions ont été choisies, traitées chacune en un court ou très court chapitre qui intègre un ou deux documents non commentés ; une bibliographie, une chronologie et un index complètent l’ouvrage.
L’entrée en guerre : esprit public et cinéma
En France, avant la guerre, l’antinazisme s’exprime peu : alors que la France était la démocratie la plus menacée par l’Allemagne nazie, ni ses artistes ni ses écrivains ne réagirent vraiment. Par contre l’anglophobie et l’antisémitisme sont bien visibles. Durant l’hiver 1939-1940, pendant la guerre de Finlande, la presse française stigmatise l’URSS plus qu’elle ne met en cause l’Allemagne. L’esprit de Vichy régnait avant Pétain tant est grande « l’imprégnation fasciste » d’une partie des milieux dirigeants, selon l’expression de Pierre Milza.
Le contraste est grand avec les Etats-Unis : les dirigeants américains sont beaucoup plus sévères vis-à-vis du nazisme que ne le sont les Français. On produit aux Etats-Unis plusieurs films antifascistes bien avant l’entrée en guerre. En URSS aussi les cinéastes ont préparé l’opinion à combattre le nazisme. En Allemagne nazie, jusqu’à la guerre, seuls sont vilipendés les ennemis de l’intérieur.
Pétain-Laval : mythe et réalité du double jeu
L’idée du double jeu qu’aurait mené Pétain naît avec le renvoi de Laval, le 13 décembre 1940. Pétain décida de se séparer de Laval parce qu’il le dessaisissait de la conduite des négociations avec l’Allemagne, « mais cela ne mettait guère en cause la politique de collaboration ». Pétain, Laval et Darlan furent les partisans d’une même politique de collaboration ; le seul opposant réel à cette politique fut le général Weygand.
Les communistes français et leur entrée en Résistance
En août 1939, la nouvelle du pacte germano-soviétique frappa de stupeur les communistes français, et les parlementaires communiste votèrent peu après et à l’unanimité une résolution de caractère nettement patriotique. Ce furent Raymond Guyot et Eugen Fried, à Bruxelles, qui mirent le PCF au courant de la nouvelle ligne adoptée par le Komintern, celle de la guerre impérialiste : la guerre est désormais celle des capitalistes et les Anglo-Français sont les agresseurs.
Le PCF applique dès lors cette ligne, qui le conduit à négocier auprès des autorités allemandes la reparution légale de L’Humanité et à envisager la légalisation du parti ; ligne qui est incompréhensible à bien des militants mais qui est suivie pour au moins deux raisons :
– L’obéissance inconditionnelle aux ordres du Komintern, règle de fonctionnement du Parti, qui est la SFIC (Section française de l’Internationale ouvrière).
– L’identification de la situation de la France vaincue avec celle de la Russie en 1917-1918 : dans la vacance du pouvoir, consécutive à l’effondrement, les communistes peuvent se frayer une voie et se saisir du pouvoir, comme Lénine le préconisait en 1917.
« Après l’invasion de l’URSS, en juin 1941, la participation massive des communistes à la Résistance est une réalité avérée ; mais pour faire oublier ou cacher l’attitude antérieure, le parti commémora avec éclat les fusillés de Châteaubriant, exécutés en octobre 1941, qui avaient été arrêtés tel Guy Môcquet et Jean-Pierre Timbaud en octobre 1940, c’est-à-dire à une époque où ils militaient pour reconstituer le parti (…) et où une branche du parti négociait avec les Allemands. »
Les origines de Pearl Harbor
Le plan d’attaque japonais sur Pearl Harbor datait de plus d’un an, et l’idée d’une guerre contre les Etats-Unis de près de 20 ans. A Washington, au pire, on prévoyait une attaque japonaise sur les Philippines. Depuis 1942, Roosevelt a été à plusieurs reprises soupçonné d’avoir offert aux Japonais un Pearl-Harbor désarmé, pour qu’ils se jettent sur cette proie et donnent ainsi aux Etats-Unis la possibilité d’entrer en guerre.
En réalité, ce sont les dysfonctionnements de la défense américaine qui expliquent l’impuissance des défenseurs et « l’arrogance des chefs militaires qui ont désarmé cette base en croyant que les Japonais n’oseraient s’en prendre à une terre américaine ». Les dirigeants américains sous-estimaient complètement la violence des griefs japonais contre leur pays. « En le menaçant de le priver de pétrole ou de métaux ferreux, s’ils ne quittaient pas la Chine, voire l’Indochine, ils ne voulaient pas voir qu’ils s’opposaient au programme d’une Grande Asie japonaise, projet central du Mikado et de ses serviteurs ».
Roosevelt est bien plus préoccupé par le danger nazi que par la menace japonaise.
Quand s’est produit le tournant de la guerre ?
Depuis les travaux d’Henri Michel, il est admis que le tournant de la guerre se situe à la fin de 1942 et au début de 1943 : Guadalcanal, El Alamein, Stalingrad en sont les moments essentiels. « Aujourd’hui, avec le recul de l’histoire, on observe que ces trois succès alliés constituent autant un aboutissement qu’un nouveau départ. » Le tournant de la guerre se situerait plutôt à la fin de 1941 et au début de 1942, comme le comprit le général de Gaulle, déclarant à l’un de ses interlocuteurs médusé, en décembre 1941 : « La guerre est finie, elle se termine même plus tôt que je ne le pensais ».
La bataille de Moscou fut essentielle. On sait aujourd’hui que, de décembre 1941 à février 1942, les Allemands ont perdu plus de 300 000 hommes, et que 600 000 soldats, blessés, les membres gelés, ont été mis hors de combat, soit 20% des effectifs. Dès le 16 janvier 1942, Goebbels a le pressentiment que la guerre peut être perdue.
Le Blitzkrieg a échoué, il faut que l’Allemagne reconstruise l’économie du continent sur des bases nouvelles. Le régime nazi resserre les liens avec les organisations fascistes et collaborationnistes et entreprend l’extermination des Juifs.
Le dilemme des peuples colonisés
Du Maghreb à l’Inde, les peuples colonisés poursuivent un même but : conquérir leur indépendance. Celle-ci a-t-elle plus à gagner d’une victoire de l’Axe ou de celle des Alliés, qui sont leurs colonisateurs ?
Bourguiba, le Sultan du Maroc et Ferhat Abbas comptent sur l’influence et le poids des Américains pour ultérieurement l’indépendance de leur pays.
La sympathie des Arabes envers l’Allemagne était ancienne et elle s’est renforcée puisque Hitler combattait non seulement les colonialistes mais aussi les Juifs et les communistes athées, ennemis de l’Islam. Le grand mufti de Jérusalem rencontra Hitler et offrit de constituer une légion arabe pour réaliser la grande Arabie.
Ho Chi Minh comptait sur les Américains et ne tenait pas à tomber sous la dépendance nippone. Les Japonais en effet libérèrent les nationalistes indonésiens incarcérés par les Hollandais, dont Soekarno, mais nipponisèrent la population. Soekarno, comme Ho Chi Minh, attendit la capitulation japonaise pour proclamer l’indépendance. Nehru et Gandhi se rallièrent à l’idée d’une négociation avec les Anglais, sans trop y croire. A l’opposé, Chandra Bose préconisait une alliance avec les Japonais et forma à Singapour, avec des prisonniers de guerre, plusieurs divisions indiennes pour libérer son pays.
Les autres mises au point sont les suivantes : « La rupture du Pacte germano-soviétique », « Typologie de la collaboration », « Les enjeux de la Résistance », « L’extermination des Juifs : qui savait –et quoi ? », « Fascisme, nazisme et totalitarisme».
Le contenu des chapitres est parfois décevant car il ne répond pas toujours à la question posée par le titre ou par l’introduction. Ainsi le premier chapitre s’ouvre sur la question « Comment les opinions publiques des futures belligérants sont-elles entrées en guerre ? », mais le contenu du chapitre est largement consacré au cinéma des années de guerre et au contenu de la propagande. Le chapitre sur les « enjeux de la Résistance » est d’une grande banalité. Celui sur l’extermination des Juifs : « Qui savait- et quoi ? » n’est pas centré sur la seule réponse à cette question. La « typologie de la collaboration » est une suite d’une dizaine de paragraphes consacré chacun à la collaboration dans un Etat de l’Europe occupée, davantage qu’à une véritable typologie. Les quelques pages censées faire le point sur les notions de « fascisme, nazisme et totalitarisme » sont très décevantes.
Chaque question fait l’objet d’une courte bibliographie ; mais on aurait aimé qu’elle distingue les quelques ouvrages essentiels au lieu de nous offrir une liste classée par ordre alphabétique.
Un petit livre qui n’est sans doute pas inutile mais qui ne fera pas date dans l’œuvre de Marc Ferro.
© Joël Drogland