Femmes, un sujet qui intéresse les archéologues depuis quelques annéesTable ronde aux Rendez-vous de l’histoire de Blois en 2020 : L’homme préhistorique est aussi une femme par Marylène Patou-Mathis, Carte blanche aux éditions Allary et en 2021 : Femmes préhistoriques : aux origines du genre, Carte blanche aux éditions du CNRS et aux éditions Les Arènes ; Femmes de la préhistoire, Claudine Cohen, Belin, 2016 .
Le thème est ici abordé, par Jean Guilaine, spécialiste du Néolithique, sous le prisme des représentations du corps féminin. Il a choisi de le traiter à partir des seules sources archéologique du bassin méditerranéen et de l’Europe sur environ six millénaires. La première partie, trois chapitres, présente un vaste corpus documentaire, illustré de nombreux documents iconographiques ? La seconde partie, sept chapitres, tente de répondre à la question, jamais résolue : comment interpréter ces représentations ?
L’iconographie néolithique du corps féminin
Cette première partie se veut, avant tout, descriptive.
Des écoles très diverses dans le temps et dans l’espace
Peints, modelés, sculptés, les corps sont selon l’époque et le lieu, anatomiques ou stylisés, corpulents ou filiformes. La nature du matériau favorise aussi telle ou telle représentation. L’auteur choisit une déclinaison chronologique des nombreuses représentations depuis les vulves peintes à l’aurignacien comme à la grotte Chauvet, présentes dans de nombreux exemples.
Il existe très peu de représentations humaines avant le Néolithique hormis les Venus gravettiennes Ce sont les galets incisés du Yarmoukien au VIIe millénaire, représentations minimalistes du Néolithique naissant.
L’auteur propose un catalogue des formes représentées : femmes stylisées en croix ou en forme de violon, présentes dans tout le bassin méditerranéen, figurines en cylindres ou phalanges, femmes sabliers dans la péninsule ibérique, mais aussi en Roumanie. En Europe centrale, on a trouvé des poteries évoquant le corps féminin. Toute typologie existe : plaquette gravées du Portugal, idoles-plaques chypriotes, statuettes d’argile du chasséen…
C’est un répertoire de formes, décrites avec précision, du Paléolithique tardif à l’âge du bronze, situées dans divers territoires méditerranéen et européen.
Traitement des organes
Ce second chapitre s’intéresse aux détails anatomiques, dans leur diversité : têtes et chevelures, plus ou moins réalistes. La représentation du regard est importante du trait unique à une réelle expression (yeux en amande du mannequin d’Ain Ghazal, en Jordanie – VIIe millénaire – p. 80). La description s’intéresse aussi aux sourcils, au nez et à la bouche puis au cou. La poitrine, le bassin et les fessiers, les organes génitaux font l’objet de descriptions.
Gestes, postures, attitudes
La position debout est la plus courante. Les femmes assises, jambes étendues ou croisées sont au sol (Yalangash Tepe, Turkmenistan, IVe millénaires – p. 116) ou sur un trône (Dame de Pazardzik, Bulagarie – p. 118). On rencontre aussi des orantes aux bras levés. De curieuses statuettes de femmes qui soutiennent leur poitrine sont présentes dans l’Est du bassin méditerranéen (Chypre – p. 128). Une autre catégorie regroupe les femmes ouvertes et les femmes enceintes.
Discours, images et réalités de féminin néolithique
Les anthropologues ont, très tôt, écrit sur le statut, le rôle social des femmes. L’auteur souhaite dépoussiérer le débat sur les interprétations.
La construction de stéréotypes sur la femme néolithique
La littérature anthropologique sur la femme néolithique est abondante, parfois même antérieures à l’archéologie. De la « gynécratie au matriarcat ». Les anthropologues, comme Latifau ou J.J. Bachofen prennent appui sur les mythes pour développer leur théorie. Avec Lewis Morgan, il est question de l’évolution du sauvage vers l’union unique. L’auteur propose une relecture de l’ethnographe Germaine Tillion (Le harem et les cousins) et ses trois stades de l’évolution de l’humanité. Le débat du XXe siècle s’organise autour de l’opposition : la femme du néolithique, dominante ou dominée et la division sexuelle du travail, naturelle ou culturelle.
L’auteur évoque un troisième stéréotype : la femme incarnation de la nature, terre-mère, grande déesse.
Fonctions économiques
Certains travaux ont laissé des traces ténues sur les murs des grottes. Au néolithique ancien, on observe quelques éléments sur les lieux domestiques tandis que dans la seconde moitié du IVe millénaire ce sont les tombes qui fournissent des informations.
D’après les travaux d’Ian Hodder les femmes semblent occuper la place centrale de l’aire domestique (jarres modelées en forme de corps féminin = réserves de grains). Dans les sépultures, ce sont les hommes qui sont associés aux insignes du pouvoir.
Un paragraphe est consacré à l’image maternelle et à la relation femme/enfant (sépulture double de Sallèles-Cabardès, Aude) et aux statuettes de femme berçant un enfant (Serbie), « femmes aimantes » de Chypre et d’Anatolie.
La femme est-elle le symbole de l’agriculture, comme le montre quelques figurines en Turquie et des peintures rupestres en Espagne ? On y voit des femmes dans le travail des récoltes. La même analyse des représentations porte ensuite sur l’élevage, la récolte du miel et le transport.
Comment interpréter les contenants destinés à l’eau en forme de corps féminin (Dame de Myrtos – Crète) ou les « femmes-pots » nourricières, distributrices (Toptepe vers – 5 000).
Questions de genre
L’auteur propose une analyse critique de l’art du Levant espagnol : incertitudes chronologiques, débat sur le genre masculin des scènes de chasse, alors que l’attribut masculin est peu fréquent ? L’arc, est-il un marqueur masculin ? La question est traitée grâce à l’étude de scènes de chasse de Porto Badisco (Italie). Elle ouvre sur la question de la domination masculine par l’outil comme l’attelage qui marque le passage d’un jardinage féminin à l’agriculture, défrichements rendus nécessaires par la pression démographique. L’araire est un marqueur masculin.
Vêtements, ceintures, bretelles, parures sont décrits grâce à de nombreux exemples.
Quelques figurines interrogent sur leur sens : couples hétérosexuels ou homosexuels ?, accouplements, corps à deux têtes, corps jumelés, hermaphrodites.
La fonction biologique de la maternité est symbolisée par la « dame » de Çatal Hüyük et par d’autres figurines. A Kissonerga (Chypre) il y a même une figure de couvade selon Naomi Hamilton. Les statues-menhirs de l’Europe méridionale au néolithique final (-3 500/ -2 000) correspondent à une période où apparaît la différenciation des statuts sociaux. De taille variable, minutieusement décrites, elles montrent une catégorisation des sexes bien marquée (Lunigiana – Italie, p. 247).
Au IIIe millénaire, le masculin-féminin est une construction idéologique. L’auteur l’aborde grâce à deux ensembles culturels : la civilisation à céramique cordée puis la civilisation campaniforme. Dans les deux cas, les sépultures sont différentes selon le sexe.
Statuts et rôles sociaux
A partir de quelques exemples concrets, l’auteur souhaite « esquisser des ébauches de réponses » (p. 258) à la question de la position sociale de la femme néolithique.
Les premiers exemples portent sur la femme dans la maison à partir d’une maquette d’habitation de Platia Magoula Zarkou en Thessalie ; datée du Ve millénaire : la femme y est plus grande que l’homme, l’aïeul, plus que la jeune, a le rôle dominant, ce que confirment les figurines aux formes généreuses d’Anatolie.
La question de la composition et de la structure des familles est difficile d’accès, famille nucléaire ou maisons communautaires. La génétique permet aujourd’hui, une analyse des sépultures qui abritent plusieurs corps (tombe d’Eulau). Les analyses permettent, aussi, de déterminer si les défunts sont originaires, ou non, du lieu de leur inhumation. Les déplacements de populations ainsi révélés évoquent une exogamie féminine et une patrilocalité.
Les sépultures, par les objets qu’elles renferment, montrent les inégalités sociales. Pour autant, peut-on parler d’esclavage féminin, de rapts ? Chaque exemple est étudié en détail comme la tombe de Vert-la-Gravelle (Marne) qui appartient à la culture à céramique rubanée, et qui montre au contraire une femme accompagnée de riches parures.
Il semble difficile de faire des généralités, à propos du statut des femmes, sur des espaces aussi vastes et sur plusieurs millénaires. Certains indices sont difficiles à interpréter : poignards.
Peut-on parler de prêtresses dans le Sud de l’Espagne à l’âge du cuivre ? Chaque hypothèse est pesée avec rigueur.
Les figurines assemblées représentent elles des réunions d’hommes, de femmes, ou sont-elles mixtes ?
Symbolique : une déesse-femme, mythe ou réalité ?
C’est le domaine qui a donné lieu au plus grand nombre de propositions et d’interprétations. Le religieux est le domaine le plus difficile à aborder. Le concept de « terre-mère », de déesse-mère » a été largement développé à la période romantique. L’auteur rappelle les différentes théories et présente leurs auteurs d’Eduard Gerhard à Marija Gimbutas, en passant par Edwin Oliver James, Johannes Maringer, , l’école des préhistoriens britanniques du XXe siècle, Peter Ucko… S’il rend hommage aux travaux de Marija Gimbutas, il en propose une analyse critique, anthropologique et archéologique.
L’auteur revient sur la dualité femme-taureau de Jacques Cauvin et au site de Çatal Hüyükhttps://college.clionautes.org/Site-de-fouilles-de-Catal-Hoyuk.html. Quand à la déesse incarnée dans les figurines, pourquoi cette représentation disparaît-elle au IVe et Ve millénaire ? La question des sanctuaires néolithique n’est pas non plus résolue.
Les figurines en débat
Un chapitre en forme de bilan, les figurines sont très différentes des autres objets retrouvés lors des fouilles. La question de leur interprétation reste ouverte. Néanmoins, l’auteur tente de décrire une évolution en quatre étapes : IXe -VIIIe millénaire – en Anatolie des figurines masculines et féminines ; le second temps est celui de la diffusion en Orient et en Europe, les figurines féminines dominent largement. Ensuite, elles deviennent plus schématiques (Sardaigne, Grèce) et enfin aux IVe et IIIe millénaires elles disparaissent progressivement. Un paragraphe est consacré à cette évolution à Chypre.
Au-delà du débat sur la déesse-mère les figurines sont-elles à associer à un ou des cultes ? Ont-elles, puisqu’elles sont très présentes dans des cultures sédentaires (Mer Égée, Balkans), joué un rôle dans des rituels domestiques ?
Suivant les hypothèses de Doug Bailey, l’auteur s’interroge sur leur sens politique, voire diplomatique comme le suggère Lauren Talalay en Grèce méridionale.
Peuvent-elles symboliser les âges de la vie ? Avoir été utilisées dans des rites de changement de classe d’âge ?
Ce chapitre évoque, tour à tour, les diverses interprétations, toujours en relation avec des exemples précis.
Portraits : dix dames du temps jadis
Ce dernier chapitre présente dix représentations plus ou moins célèbres, photographies, descriptions et analyses qui peuvent inspirer un enseignant dans le choix de ses exemples.
De la plus célèbre, peut-être, la Dame de Çatal Hüyük (Turquie) à la plus difforme : la « mère terrible » de Sha’ar Hagolan (Israël) en passant par la Dame de Donja Branjevina (Serbie) à l’imposant postérieur, la Dame de Cuccuru d’Arriu (Sardaigne) et sa surprenante coiffure, la Dame de Lamba-Lakkous (Chypre) datée de l’âge du cuivre, la Ballerine de Mamariya (Égypte), La « Venus de Malte », la « Dame endormie » d’Hal Saflieni délicatement allongée, la Dame d’Arco (Italie) en forme de stèle comme la Dame de Saint-Sernin en Aveyron.
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Un vaste panorama, de nombreux documents iconographiques, Jean Guilaine dresse des portraits de femmes néolithiques ; en faisant preuve, à la fois, d’une connaissance approfondie et d’une grande prudence dans les interprétations.