S’il est un monument universellement connu, c’est bien la statue de la Liberté. Edward Berenson professeur d’histoire à l’Université de New York, lui consacre un livre qui paraît simultanément en France et aux États-Unis.

Le livre comprend un encart central de seize pages en couleurs. On a sans doute l’idée que tout a déjà été dit et redit sur cette  » tour Eiffel moderne revêtue du costume de l’antiquité « comme le dit l’auteur. Edward Berenson fait pourtant le pari d’en dire plus, et de la restituer notamment dans son contexte de création et dans toute son épaisseur historique jusqu’à aujourd’hui. Un de ses buts est d’aller aussi contre certaines idées reçues, et au-delà de la formule par exemple qu’il s’agit d’un cadeau de la France aux États-Unis. La statue de la Liberté c’est en tout cas 3 millions de visiteurs par an.

Une statue très politique

Edward Berenson s’attache à retracer le contexte politique dans lequel naquit la statue. Il existait en France une idéalisation des Etats-Unis. Mais dans le contexte de la France des années 1870, Bartholdi ne rencontra que très peu d’intérêt pour un monument à la gloire de la liberté républicaine. L’auteur souligne que comme les dirigeants des Etats-Unis avaient préféré les Prussiens lors du récent conflit, les Français n’étaient pas véritablement enclins à financer une statue pour l’expédier outre-atlantique. Pour Bartholdi, cette statue devait recréer un lien fort entre France et Etats-Unis. En attendant que des conditions plus favorables soient réunies il se consacra à des réalisations qui pouvaient créer le consensus en France comme le Lion de Belfort. Edward Berenson retrace aussi plus loin dans le livre la question de la localisation de la statue ainsi que les débats qui agitèrent le musée américain de l’immigration jusqu’à la restauration d’Ellis Island.

Des péripéties à répétition

Ce qu’on mesure à la lecture du livre d’Edward Berenson, c’est combien le chemin a été long entre le projet et sa réalisation. Il retrace à la fois la genèse de l’idée et la longue collecte pour financer une telle réalisation.
Il faut souligner l’habileté et la ténacité de Bartholdi qui, en quinze ans, a transformé un « petit modèle en argile en la plus grande statue du monde ». Quel exploit pour quelqu’un qui ne parlait presque pas l’anglais à son arrivée aux États-Unis. Il lui fallut donc se constituer des réseaux pour espérer réussir dans son projet. Le chemin fut long pour rassembler les sommes et en tout cas on peut considérer que Bartholdi était un précurseur du marketing. Il n’hésita pas à investir une somme importante dans un diorama proposé à un prix très abordable. Il put ainsi rendre visible aux Parisiens ce qui n’était alors pas terminé ! Si on déplore aujourd’hui le merchandising autour de la statue, il faut rappeler que ce fut Bartholdi lui même qui mit en place des reconstitutions en terre cuite.

Un chantier titanesque et un exploit technologique

Le monument fut construit en quatre ans. La statue, malgré son air imposant, n’est qu’une mince couche de cuivre oxydé épaisse d’environ deux millimètres et elle possède un squelette en fer conçu par Gustave Eiffel. Les défis pour réaliser une telle œuvre furent pourtant nombreux ; il fallut réaliser des calculs extraordinaires. Elle pèse 220 tonnes. Son inauguration attira 1 million de personnes, chose paradoxale quand on se rappelle que les caisses la composant stagnèrent durant un an dans le port à tel point que d’autres villes américaines se déclarèrent prêtes à l’accueillir ! Il fallait financer le piédestal. Joseph Pulitzer lança une campagne qui connut un grand succès. Plus de 120 000 personnes versèrent une petite somme, ce qui représenta finalement le tiers du montant total du piédestal tout de même. Lorsqu’il fallut procéder à sa restauration dans les années 1980, plus de 70 millions de dollars furent nécessaires. La statue de la Liberté se révéla en tout cas « bankable » puisque pour son 100ème anniversaire le spot de publicité de trente secondes a été vendu 165 000 dollars !

Symbole d’hier et symbole d’aujourd’hui

L’auteur veut démontrer que le sens attribué à la statue de la liberté a évolué au cours des années. Disons d’emblée que c’est sans doute une certaine forme de souplesse qui lui a permis ses évolutions sémantiques. Elle fut d’abord assemblée à Paris et il faut bien se rappeler qu’elle était alors le monument le plus haut de la capitale. Même à l’époque son sens pouvait varier selon les catégories sociales. Était-elle une évocation de la libre entreprise ; était-elle une ode à la Liberté, ou devait-on retenir un message anti-abolitionniste ?
Bartholdi en tout cas n’avait jamais fait de lien entre la statue et l’immigration. De façon paradoxale, mais peut être logique finalement, ce n’est que dans les années 30 que la statue de la liberté devint un symbole de l’immigration, c’est-à-dire à un moment où le nombre d’arrivants était faible. La signification n’était pas la même quand les États-Unis accueillaient des millions de personnes à la fin du XIXème siècle. L’auteur balaie également quelques-unes des transformations que la statue a subies au gré du marketing moderne : le cahier central offre un panorama de quelques-uns de ces détournements : statue de la liberté qui brandit son soutien-gorge ou transformée en bouteille de Coca-Cola.

Edward Berenson offre donc un livre aux multiples dimensions, aux multiples échelles spatiales et temporelles pour mieux connaître et comprendre cette statue devenue un symbole, conduisant souvent à n’en avoir qu’une vision incomplète.

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