Avec ce que l’on a écrit dans la précédente présentation d’un ouvrage consacré à la tauromachie,  à savoir qu’il est indispensable peut-être que ceux qui jugeraient incompatible les deux passions partiront. Ça libérera des postes ! pour un historien, d’être ou de devenir un aficionado, il apparaît tout à fait utile de proposer aux futurs nouveaux impétrants dans la planète des taureaux, les guides qui leur permettront de décrypter les us et coutumes de tout pratiquant des ferias qui se respecte.

Les auteurs de ce « petit nécessaire de toilette à l’usage de ceux qui s’astiquent avant la corrida » n’ont pas d’autre prétention que de nous faire sourire et même à certains moments franchement rire. Ce livre est illustré par un fin connaisseur de la tauromachie, Eddie Pons, et les notices sont rédigées par Jacques Durand dont les amateurs connaissent, et apprécient, les chroniques taurines dans le quotidien Libération. Au passage, il faut également évoquer tout l’intérêt que peuvent représenter les chroniques de Francis Marmande dans le Monde.

Ce livre se présente comme un abécédaire humoristique qui va très au-delà de la simple plaisanterie. Certaines définitions sont véritablement au vitriol et rappellent à quel point la tauromachie est d’abord et avant tout affaire de passion. Voici un exemple; Aficionado : «il y a deux types d’aficionado. Les bons et les mauvais. Le bon aficionado est celui qui est d’accord avec moi, le mauvais et celui qui ne remet jamais sa tournée.» On pourrait réutiliser cette définition dans un débat entre professeurs d’histoire pinaillant à n’en plus finir avant de ne pas se mettre d’accord sur un texte visant à défendre leur discipline menacée.
Il est vrai qu’il y a une certaine similitude de sombre destin entre la tauromachie et l’enseignement de l’histoire et la géographie, disciplines menacées toutes les deux par des groupes d’influences qui souhaitent la normalisation à partir d’un politiquement correct qui apparaît comme tout à fait insupportable. Le culte du compassionnel en histoire tel qu’il a été dénoncé dernièrement par Annette Wieviorka rejoint celui de cette sensiblerie à l’égard des animaux, et l’on serait tenté de mettre dans le même sac les dénonciateurs du halal sacrificiel et les quelques exaltés qui viennent devant les arènes, au moment des ferias, causer des aigreurs d’estomac aux aficionados qui les regardent le plus souvent avec indifférence. Sauf moi mais je suis connu pour mon mauvais caractère
Il est d’ailleurs curieux de noter que cette préoccupation compassionnelle se décline le plus souvent au passé, ce qui peut permettre de se dispenser de tout intérêt pour les souffrances du présent. Et de la même façon, cette volonté de défendre la cause animale, traduit à notre sens une indifférence à l’homme qui va au-delà des différences de civilisation et de culture.

Pour en revenir à cet abécédaire, prenant la lettre J, pour jargon. Indispensable si on ne veut pas passer pour un crétin dans un cercle de tauromaches. Son usage est simple, il suffit de glisser dans la conversation quatre ou cinq expressions stratégiques. Exemple : « oui mais il a rendu le taureau gazapon ». Cette expression n’a rien à voir avec la bande de Gaza, mais désigne un taureau qui n’a pas été dominé et qui avance à petit pas et donc ne transmet plus véritablement d’émotion. Il est vrai que ce terme est plutôt intraduisible, mais justement, cela permet à l’aficionado qui n’est pas hispanophone d’apparaître comme un connaisseur particulièrement éclairé.

Toujours à la lettre J, on trouve également la définition de journaliste, et bien évidemment de journaliste taurin. On appréciera cette caractérisation, celui qui, après la corrida, est chargé de faire semblant d’avoir comprise. Mais comme on le voit dans le dessin d’Eddie Pons, le journaliste taurin doit s’adresser à des milliers de personnes dont aucune n’a vu la même chose !

Enfin la définition de « passe », qui littéralement signifie que le taureau passe, ou plutôt qu’on le contraint à passer, guidé par un leurre, cape ou muleta, près du torero. Les auteurs s’amusent en rappelant la connotation sexuelle de la corrida, puisque les toreros «ils font des passes». On lira un petit peu plus loin en parlant de la passe de poitrine, il ne faudra pas la confondre avec la cravate de notaire ou la caresse espagnole.

Nous terminerons par cette très jolie définition des encornets farcis, que les amateurs apprécieront, « le dimanche les chirurgiens des arènes se farcissent les encornés. Ils se font un sang d’encre. »

Avec les deux dernières critiques et quelques autres qui se trouvent sur ce site à propos d’ouvrages consacrés à la tauromachie, le lecteur de la Cliotheque pourra partir en direction des arènes espagnoles et françaises, muni des connaissances indispensables. Il y a des chances qu’il y croise l’auteur de ces lignes.

Bruno Modica