Un film en deux parties de Marek Halter (1994), coproduit par Kurtz Production, Sara Films, Vega Film, France 2 Cinéma, la Télévision suisse romande, le Centre européen cinématographique Rhône-Alpes et Palmyre Productions.
2 x 1 h
France 5 TNT : samedi 18 juin, 21 h 55
L’EMISSION

Tzedek n’est pas, à proprement parler, un documentaire historique. On n’y trouvera pas de documents d’archives ni de rappel des événements qui ont ponctué la seconde guerre mondiale et la Shoah. Ce premier film d’un homme de lettres est en somme une accumulation d’histoires glanées à travers toute l’Europe. Les uns, comme cette Polonaise, ont fait partie d’un groupe de résistants qui a permis d’« exfiltrer » environ deux mille cinq cents enfants du ghetto de Varsovie. D’autres, comme cette Parisienne, ont recueilli des enfants de voisins arrêtés par la police. Pour Marek Halter, peu importe le nombre, c’est le geste qui compte.
Le film nous emmène tout d’abord à Sarajevo. Là, on rencontre une vieille musulmane qui nous raconte comment elle a protégé des compatriotes juifs. Cinquante ans plus tard, ses petits-enfants ont trouvé refuge au sein même de cette famille d’amis juifs établie en Israël après-guerre. La solidarité commence sur son palier. Cet acte simple prend une autre ampleur lorsqu’on en vient à s’engager dans des réseaux. Halter nous en évoque plusieurs. Au Danemark, la majorité des juifs, mais aussi des résistants et des parachutistes anglais, ont fui à bord de bateaux de pêche, à raison de deux à vingt personnes par jour et par bateau ! « Il fallait mille personnes pour sauver un juif. Il suffisait d’une personne pour dénoncer mille juifs », explique Marek Halter. Alors pourquoi des gens ont choisi le bien contre le mal ou l’indifférence ? Cette question revient, lancinante, tout au long du film.
« Quand on pense aux autres, on n’a pas peur », affirme ce docteur d’un village français. Tout le film renvoie chacun à ce questionnement. Et moi, qu’aurais-je fait ? se demande-t-on, d’autant que Marek Halter interroge tous ses interlocuteurs afin de comprendre ce qui est pour lui inexplicable : pourquoi n’y eut-il pas davantage de Justes ? Ainsi, des concepts tels que la solidarité, l’amour, le courage sont-ils questionnés. Interrogation salutaire entre toutes.

L’ENTRETIEN

« Téléscope » avait rencontré Marek Halter à l’occasion de la première diffusion de son film en 1996.

Téléscope : D’où vous est venue l’idée d’un tel film ?
Marek Halter : Un jour, j’étais invité par le lycée Henri IV pour m’entretenir avec des élèves. À un moment donné, l’un d’eux me demande une définition du mot « ghetto ». J’ai commencé à expliquer… Je me suis rendu compte que l’histoire du ghetto de Varsovie, dont je parlais en tant que témoin direct, ne les intéressait pas. Ils me croyaient, mais ce n’était pas leur problème. Cela a été un choc pour moi. Nous sommes de mauvais éducateurs. En tant qu’individu qui pense et qui a vécu dans sa chair la douleur de l’intolérance, j’ai cherché à transmettre quelque chose de vivant. Pour maintenir la mémoire vive, il faut que les générations suivantes puissent s’identifier à des personnages. Ils sont de quatre types : les bourreaux, les victimes, les collaborateurs et les résistants. S’identifier aux trois premières catégories : non, bien sûr. Quant à être résistant, cela n’est pas donné à chacun. Il fallait très vite que j’introduise une cinquième catégorie, un modèle accessible à tous, celui des gens simples, sachant maintenir leur humanité. Ceux que j’ai rencontrés ne réclament rien, ils ne sont pas médaillés, ce ne sont pas des héros. Ils ont fait cela « parce que ». C’est une réponse extraordinaire.

À votre avis, quelles ont été les motivations de ces Justes ?
Il y a pour moi trois catégories parmi les Justes. Les croyants, ceux qui prennent les Écritures au pied de la lettre. Des persécutés ont frappé à leur porte et ils ont ouvert. Il y a ensuite les résistants qui se sont opposés au pouvoir inique d’Hitler. Il aurait décidé de s’attaquer aux rouquins, ils auraient fait pareil. Enfin, les plus émouvants, ceux qui ne savent pas pourquoi. Ils ont intériorisé la Loi : tu ne tueras point. Ils n’ont pas eu le temps de réfléchir, forts d’une pulsion de vie. Ces gens existent partout, cela donne de l’espoir.

Combien de temps a pris la réalisation du film ?
Deux ans, entre la recherche des témoins et la sortie. Les survivants de la Shoah nous ont donné des adresses, nous avons retrouvé deux centaines de ces Justes, des gens admirables. À trois, nous sommes d’abord allés à leur rencontre, avec une caméra vidéo 8. L’écriture du scénario s’est faite comme celle d’un vrai film à suspense. Ensuite, nous sommes repartis avec une vraie équipe de cinéma. Le montage a été difficile car il fallait maintenir le suspense, l’émotion. Nous avons dû couper beaucoup de témoignages, certains parce qu’ils étaient moins photogéniques, d’autres moins expressifs. On les retrouve dans le livre [La Force du bien, NDLR].

Le film se situe du point de vue de la morale plus que de l’Histoire. Pourquoi ?
C’est à ma connaissance le premier film sur le bien. Au nom de quoi juge-t-on l’Histoire ? Pas seulement en fonction des lois que l’on a transgressées mais parce que l’on a une idée de l’humanité. Des documentaires historiques, il y en a beaucoup d’excellents. Je me suis placé à la limite du documentaire et de la fiction, sauf que les personnages sont vrais. Un pas de plus, c’est Spielberg et sa Liste de Schindler. J’ai commencé avant lui et il a terminé avant moi. Il a eu plus de moyens…

Dans votre film, il n’y a pas un mot sur Schindler et Wallenberg n’est cité qu’au détour d’une phrase…
Schindler fut un homme extraordinaire, mais je ne le considère pas comme un Juste. C’est un personnage de western. Un salopard exploite un village mais, prenant pitié, il se retourne contre les méchants et devient shérif.

Mais êtes-vous sûr que tous les Justes que vous avez rencontrés n’ont pas suivi la même évolution ?
Oui, car tous les interviewés ont fait l’objet d’une enquête de notre part. Aucun n’a collaboré avec les nazis.

Et vous, qu’auriez-vous fait ?
Moi, j’aurais eu peur.

Comment a été reçu votre film à l’étranger ?
La télévision polonaise l’a diffusé. Cela a provoqué des remous : pour la première fois, on parlait des Polonais de l’époque comme de gens généreux.

Les séquences tournées à Treblinka font penser à celles que l’on voit dans « Shoah », même si elles ne disent pas tout à fait la même chose…
Quand nous sommes arrivés à Treblinka, dans la neige et le froid, il y avait un groupe de paysans. Je dis à mon équipe : sont-ils vraiment tous antisémites ? Je me suis approché de l’un d’eux : avez-vous fait quelque chose pour des juifs ? La réponse est dans le film, il s’est presque mis en colère en m’expliquant que son père et son frère étaient morts pour cette raison. L’humanité n’est pas un bloc. En vérité, quand nous allons chercher des éléments pour un livre ou pour un film, nous cherchons à prouver nos théories. Il n’existe pas de documents objectifs à 100 %.
Pour en savoir plus
HALTER Marek, La Force du bien, Pocket, 1999.

Michel Doussot (Téléscope, n° 144, 30 novembre 1996) Télédoc CNDP