Associer les deux mots : anglais et excentriques pourraient être qualifié de pléonasme tant, pour nombre de continentaux nos voisins d’outre-Manche semblent par essence extravagants. Thierry Coudert dans cet ouvrage nous dresse le portrait d’un certain nombre d’entre eux qui, par groupe, par hérédité et par singularité ont été l’essence même de l’excentricité.

L’art de paraître et d’être

En Grande-Bretagne, l’excentricité est une valeur que les individus n’ont aucune gêne à exprimer. Ce peuple, qui a traversé la société victorienne corsetée, laisse libre cours à l’expression tout à la fois d’un snobisme et d’un esthétisme qui sont les deux éléments définissant l’excentricité selon Thierry Coudert. Il est, en effet, très complexe de trouver une ligne directrice à des comportements, des activités et des parcours de vie si multiples englobés par un seul terme. La vie doit être une œuvre d’art tout en développant une certaine capacité

Tous ces personnages ont en commun une très grande liberté individuelle parfois à contrecourant de leur époque. La liberté sexuelle est celle qui est la mieux partagée, la grande à très grande aisance financière aussi qui leur permet souvent d’assouvir des passions onéreuses. D’Eton à Cambridge, des salons londoniens aux Clubs privés, de la Chambre des Lords à des séjours à Paris & et des propriétés en Italie, il est possible de dresser une cartographie de l’histoire de la grande majorité.

C’est sur l’échiquier politique que l’éventail est le plus large. Le pacifisme domine pendant la Première Guerre mondiale, l’entre-deux-guerres est marqué par une pluralité d’engagements des Magnificent Five espionnant au profit de l’URSS au soutien sans faille d’Oswald Mosley au nazisme, du socialisme du Bloomsbury Group au patriotisme de Churchill. « On ne peut être transgressif que par rapport aux règles de son temps « .

Des groupes tutélaires

Les excentriques composent des micro-sociétés avec un mode de vie inhérent à ce qu’ils sont et ce qu’ils veulent donner à voir. Les Bright Young Things, BYT, incarne le monde qui se remet de la Première Guerre mondiale et plonge dans la joie de vivre qui succède au grand cataclysme. Composés d’anciens d’Eton, il est représentatif de la manière dont les excentriques anglais étaient en phase avec l’époque dans laquelle ils évoluaient : look androgyne savamment cultivé, fêtes déguisées et alcoolisées, chasses au trésor qu’ils organisent défraient souvent la chronique. Cecil Beaton, le photographe portraitiste en fait partie. Cependant, les BYT ne résistent pas aux soubresauts de la crise de 1929 : victimes d’addictions, dépouillés par des amants peu scrupuleux, certains sombrent dans la pauvreté et l’oubli.

Le plus célèbre et qui peut être considéré comme un marqueur est le Bloomsbury Group qui tire son nom du quartier intellectuel et bohême dans lequel la famille Steven s’installe en 1904.

Devenu le noyau dur d’une galaxie qui va s’étendre tout au long du XXe siècle, ce petit cercle se constitue par des liens personnels et amoureux. Aristocrates, rentiers, « socialement élitiste et intellectuellement snob », Thoby (1880-1906) en est le fondateur. Fils aîné de la famille, il s’entoure d’amis de Cambridge. Virginia, qui épouse Léonard Woolf en 1912, en est pour beaucoup la figure la plus marquante. Son œuvre littéraire est à l’image de sa vie à laquelle elle met fin en 1941. Autour de la famille, les Bloomburies sont accueillis à Gordon Square comme l’économiste John Maynard Keynes, l’écrivain E.M Forster et le peintre Duncan Grant.

Des familles entières

L’histoire a retenu les Mitford : six filles et un garçon issus d’une famille qui remonte à la conquête normande qui vont, à des degrés divers occuper la Une de la presse pendant près d’un demi-siècle. Diane lors de son mariage avec Oswald Mosley a Hitler pour témoin. Arrêtée à titre préventif sur ordre de Winston Churchill, elle finit sa vie en France sans jamais renoncer à ses opinions. Unity se lie d’amitié avec Hitler et dont l’excentricité est à un fil de la folie. Pamela, sous des abords ruraux, divorce d’un scientifique célèbre pour vivre avec une cavalière italienne. Jessica épouse un anglais membre des Brigades Internationales en Espagne. Nancy sera, pendant deux ans, la maîtresse de G. Palewski officier de la France Libre qui en épouse une autre. Enfin, Deborah châtelaine de Chathworth ouvre le domaine au public, y installe hôtel et boutiques.

D’autres lignées entières occupent aussi le devant de la scène excentrique anglais. Les Sitwell : 3 poètes qui ne sont pas réellement passés à la postérité mais qui savent s’entourer de T.S Eliott, Gertrude Stein, Dylan Thomas. La mère et la fille Cunard, héritières du croisiériste canadien, les Sasson …

Des personnages

Des Grands de l’histoire du XXe siècle figurent en bonne place dans le recueil de Thierry Coudert.

Le couple Mountbatten, Louis et Edwina, se marient en 1922 en présence du couple royal parmi 80.000 invités. Tous les deux mènent des vies sexuelles et sentimentales reflet de l’excentricité de leurs contemporains. La seconde guerre mondiale en fait des héros : lui, amiral commande les forces en Asie du Sud-Est et elle active pour récolter des fonds, organiser le rapatriements des soldats prisonniers où Lord Mountbatten est d’active. L’idylle qu’elle a avec Nehru au moment de l’indépendance de l’Inde marque les esprits.

Winston Churchill est l’excentrique anglais par excellence. C’est « un paradoxe vivant » dont la carrière et la vie personnelle ne peuvent qu’être symptomatiques de sa classe et de son époque. Appelé à occuper de très hautes fonctions au Parlement et dans plusieurs gouvernements pendant les deux guerres mondiales, il est le héros d’un peuple en résistance. Issu de la très haute aristocratie britannique, il en est un membre rebelle : il a le soutien de travaillistes et des Glamour boys en 1940 – de jeunes parlementaires conservateurs que leur homosexualité réunie -. Prix Nobel de Littérature en 1953, jardinier, aquarelliste, amateur de déguisements et d’alcool, l’homme d’État est entré à jamais dans la postérité.

Le travail fouillé et dense de Thierry Coudert donne la sensation au lecteur de s’aventurer dans une galerie de portraits très « anglais ». Les comportements, les relations familiales et sociales, les idées politiques de ces excentriques composent un tableau d’un microcosme qui peut apparaître, à bien des égards, particulièrement exotique. Toujours présents sur la scène britannique, incarnés par Vivienne Westwood ou Mick Jagger, les excentriques ont finalement réussi à franchir le cap du XXIe siècle.