Pologne, chronique d’un retour oublié, 1947-1990 Alain Wisniewski

Ce film raconte l’histoire, largement méconnue, de ces immigrants polonais arrivés en France dans les années vingt et trente, qui sont repartis après la seconde guerre mondiale, pour reconstruire leur pays ravagé. 80000 d’entre eux ont fait ce voyage, animés par l’idéalisme et l’espoir d’un avenir meilleur. Josef et Jurek, deux des cinq enfants de la famille du réalisateur ont fait ce voyage.
Edward, fils de Josef, est plutôt fidèle à l’engagement de son père, tandis que Monika, la fille de Jurek militante de Solidarnosc est restée plus critique.

La Pologne communiste qui entretient une illusion de prospérité n’est pas présentée comme une impitoyable dictature jusqu’en 1953. Au contraire, les témoins évoquent plutôt la vie collective dans ces grands immeubles collectifs. Les campagnes où les étudiants allaient faire les récoltes apparaissent comme riantes, accueillantes. Et les immeubles collectifs, de sinistres bâtisses, vivent au rythme des éclats de rire et des chants des enfants. Au delà de la propagande stalinienne, il convient de savoir comment se sont installées les démocraties populaires. Certes les dirigeants du Parti Ouvrier polonais, le Parti communiste, sont arrivés en 1944 dans les fourgons de l’Armée rouge, mais les polonais venaient de subir, depuis 1921, un régime militaire et paternaliste, celui de Pilzudski et du colonel Beck, avant que les Nazis, avec la complicité de l’URSS, ne rayent la Pologne de la carte en septembre 1939.

Certes les élections de 1946 avaient été honteusement truquées, mais les Polonais de France espéraient plutôt une renaissance de leur nation, à la lumière de cet espoir qui s’était levé à l’Est, à Stalingrad. On ne parlait pas alors de Katyn et de ce massacre systématique des élites polonaises, que l’appareil de propagande stalinien et soviétique ensuite a imputé aux nazis pendant presque un demi siècle.

Les émeutes de 1956, de 1970, les grèves de 1980 dans les chantiers navals de Gdansk sont montrés à partir des souvenirs des enfants de Joseph et de Kurek. Ces communistes convaincus vivent plutôt mal l’effondrement de leur idéal, celui pour lequel ils avaient quitté la douceur de vivre à la française. «Le pain de Pologne est amer, mais c’est notre pain…» disaient-ils, avant de voir en 1956, des banderoles réclamant ce même pain lors de ces premières émeutes de Posznan.
La place de l’Église catholique est également relativisée dans cette histoire. Tous les polonais ne mettaient pas le catholicisme et Jean Paul II au centre de leur univers mental. Et sur les tombes de Josef et Jurek on ne voit pas de croix.
Sur la stèle de la tombe de la femme de Jurek : «un jour, je renaîtrai pour de nouveaux combats.» Comment imaginer les réactions de ces hommes qui voyaient leurs idéaux s’effondrer ? Quels combats restent à mener dans cette Pologne encore une fois frappée au cœur dans cette forêt de Katyn lors d’un accident aérien tragique ?

Le DVD est clairement destiné à la classe mais il peut aller au delà. En effet, les souvenirs des deux filles de Jurek sont intéressants et rappellent une vie douce amère, loin de l’épopée des combats de Solidarité. Et ce n’est pas tâche facile que de filmer dans la nuance. Les polonais de cette période étaient finalement partagés. Entre l’attachement à leur nation, constituée dans les turbulences de l’histoire et la Russie identifiée au communisme, les polonais se sont ainsi partagés. Les deux sœurs se sont séparées par le départ de Daniela à l’ouest en 1969. Elles se retrouvent la quarantaine passée. Avec une certaine amertume sans doute. Comme son père qui a sans doute rendu sa carte du Parti unifié polonais, Monika a rendu sa carte de Solidarnosc. Ici aussi, la déception montre son visage.
Ses deux fils de Monika qui n’ont pas connu cette période semblent avoir compris comment le passé communiste est aujourd’hui instrumentalisé
dans le discours politique. L’histoire enseignée de la Pologne en classe se termine en 1945 dans les manuels locaux. Écrire l’histoire de la Pologne semble bien difficile et il y à y faire simultanément travail de mémoire et d’histoire.
Sur les 80000 polonais qui sont venus de France, certains sont repartis. La plupart sont restés, fidèles malgré tout à ce qu’ils sentaient bien être une trahison de leurs espoirs.

Ce DVD est accompagné d’un livret parfaitement adapté aux travaux en classe dans la perspective du baccalauréat général. Un exercice à partir d’une carte la Pologne permettra de remettre en situation dans le temps et l’espace cette histoire familiale. Les mineurs du Pas de Calais étaient revenus en Silésie pour reconstruire cette Pologne ravagée par la guerre. Les Polonais de France venaient alors occuper les maisons des allemands déplacés après la guerre. Trop rapidement évoqué dans la plupart des manuels, ce problème qui a touché 14 millions d’Européens est ainsi rappelé, ce qui n’est jamais inutile.

Bruno Modica