Antoine Balzeau est chercheur au Muséum national d’histoire naturelle et il s’est entouré pour ce livre d’Olivier-Marc Nadel, peintre qui travaille notamment pour des institutions comme l’Inrap. Dans cet ouvrage, ils s’emparent de trente-trois idées sur la Préhistoire et entreprennent de faire la part des choses entre connaissances réelles, suppositions et erreurs.

Image et texte pour démonter les idées reçues

Chaque idée est présentée sous forme d’une affirmation, illustrée puis commentée en quelques pages à chaque fois. L’illustration a pour objectif de mettre en image l’idée reçue examinée. La Préhistoire fait partie de ces sujets où les idées reçues sont nombreuses et souvent liées à nos souvenirs. Le livre est agréablement écrit avec un ton décalé. Plusieurs fois l’auteur procède à des renvois entre les articles. Le premier article donne le ton car Antoine Balzeau démonte la réalité du métier d’anthropologue, bien loin des images à l’Indiana Jones. Il ne cache rien des difficultés matérielles et administratives de son métier.

L’homme préhistorique en général

Plusieurs articles font le point en abordant, par exemple, « L’homme descend du singe ». Il faut déjà considérer que le terme de « singe » n’est pas scientifique, qu’ensuite l’évolution n’est pas régulière et qu’enfin la fossilisation est un phénomène exceptionnel. Parmi les autres articles, l’un revient sur les origines africaines de l’homme. L’auteur explique bien qu’à l’époque de la Préhistoire il n’y avait évidemment pas de frontières et que, présenter les choses ainsi, relève d’une logique qui n’existait pas alors. On revient aussi sur le fait qu’il est en réalité difficile de connaitre le sexe et l’âge d’un homme préhistorique. En même temps, une nouvelle technique par l’imagerie synchrotron permet d’incroyables précisions, à quelques dizaines de jours près pour des fossiles. Antoine Balzeau s’arrête ensuite sur la question de l’apparence de l’homme préhistorique, un des sujets les plus encombrés d’idées reçues sans doute. Il est tout aussi difficile d’interpréter certains sites préhistoriques en raison de leur utilisation sur une très longue période. Même quand on arrive à en savoir plus sur le régime alimentaire d’un homme préhistorique, il faut se garder de croire à une uniformité de sa consommation tout au long de sa vie. A plusieurs reprises l’auteur montre la disproportion entre une documentation mince et une affabulation à l’inverse.
L’idée reçue numéro 10 revient sur la figure de Lucy. C’est l’occasion de préciser qu’en terme de Préhistoire mieux vaut utiliser le terme de buisson que de lignée. Il faut également arrêter de croire que la taille du cerveau est à lier à l’évolution.

De quelques hommes préhistoriques en particulier

Plusieurs articles répartis dans l’ouvrage sont consacrés soit aux Australopithèques, soit à Homo habilis ou encore à Homo erectus. Le premier nommé fait l’objet d’un délit de sale gueule comme le dit l’auteur ; au contraire, « loin d’être des nabots poilus, réfugiés dans de rares arbres ou boitillant au sol, les Australopithèques s’y sont déplacés pendant des millions d’années, mangeant ce qu’ils trouvaient de manière variée, chassant à l’occasion et maîtrisant les outils ». Sur l’Homo erectus, l’auteur montre que l’on croyait en avoir un portrait assez détaillé, jusqu’à ce qu’on s’aperçoive que finalement le physique qu’on lui attribuait jusqu’alors n’était peut-être pas le bon. Il faudrait lui ajouter une dizaine de kilogrammes et lui retrancher une dizaine de centimètres, ce qui modifie son allure. Antoine Balzeau rouvre ensuite le dossier Néanderthal et s’interroge notamment sur les raisons de leur disparition.

La vie quotidienne à l’époque préhistorique

L’auteur envisage d’abord l’idée d’une vie quotidienne dangereuse. Il souligne que des ossements issus de tanières de carnivores ne proviennent pas forcément d’hommes dévorés tout crus. L’idée reçue 19 est l’occasion de revenir sur un grand classique si on peut dire : « Les hommes préhistoriques vivaient dans les grottes ». Il n’en est évidemment rien et si cette idée s’est longtemps imposée, elle s’explique sans doute par la découverte marquante de Lascaux à une époque où nos connaissances étaient moins claires qu’aujourd’hui. Le mammouth fait lui aussi l’objet d’un réexamen qui permet de se rendre compte qu’il était moins impressionnant que ce qu’on pensait. Vous pouvez oublier aussi un décor façon «L’âge de glace ». Antoine Balzeau précise aussi qu’il n’est pas question non plus de faire du feu avec deux silex. Quant aux rituels autour de la mort, que peut-on en savoir ? Comment les hommes préhistoriques se comportaient-ils avec leurs morts ? Sur cet aspect très culturel, l’auteur souligne que parfois inconsciemment le chercheur peut se faire influencer par ce qu’il croit. L’art est aussi repassé à la lumière de ce que l’on sait aujourd’hui. Les interprétations concernant l’art pariétal sont foisonnantes pour le moins. On ne peut qu’approuver la conclusion de son article : « Plutôt que de chercher à comprendre, si nous nous contentions d’admirer ? ».

Les trois dernières idées examinées forment à la fois une conclusion et une ouverture. « L’homme est-il le sommet de l’évolution ? ». Nous avons 46 chromosomes, le chimpanzé 48 et le poisson rouge 100. L’évolution n’a pas de direction, ce n’est pas forcément une amélioration. Antoine Balzeau s’interroge aussi sur la périodisation de la Préhistoire. Le dernier article s’interroge sur « L’homme de demain » à propos d’une question qu’on pose souvent à l’auteur. L’homme aura-t-il un cerveau plus gros, des pouces surdéveloppés et moins de dents et d’orteils ?

C’est donc un livre à la fois très bien informé et au ton alerte. Procédant par petites touches, Antoine Balzeau décortique les idées reçues mises en image par son comparse Olivier-Marc Nadel. On referme l’ouvrage en partageant pleinement la conclusion de l’auteur : «  un livre utile …et qui fut aussi distrayant. »

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes.