Présentation
Dans la collection « Histoire des Sciences Humaines », dirigée par Claude Blanckaert, les Editions de l’Harmattan nous proposent, sous la plume de Nicole Hulin, l’enseignement des sciences, les politiques de l’éducation en France au début du XXe siècle. Préfacé par Dominique Julia, l’auteur de cet ouvrage de 267 pages est agrégé de Physique, Maître de conférences honoraire à l’Université de Paris VI et chercheur au centre Alexandre Koyré. Spécialisée de l’enseignement scientifique, elle a déjà rédigé, Les femmes, l’enseignement et les Sciences. Un long cheminement (XIXe- XXe siècle), Paris, L’Harmattan, 2008. Nicole Hulin est aussi titulaire d’un doctorat et d’une habilitation de l’École des hautes études en sciences sociales.
Résumé
A la lecture de ce livre, une première impression jaillit, peut-être souhaitée par l’auteur, celle de retrouver, un siècle après, les mêmes interrogations, les mêmes « lobbys », les mêmes tiraillements, sur l’enseignement en France. Le livre fait la part belle aux sciences, en fait plus précisément aux sciences physiques et aux sciences naturelles. On les voit émerger, acquérir des titres de noblesse puis reculer puis revenir encore en grâce. On y distingue aussi tout le poids des autres matières, leurs influences certaines, les rapports, les commissions, les chargés de mission, les associations. Bref tout le petit monde de l’éducation qui se déchire à coup de justifications pédagogiques.
L’auteur de ce livre nous donne ici une vision assez précise de l’histoire de l’enseignement des sciences au début du XXème siècle. Un rapide descriptif de l’enseignement du XIXe siècle est d’emblée abordé, il permet de faire un point complet avant d’attaquer le sujet principal. On y voit poindre une réelle volonté de modifier l’enseignement dit « classique » au profit d’un enseignement scientifique et des lettres modernes dans lesquelles on englobe les langues. Le latin et le grec sont bien établis mais l’industrie et le commerce réclament des jeunes gens mieux formés en sciences. Le baccalauréat ès sciences existe déjà mais cette mention est souvent dénigrée. Cela permet d’observer qu’en cette fin de XIXème siècle, il existe un mouvement fort visant à combattre l’aplatissement des consciences et l’inertie du système. Dès 1890, une importante demande d’ « école unique » se fait sentir et on voit déjà se distinguer les lignes de la grande réforme du début du XXème siècle.
En effet, il faut attendre 1902, pour découvrir la première réforme majeure de l’enseignement. On y parle alors d’école unique. Cela consiste en la création de filières A, B, C, D. Dans la filière A, c’est le latin et le grec qui prédominent. La filière B propose du latin mais fait la part belle aux langues vivantes. En C et D, les sciences sont importantes, latin ou langues vivantes permettent juste de distinguer ces 2 orientations. Il est à remarquer que ce sont des voies très distinctes qui sont à la disposition des élèves. Les effets néfastes ne tardent pas à se faire sentir. En C, on offre un plus grand nombre de débouchés. En B, on distingue clairement un « refuge d’élèves notoirement insuffisants ». Les élèves de A éprouvent les pires difficultés pour se réorienter en sciences. Des aménagements sont rapidement envisagés. Une filière E est même proposée, faisant la part belle aux sciences naturelles. L’aspect historique et politique est important. Dès 1902 des voix s’élèvent pour dénoncer « la crise du Français » et on réclame déjà plus de temps pour les études de la langue du pays. La guerre de 1914 vient aggraver ce constat. La notion de patriotisme est proéminente et se ressent dans les modifications entreprises.
En 1923, c’est la réforme BERARD qui se prépare, basée sur « l’égalité scientifique ». A travers ce terme, on distingue la fin des filières très spécialisées. Ainsi les élèves se voient proposer un maximum d’enseignements communs. Ce n’est que par la suite que les jeunes gens choisiront leur orientation. Ainsi, un élève qui se destine à carrière littéraire recevra aussi des cours scientifiques. 2 ans après, le système montre encore ses limites. L’association de professeurs de mathématiques parle ici d’ « égalité dans la médiocrité et de quasi-nullité ».
En 1925, c’est la « contre réforme » ! On parle déjà, de multiplicité de réformes. L’idée est ici d’effectuer « l’amalgame ». C’est le retour de filières mais avec un aménagement primordial qui consiste à fournir des cours communs aux élèves. On parle donc d’amalgame entre les orientations. Les élèves suivront ensuite des cours approfondis dans telle ou telle matière. On demande aux professeurs de mathématiques et de sciences physiques de communiquer, on exige une vulgarisation du langage des sciences naturelles et on mise aussi sur l’enseignement expérimental. On passe ainsi à 1h30 de manipulations en sciences physiques. On recommande de poser des problèmes aux enfants qu’ils résoudront par l’expérimentation.
On parle même, en 1931, d’une « commission du surmenage », qui recommande aux enseignants de ne point trop donner de travail à la maison. On demande des aménagements des rythmes scolaires, une baisse de l’horaire hebdomadaire, et les matières enseignées recommencent alors leur ballet des justifications, de la nécessité de tel ou tel cours, du volume horaire etc.…
Le point sur le livre
A l’heure où, en tant que parent, enseignant, membre d’association ou simple citoyen soucieux de l’avenir de la jeunesse de son pays, on est amené à se positionner sur les réformes en cours au lycée, une lecture assidue de cet ouvrage est recommandée. De même, le passionné en quête de documents précis sera ravi d’y trouver un riche étayage. Saluons ici le travail minutieux de l’auteur, preuve de sérieux, qui justifie bien d’intégrer la collection de l’Harmattan.
On peut juste regretter le manque de lisibilité de l’ensemble qui peut parfois se perdre dans les méandres de la sur-documentation et des allers retours entre les différentes réformes qui peuvent noyer le lecteur. Peut-être qu’une approche plus chronologique aurait été préférable. De même, le contexte politique, cependant abordé, aurait mérité d’être davantage étoffé. On le sait tous, la grande aventure de l’histoire de l’éducation et encore plus celle des sciences est intimement liée aux choix démocratiques de notre nation, et des hommes qui les portent. Le féru d’Histoire restera ainsi, un peu sur sa faim.
Gageons que le livre ne saurait se résumer à ces quelques remarques et qu’il mérite largement d’être découvert. Les enseignants de sciences physiques, à qui on demande désormais des approches pédagogiques innovantes et qui voient leur volume horaire sans cesse grignoté ne devraient pas hésiter à ce plonger dans ce document réellement Historique qui permet une plus large ouverture d’esprit. Il est la parfaite illustration que c’est dans les lectures anciennes que se prédit souvent l’avenir.
Cédric Garcia