Quand Léopold Maurer décide d’enregistrer les souvenirs de guerre de son grand-père, il ne s’attend pas à ce qu’il va découvrir. En 2004, il est encore persuadé que ce dernier avait été embarqué, contre son gré, dans le tumulte de la Seconde Guerre mondiale. Or, ce qu’il découvre est bien différent. 

Que faisais-tu pendant la guerre ? 

Le grand-père de Léopolod Maurer s’est en réalité engagé volontairement dans la Waffen-SS. Ce livre propose donc une approche à la fois personnelle par le lien familial entre Léopold et son grand-père, mais aussi une réflexion sur l’histoire du nazisme. Léopold Maurer appartient au collectif BD Mixer et a déjà fait paraitre un album « Miller and Pynchon ». Il collecte ce témoignage avec Régina Hoffer qui travaille dans le domaine de l’animation et du dessin. Pour se repérer, précisons que l’ouvrage contient une double page de notes à caractère historique à la fin.

L’enregistrement de 2004

Le livre commence par rappeler ce qui est arrivé aux Juifs dans l’Allemagne nazie. A partir d’un banal élément du quotidien, un verre brisé et une table depuis longtemps dans la famille, l’auteur en vient à s’interroger sur les pogroms qui eurent lieu en Allemagne durant l’époque nazie. En 2004, Léopold Maurer commence l’enregistrement des souvenirs de son grand-père. Le témoignage fait basculer la bande dessinée dans une dominante de couleur noire. Il raconte son appartenance aux jeunesses hitlériennes. En quelques vignettes, on peut ressentir l’effet d’embrigadement. Le parti pris est de redonner, telles quelles, les paroles du grand-père lorsqu’il parle des Juifs. La grand-mère de Léopold souligne : « Notre jeunesse, on l’a vécue sous la guerre. » 

Autres lieux, autres époques

Les auteurs choisissent d’insérer de rapides références à d’autres époques et d’autres lieux. Une page située en 1985 tend à suggérer que le grand-père a conservé ses opinions politiques bien après la guerre. A un autre moment, le récit évoque l’Argentine en 1979. On croit alors comprendre que les grands-parents de l’auteur ont vécu comme d’autres anciens nazis en Amérique du Sud. Une partie de chasse en 1983 conduit le grand-père à se rappeler la guerre.  Le narrateur raconte également les moments passés chez son grand-père quand il était adolescent. Ces passages permettent de mesurer la déchirure que représente pour Léopold Maurer le fait de découvrir ensuite la réalité sur les activités de son grand-père durant la guerre. 

Les succès de l’Allemagne nazie

Le témoignage détaille ensuite ce qui s’est passé en 1939-1940 au moment de l’avancée de l’armée allemande. Quelques vignettes suffisent à mesurer la fascination que ces succès purent avoir sur le jeune homme qu’était alors son grand-père. Plus loin, on trouve cet extrait : «  Il suffit de faire miroiter à quelqu’un un sort meilleur pour qu’il mette un casque et joue au soldat ». 

La Waffen-SS

On découvre ensuite comment le jeune homme d’alors a basculé dans la Waffen-SS. On le suit lorsqu’il évoque les campagnes auxquelles il a participé. Il prend alors du galon, comme il le dit lui-même, et raconte plusieurs opérations qu’il a menées. Il explique comment était composée la division Das Reichet, raconte comment il a fait la guerre pendant cinq ans, jusqu’à la défaite. 

Le massacre de Babi Yar

Dans le récit du grand-père est évoqué à un moment ce qui s’est passé à Babi Yar. Quelques dessins permettent d’appréhender l’horreur de cet épisode de 1941 où, en à peine 36 heures, plus de 33 000 Juifs moururent sous les balles des Einsatzgruppen. L’alternance du noir et blanc se révèle très marquante comme avec cette image de corps entassés ou cette case avec un visage de femme. 

Exterminer les Juifs

Plusieurs images décrivent également l’extermination par les gaz d’échappement dirigés vers l’intérieur des camions où des Juifs avaient été regroupés. Les auteurs trouvent des partis pris graphiques qui réussissent à la fois à éviter une certaine esthétisation mais aussi une envie de choquer. A plusieurs reprises, et comme l’indique le titre de l’ouvrage, on voit des passages avec des insectes et on comprend ainsi comment le grand-père considérait les Juifs. 

La fin de la guerre

Le grand-père de Léopold Maurer raconte également la fin de la guerre avec le débarquement du 6 juin 1944 mais aussi le massacre d’Oradour sur Glane. Il explique aussi que lui a réussi à échapper à la condamnation. Il s’interroge sur le fait d’avoir survécu : «  Il devait y avoir une raison à ce que je reste en vie ». 

Un parti pris graphique fort

Le format de l’ouvrage est carré. Le dessin est uniquement réalisé en noir et blanc et se déploie à chaque fois en quatre cases de taille égale. Elles contiennent parfois une image chacune ou, parfois, c’est le rassemblement des quatre cases qui crée l’image. Il faut reconnaitre qu’une économie de couleurs et parfois de dessins n’empêche pas la force du message. Régina Hoffer exploite toutes les possibilités, faisant parfois varier la taille des caractères comme dans cette page qui annonce l’opération Overlord lorsqu’on rassemble les cases ou cette autre qui forme le mot Shoah. Parfois, plusieurs cases de suite ne contiennent que du texte mais, là encore, l’alternance de noir et blanc crée une ambiance en accord avec le contenu du texte. 

Ce qu’il imaginait… et la réalité

Les auteurs choisissent de terminer en changeant très habilement de parti pris graphique. Même s’il s’agit toujours de noir et blanc, les dessins sont cette fois plus naïfs et correspondent à ce que Léopold croyait sur l’histoire de son grand-père avant cette enquête. Il termine par ces mots : « Les Waffen-SS se considéraient comme un corps d’élite composé de soldats politiques qui avaient pour but de détruire « le juif », « le bolchévisme » et le « sous-homme slave » et mon grand-père était l’un d’eux ». 

C’est donc un ouvrage original pour parler de la seconde guerre mondiale. L’entremêlement entre l’histoire, le destin du grand-père à l’époque et les interrogations de son petit-fils forment une trame efficace servie par un parti pris graphique en noir et blanc d’une grande force. 

Jean-Pierre Costille