Comment faciliter l’apprentissage des notions ? La question se pose depuis le XVIe siècle et n’est pas lié au siècle de l’informatique et des TICE. Cet ouvrage fait le bilan des réponses apportées par de nombreux pédagogues pendant quatre siècles sur l’utilisation de l’image et de l’illustration pédagogique.

Cet ouvrage est né d’une exposition « Voir/savoir » au Musée national de l’Education et de la bibliothèque de l’ENS de Lyon, en décembre 2007 sous la direction de Annie Renonciat et à un symposium international réuni à Rouen en juillet 2009. Il rassemble des outils et des usages de l’image au sein de systèmes et de pratiques de transmission à l’enfance de connaissances, croyances, valeurs, normes et modèles de comportement. C’est une enquête historique qui vise à faire connaître les pionniers et les protagonistes de la pédagogie par l’image (p 7). C’est également une enquête patrimoniale, révélant les sources et les supports de la pratique de l’enseignement visuel sur une longue durée. Et c’est bien dans le sens de patrimoine de l’Education Nationale qu’il faut comprendre la totalité des objets, ouvrages, éditions, cartes, « jeux » à destination de la pédagogie.

L’ouvrage est classé chronologiquement en insistant sur une étude argumentée du « pouvoir des images » qui établit un usage traditionnel princier et aristocratique, historique et religieux de la pédagogie par l’image, avant de toucher au XVIIe siècle l’instruction populaire. Sont abordés ensuite les usages de l’instruction à la période des Lumières avec un importance croissante de l’enfant comme destinataire de l’image, ce qui diffuse un système d’apprentissage. Puis la pédagogie par l’image se répand au XIXs siècle dans tous les domaines de connaissance et pour tous les savoirs, terminant par une mise en perspective du matériel scolaire, des bandes dessinées, des imagiers, et tout ce qui constitue la littérature enfantine utilisant l’image au XIXs siècle.

L’ouvrage se termine par des articles, appelés morceaux choisis, autant d’articles développant un thème particulier : la pédagogique jésuite, les exempla illustrés dans la pédagogie pour les filles de Saint Cyr, la mise en scène de l’histoire élémentaire de la France où les livres autant de petits musées portatifs (utilisation de la célèbre toile de Mauraize comme forme iconologique de toutes images sur Valmy), la diffusion de savoirs scientifiques favorisée par l’illustration des phénomènes, tout comme peut l’être la civilité avec les très beaux dessins de l’illustrateur Monvel (1887).

« Ce que l’on entend frappe moins que ce qu’on voit par les yeux » Horace

La perception de l’utilisation des images évolue avec le temps passant de l’affirmation d’Horace souvent depuis admise comme une évidence: l’image frappe par son immédiateté, l’esprit et l’imagination à l’opposé du discours qui réclame attention et mémoire. En cela, elle est efficace. L’image devient donc, à la Renaissance, une source d’informations qui réjouit l’œil mais qui n’est encore que le complément secondaire d’un texte. Deux postures se développent au XVIe siècle, celle qui fait de l’image le substitut d’un objet absent, objet essentiel de la connaissance ou la seconde posture qui fait de l’image, la connaissance en elle-même. Ces deux démarches confortent encore l’opposition des démarches pédagogiques actuelles. Elles découlent d’Aristote et de sa perception de l’origine sensible des idées, opposée au mythe de la caverne de Platon.

Pendant la contre Réforme catholique, l’image est utilisée comme un support silencieux de lecture, à disposition du plus grand nombre d’analphabètes. L’image devient le succédané de l’Ecriture pour des âmes simples (p 13). Pour les enfants, l’image permet de fixer une attention volage, peut inscrire les premières pierres de la connaissance dans un jeune cerveau vierge, mais elle est un système insuffisant d’étude car elle peut être trompeuse. L’image est agréable, elle est séductrice. De là, découle l’idée, que l’on ne peut s’instruire à un niveau correct uniquement par des images. Il faut passer une étape supplémentaire pour accéder à la pensée abstraite, sinon on reste dominé par les sens. L’image s’adapte par conséquent parfaitement à la petite enfance mais ne suffit pas à l’éducation.

« Si l’usage de faire coller des cartes de géographie sur les murailles d’une classe venait à s’introduire, on en tirerait de merveilleux avantages » Claude Buffier (1715)

Elle s’adapte parfaitement à de nombreuses connaissances : la religion tant catholique que protestante, l’alphabet, les langues dans laquelle l’image est perçue comme un langage universel, mais également la civilité et les rudiments de l’histoire de France notamment dans l’éducation princière et des Collèges Jésuites, et bientôt la géographie. L’image n’est donc plus seulement un auxiliaire de l’enseignement mais avec les Lumières, elle devient un élément-clé de la vulgarisation des connaissances comme en témoigne les sommes scientifiques de l’époque ou les méthodes de lecture de l’abbé Berthaud et de Louis Dumas. Avec la Révolution, l’enseignement de la morale religieuse cède le pas devant la morale civique en proposant à la jeunesse de nouveaux modèles d’identification.

Les progrès techniques du XIXe siècle accroissent encore l’usage des images à destination des classes populaires : la lanterne magique, le lithographie, les vignettes introduites dans le texte révolutionnent l’entreprise de vulgarisation des connaissances. Mais la pédagogie scolaire apparaît alors singulièrement réticente, lui reprochant la futilité qui écarte l’élève du savoir véritable, le dispensant d’apprendre dans l’effort. Cependant l’image gagne petit à petit les salles d’asile à destination des tout petits avant de s’insérer dans l’enseignement primaire français, par l’intermédiaire des exemples pédagogiques des pays étrangers présentés lors des Expositions Universelles. Toutefois, l’enseignement par les yeux est plus favorable à certains savoirs : l’apprentissage du langage, les leçons de choses, la morale familière qui se prêtent à des image séquentielles. Il permet des exercices de mise en situation, d’acquisition de vocabulaire et d’énonciation.

La révision par l’image selon Lavisse (1894)

L’histoire s’enseigne dans une construction symbolique fondée sur la continuité des âges, des règnes, mis à mal par la Révolution et surtout la succession des régimes politiques du XIXe siècle. Ce chantier iconographique (p 90) est d’abord à l’initiative de Louis Philippe mettant en place une imagerie nationale, des petits héros pour l’identification et des grands personnages participant aux gloires de la France, quelques dizaines d’années avant que l’école ne reprenne à son compte ce qui deviendra la vulgate scolaire. Cette mise en scène historique est partiale, conjoncturelle mais certains en 2012, n’en sont pas encore sortis. Cet enseignement scolaire de l’histoire par l’image qui se met en place vers 1880, entraîne un changement conceptuel immense : l’histoire a longtemps été conçue comme un apprentissage type catéchisme, par question et réponse, affirmant l’importance d’une trace écrite à mémoriser par cœur. Désormais, la peinture d’histoire dont la légitimité documentaire n’est plus mise en cause, devient source de connaissances (p 95). Les illustrateurs doivent créer des images les plus fidèles possible. En 1894, Le Petit Lavisse multiplie par deux le nombre de ses images. Mais sur quel document s’appuyer ? avec quel cadrage de l’image ? Il y a là une relation très intéressante à étudier avec les œuvres d’art disponibles sur des évènements d’histoire relatés. On est encore loin de définir une source documentaire.

« Que les murailles de notre soixante-dix mille écoles fussent couvertes du haut en bas, d’images » Victor Duruy (1866)

L’image qui pénètre dans l’enseignement primaire induit rapidement une transformation des lieux. Les instructions officielles recommandent l’observation directe, sur le mur du tableau. Une Commission de la décoration des écoles et de l’imagerie scolaire, créée en mai 1880, fait travailler en commun, architectes, inspecteurs, illustrateurs et conservateurs de musée, afin de constituer un corpus large d’images et une disposition nouvelles des salles. Les maisons d’éditions proposent toutes à partir de 1830-1840 des ouvrages dont les connaissances s’appuient sur des images, des planches murales ou des bons points bientôt en couleur. Les images gagnent progressivement les niveaux d’étude supérieurs. Mais gagnent également la géographie qui a longtemps été enseignée sans carte, mais en récit de voyages, en récit d’exploration. Le Ministère de l’Instruction publique décide en 1844, de mettre à disposition des enfants des atlas de plus petite taille que ceux qui étaient alors réservés aux adultes les plus riches. Dans ces cartes, planches murales, tableau d’observation, lotos et bons points, la géographie a prouvé la nécessité de son existence dans l’école d’une France colonisatrice dont elle est un outil de formation de la conscience nationale et d’un sentiment de supériorité raciale.

L’ouvrage porte également son attention sur les images à l’usage des poupées et des demoiselles, sur les images destinées à former de futurs soldats, les trois couleurs renforçant l’impératif catégorique du devoir militaire. Il gagne les aspects d’éducation domestique et familiale et ceux de la littérature de jeunesse qui se développent avec le XXe siècle accompagnés des progrès techniques comme l’inclusion massive de photographie, d’abord en noir et blanc dans le livre littéraire pour enfant mais d’un usage plus réduit, même réticent dans l’édition scolaire.

« Ne pas nuire est le premier devoir de ceux qui vivent avec l’enfant », Paul Foucher .

Avec la collection Père Castor, l’image entre dans une autre fonction qui modifie certains courants de l’Education Nouvelle. La lecture de l’image doit précéder l’alphabétisation de l’enfant, et « l’album d’activité » développe une lecture intelligente et active induisant beaucoup plus qu’un simple mécanisme de déchiffrement (album à découper, maquettes, jeux éducatifs, livre dépliant) sans le recours à un enseignant. L’image est au centre de l’album, sans repère d’échelle, parfois avec du hors champ, toujours d’une grande lisibilité, située dans un milieu défini qui guide le cheminement pédagogique. Les héros sont représentatifs du milieu dans lequel ils vivent : Quipic le hérisson, Apoutsiak le petit esquimau…. Le Père Castor a largement contribué à ouvrir les champs de connaissances et de préoccupations des enfants.

Pour finir, l’ouvrage conduit son lecteur jusqu’à l’entrée de la bande dessinée modernisant le récit dessiné, comme support éducatif vers 1970 et de l’image comme objet d’étude dans les programmes scolaires, depuis 1995. C’est ainsi finalement très tardivement que se formalise une éducation à l’image, d’une éducation du regard.

Ce catalogue est très agréable à feuilleter car, outre les textes et communications très riches, il fourmille, tel un catalogue d’exposition, d’illustrations et de documents étudiés enrichissant le propos. Il donne également les dernières références bibliographiques pour approfondir un thème particulier. C’est un excellent tour d’horizon des ouvrages illustrés sur plus de quatre siècles.

L’ouvrage est utile à tout chercheur sur l’éducation, et je pense notamment aux étudiants en Master Education qui recherchent des sujets de Mémoires d’histoire et de géographie alliés aux Sciences de l’éducation. Il est utile à tous pour relativiser la question des TICE, des power point en classe et de l’enseignement de l’histoire des Arts : il y a de vrais savoirs à acquérir sur la communication visuelle, sur l’outil pédagogique illustré, savoirs issus de la réflexion de très nombreux et illustres pédagogues sur lesquels il n’est pas inutile d’avoir un certain nombre de connaissances.

Pascale Mormiche