Publié tout dernièrement aux éditions Grand Angle, cet album est consacré à une guerre que l’on a eu tendance à oublier, celle de Tchétchénie, à partir de 1990. Illustré par Anlor, avec comme scénariste, Aurélien DUCOUDRAY, cet album « déménage » les, pour utiliser une expression familière. L’ensemble de l’histoire s’appuie sur le travail d’un chercheur de l’école des études en sciences sociales, consacré aux femmes snipers de Tchétchénie, qui montre que dans cette guerre de guérilla livrée par l’armée de la fédération de Russie, contre les indépendantistes tchétchènes, le mythe des amazones a été réinventé.
La description de la Russie des années 90, pendant la période où Boris Eltsine a laissé les apprentis sorciers du fonds monétaire international mettre en œuvre une politique de libéralisation économique qui a plongé une partie du peuple russe dans la misère, est sans doute la partie peut-être la moins spectaculaire, mais la plus touchante de cet album. On retrouve la mère du jeune Volodia, et son mari ivrogne partir en Ouzbékistan, prétendument pour le service militaire, à la recherche de son fils, parti pour ce qui le concerne servir en Tchétchénie. Pendant la période de libéralisation de l’économie russe, ont trouvé ces femmes, parfois jeunes, dont les compagnons étaient partis, essayer de survivre en se livrant à un petit commerce, dans chaque coin de rue, et surtout dans les métros des grandes villes de Russie. DVD pirates, objets usagés du quotidien, tout était bon pour essayer de survivre dans un pays où le taux d’inflation rappelait celui de l’Allemagne de 1923. On trouve aussi dans ces planches « les loups gris », – rien à voir avec le mouvement nationaliste turc – , les policiers corrompus de la milice. Les personnages sont remarquablement traités, comme ce photographe de mode de la nouvelle jet-set de Moscou, revenu blessé de Tchétchénie, tout comme ces pauvres qui ne font que voler d’autres pauvres au hasard d’un trajet d’autobus.
Le lecteur subit les bombardements de Grozny et la destruction méthodique de la ville par les forces russes. La situation ne doit pas être bien différente à Gaza aujourd’hui, même si, contrairement au Hamas, les combattants tchétchènes peuvent trouver refuge dans les montagnes. L’album ne fait pas référence à la dérive islamiste-fondamentaliste d’une partie de la rébellion tchétchène. Mais on y voit quand même le personnage de Bassaïev, et puis cette amazone qui porte le nom d’Asia et utilise contre les soldats d’un transport de troupes de l’armée russe le fameux Dragonov, le fusil de Sniper, redouté par tous les combattants exposés à son feu, y compris dans l’Afghanistan d’aujourd’hui.
La trame de l’histoire et celle de la quête de cette mère qui cherche à retrouver son fils, fait prisonnier par les tchétchènes de Bassaïev, sur la foi d’une coupure de presse selon laquelle le chef de la rébellion serait prêt à rendre aux mères qui viendraient les chercher, leur fils captif.
Comme pour les autres volumes de cet éditeur, et notamment ceux consacrés à la grande guerre, le lecteur peut bénéficier d’un cahier de huit pages, remarquablement illustré, réalisé par le scénariste. Peut-être qu’un petit rappel chronologique, voire même une petite carte de localisation aurait été la bienvenue, pour rappeler ce conflit des années 90 et du début des années 2000 que l’on aurait peut-être eu tendance à oublier.
Mais ces quelques réserves n’enlèvent rien à la qualité du scénario et à la précision de la description de cette Russie, amère, en état de décomposition. Les pires aspects de l’âme humaine se révèlent alors, mais on peut espérer, dans le second volume, que nous attendons avec impatience, l’apparition des meilleurs.
Bruno Modica