François Cabarrus, un corsaire aux finances
A2C médias éditions – Novembre 2013 – 20 € 181 pages .
C’est avec beaucoup d’intérêt que la Cliothèque reçoit ce jour, cet ouvrage de Thérèse Charles Vallin, docteur en histoire et sciences politiques, et auteur de biographies historiques, comme celle de Tallien, dont nous aurons peut-être amené à reparler.
Cet ouvrage de belle facture, avec des illustrations d’excellente qualité, dont la reproduction d’une peinture de Goya consacrée au sujet de cette biographie, qui accueille le visiteur à Madrid à l’entrée de la banque d’Espagne.
Au-delà de ce personnage dont le destin est particulièrement intéressant et sur lequel nous reviendrons, il convient de revenir sur le cadre dans lequel François Cabarrus évolue. Petit-fils d’un corsaire, Barthélémy Cabarrus, installé à Bayonne à partir de 1730, François Cabarrus voit le jour le 8 octobre 1752. Dans ce Sud-Ouest Atlantique du royaume de France, depuis le règne de Louis XIV, des liens très étroits ont été noués avec le royaume d’Espagne, surtout depuis le traité des Pyrénées. Face à cette Espagne « du siècle d’or » qui semble prospère en raison de flux continu de métaux précieux venus des Amériques, le sud-ouest et le sud du royaume de France constituent alors une zone d’activité intense destinée à alimenter le marché espagnol. L’Espagne semble en effet prospère, mais ces éléments les plus dynamiques partent vers les colonies d’Amérique ou se consacrent à des activités financières. L’industrie semble en partie négligée.
L’ascension d’une famille
C’est donc dans ce contexte que la famille Cabarrus commence une ascension sociale qui lui permet d’être anoblie par lettre enregistrée le 22 mai 1789. Mais avant cela, le destin de François Cabarrus apparaît à proprement parler est exceptionnel. Le jeune François a pour père le président de la chambre de commerce de Bayonne, et c’est à ce titre qu’il est envoyé en Espagne en 1771, fort du soutien de la loge maçonnique à laquelle appartient Cabarrus père.
Qualifié par l’auteur de jeune Basque bondissant, François Cabarrus est accueilli à Valence pour s’initier aux affaires, mais il semblerait que la fille du négociant Galabert , correspondant de Dominique Cabarrus ait de trop beaux yeux. Les deux tourtereaux s’enfuient, se marient dans la journée, alors qu’ils sont tous deux mineurs, ce qui ne pose pas problème à cette époque dans le royaume d’Espagne.
Casanova à Valencia
Les deux familles sont mises devant le fait accompli, et le beau-père de François Cabarrus envoie son gendre à Madrid pour y développer une entreprise familiale.
C’est dans ce contexte, qui est celui de l’irruption dans le royaume d’Espagne de la philosophie des lumières, importées comme bien d’autres, du royaume de France, que François Cabarrus comment s’entretenir des relations de plus en plus étroites avec des personnalités proches du roi d’Espagne Charles III. François Cabarrus apparaît comme un novateur, avec la création de Vales Reales, des titres de la dette espagnole, portant intérêt est placé dans le public. L’Espagne a besoin de liquidités d’autant qu’elle est engagée dans le soutien à la guerre d’indépendance américaine, en association au royaume de France, en vertu du pacte de famille. Au-delà d’une simple société de commerce François Cabarrus créait une banque privée, qui finance par des prêts à très court terme le royaume d’Espagne. Les liens de François Cabarrus, avec les financiers madrilènes, proches du roi, lui permettent d’accéder aux plus hautes fonctions, et notamment celle de conseiller du roi aux finances. Visiblement novateur, d’après Thérèse Charles Vallin, François Cabarrus cherche, à partir de la banque royale de Saint-Charles qui ouvre ses portes au public le 1er juin 1783, à faire circuler l’argent, à réduire l’endettement du royaume, et même à mettre en place une « égalité proportionnelle de la répartition des impôts ». Un impôt progressif qui apparaît comme totalement inconcevable à cette époque, même si on ne sait pas si c’est un pôle progressif sur le capital ou sur le revenu. Ce qui est sur en tout cas ce que charité bien ordonnée commence par soi-même, que François Cabarrus dispose d’une fortune personnelle que l’auteur prend la peine de quantifier en actuelle monnaie, à savoir 36 millions d’euros, et qu’en tant que directeur perpétuel de la banque de Saint-Charles, ils accordent une commission de 2 % sur la valeur de toutes les actions passées.
La réussite suscite l’envie
Évidemment, une telle réussite suscite envie et jalousie, d’autant que les billets de paiement, les Vales, émis par la banque de Saint-Charles sont très vite comparés par les adversaires de François Cabarrus au billet de Law émis en France avec la banqueroute que l’on sait.
Les actions de la banque de Saint-Charles sont même combattus à partir de la France, en 1785, par le comte de Mirabeau, futur député du tiers état. Calonne ministre des finances de Louis XVI et même impliqué, mais le premier ministre espagnol Floridablanca, parvient à le convaincre que l’action de Mirabeau et surtout suscitée par des groupes financiers rivaux de la banque de Saint-Charles, qui espère voir le cours de ses actions chuter.
Dans les activités de la banque de Saint-Charles, la finance n’occupe pas une place exclusive. La banque en charge des travaux publics importants, y compris dans le sud de l’Espagne, dans la région de Murcie avec des aménagements hydrauliques, et le projet de connexion au moyen de canalisation de Madrid avec Séville. Des travaux routiers sont également entrepris.
En 1788, la mort du roi Charles III, protecteur de Cabarrus change complètement le destin de celui qui pouvait se qualifier de prince de Madrid. Le nouveau secrétaire des finances en lutte contre François Cabarrus parvient à retourner les actionnaires de la banque contre le directeur, à le faire accuser de détournement de fonds, et surtout de complaisance avec la France révolutionnaire et d’atteinte à la religion.
Pour celui qui était l’un des plus importants financiers du royaume, commençait, sous le règne de Charles IV une période plutôt difficile. Incarcéré à Madrid pendant deux ans il est ensuite mis au secret à 44 km au sud de la capitale. Il profite de ses loisirs forcés, pour lire des ouvrages qui lui sont parvenus par faveur spéciale et pour écrire au roi Charles IV. Il rédige un cahier de réflexions philosophiques et politiques pendant qu’une partie de sa famille se trouve en France méprise dans les convulsions de la terreur.
Un réformateur de l’État
Dans son ouvrage, Thérèse Charles Vallin présente les lettres d’un prisonnier d’État sur la félicité publique, qui ne sont pas dénuées d’intérêt, notamment pour ce qui relève des propositions d’organisation économique avec même des lettres étonnantes de modernité, comme les conseils aux hôpitaux de Madrid qui suggère dans tous les cas où c’est possible les soins et l’assistance à domicile plutôt que l’hôpital, l’hospice ou l’orphelinat. Il propose également une organisation décentralisée de la « charité publique ».
Après la révision de son procès par le secrétaire d’État réformateur Godoy, qui lui permet de quitter sa détention, François Cabarrus se retrouve ministre plénipotentiaire en mai 1797 dans la France du directoire. Il reste partisan du maintien d’une alliance de l’Espagne avec la France mais cherche à éviter que le parti belliciste des Jacobins ne pousse l’Espagne beaucoup trop loin dans la rupture avec l’Angleterre et là Hollande.
Il serait dommage dans le cadre d’une chronique qui vise à présenter cet ouvrage, remarquablement écrit est très richement documenté avec un appareil critique et chronologique, des annexes sur l’histoire de l’Espagne et l’histoire de France croisées, des notices biographiques et même un glossaire des termes utilisés, de déflorer la fin de ce parcours exceptionnel. Nous le laisserons découvrir au lecteur et nous accueillons avec énormément de plaisir Thérèse Charles-Vallin parmi nos auteurs mais aussi nos critiques. Nous ne doutons pas qu’elle apportera à la Cliothèque qui fête cette année ses 16 ans, l’âge auquel une jeune fille de Valencia a connu le grand amour avec un jeune Basque bondissant, de très importantes contributions.
Bruno Modica
Rédacteur en chef de la Cliothèque