Les Résistantes de France inter. Dans un style accessible mais jamais simpliste, Philippe Collin nous invite à suivre les parcours de femmes ordinaires aux destins extraordinaires, dont l’engagement contre l’occupant nazi et le régime de Vichy a été crucial, bien qu’injustement relégué à l’arrière-plan par une historiographie encore trop marquée par le prisme masculin.
C’est avec cette ambition lucide et généreuse que Philippe Collin, historien de formation et voix familière des auditeurs de France Inter, livre Les Résistantes. Un ouvrage dense (448 pages), documenté et profondément incarné, qui revisite l’un des grands chapitres de l’histoire contemporaine à travers le prisme des figures féminines, longtemps restées en marge de la mémoire collective. Les lecteurs pourront approfondir leurs connaissances grâce aux podcastsRéinscrire les femmes dans l’histoire de la Résistance : un travail de réhabilitation
À la croisée du travail historien et de la démarche mémorielle, Les Résistantes ne se contente pas de faire défiler des portraits héroïques. Philippe Collin opère une véritable déconstruction : il s’attaque au récit dominant de la Résistance, construit dès la Libération autour de figures masculines — de Gaulle, Jean Moulin, Brossolette — et d’une imagerie viriliste où l’action armée occulte les formes plus discrètes, mais tout aussi essentielles, de l’engagement. Lucie Aubrac, Geneviève Antonioz-de Gaulle: quelques noms survivent dans l’imaginaire collectif. Mais combien d’autres (Mila Racine, Renée Davelly ou Simonne Mathieu) ont été oubliés, éclipsés ? Philippe Collin s’emploie à les faire revivre avec soin, rigueur et émotion, à travers des archives, des témoignages, des lettres parfois arrachées au silence de la mémoire familiale.
Ce travail de réhabilitation n’a rien d’un simple acte de justice posthume : il est une réponse à l’effacement structurel qui touche les femmes dans l’écriture de l’histoire. Il est aussi, et surtout, un acte de transmission.
Un récit polyphonique, entre rigueur historique et souffle narratif
L’une des grandes forces de l’ouvrage tient à sa forme : Philippe Collin choisit de raconter, non d’énumérer. Il restitue des trajectoires individuelles dans leur densité humaine, insistant sur les dilemmes, les peurs, les contradictions de ces femmes. Il n’idéalise pas : il montre aussi les dissensions, les choix impossibles, les trahisons parfois. Le résultat est un récit polyphonique, sensible et vivant, où chaque figure devient plus qu’un symbole : une personne.
Le style se distingue par sa clarté, presque pédagogique, sans pour autant céder à la simplification. L’auteur met à profit ses talents de conteur radiophonique pour rendre accessible une matière parfois complexe : l’évolution des réseaux, la diversité des engagements (résistance intellectuelle, spirituelle, médicale, armée), la répression, la déportation, l’après-guerre.
Philippe Collin parvient à conjuguer la rigueur des sources et l’émotion du récit, sans jamais sombrer dans le pathos. Il cite, contextualise, explicite. Il relie les trajectoires individuelles à la grande Histoire. C’est un modèle d’écriture historienne au service de la compréhension, non de la fascination ou de la simple célébration.
Une œuvre engagée, sans dogmatisme
Ce livre n’est pas neutre et ne prétend pas l’être. Il est profondément politique, au sens noble du terme : il engage une réflexion sur la façon dont une société se souvient, transmet et honore ses résistances. En redonnant aux femmes la place qui leur revient dans l’histoire du XXe siècle, Philippe Collin questionne les mécanismes d’invisibilisation à l’œuvre dans l’espace public, l’enseignement, la culture populaire. Pour autant, l’ouvrage évite le piège du moralisme ou de l’anachronisme. Il ne juge pas les silences du passé avec les lunettes du présent ; il cherche plutôt à comprendre pourquoi ces femmes ont été oubliées, et comment les inclure désormais dans un récit partagé. À ce titre, Les Résistantes est un livre de mémoire, mais aussi un manuel d’émancipation intellectuelle.
Un livre à mettre entre les mains des jeunes générations
Ce n’est pas la moindre vertu de ce livre : il parle à la jeunesse. Il donne à voir des modèles d’engagement accessibles, concrets, profondément humains. Loin des mythologies patriotiques figées, il propose une autre façon d’envisager le courage, la résistance, la responsabilité morale. Et ce faisant, il répond à une urgence éducative.
Dans un monde saturé d’images, de raccourcis médiatiques et de repli identitaire, Les Résistantes offre une leçon de complexité. Il montre que l’engagement n’est pas l’affaire des héros, mais des gens ordinaires. Que la Résistance fut féminine, diverse, multiple. Et qu’elle peut encore inspirer celles et ceux qui refusent l’injustice, aujourd’hui comme hier.
En ce sens, ce livre a toute sa place dans les établissements scolaires, les bibliothèques publiques, les espaces citoyens. Il ouvre la voie à une éducation historique inclusive, critique, porteuse de sens. C’est un outil de transmission autant qu’un hommage.
Réserves critiques et fécondité intellectuelle
Comme toute entreprise de vulgarisation ambitieuse, Les Résistantes n’est pas exempt de limites. Certains spécialistes regretteront l’absence d’un appareil critique plus conséquent, ou l’homogénéisation parfois trop lisse des profils présentés. D’autres souhaiteront une analyse plus fouillée des résistances féminines dans les colonies ou une réflexion sur les rapports de classe dans ces engagements. Mais ces réserves sont moins des critiques que des invitations à poursuivre. L’ouvrage ne prétend pas épuiser le sujet : il ouvre un champ, suscite des vocations, inspire des recherches.
Un livre nécessaire, salutaire, vivifiant
Les Résistantes est un livre rare. Par son sujet, bien sûr, mais aussi par sa capacité à conjuguer accessibilité, profondeur et engagement. Il s’adresse à toutes et tous : chercheurs, enseignants, étudiants, citoyens. Il suscite la réflexion, l’émotion, l’admiration. Il invite à lire, à comprendre, à transmettre. Dans une époque qui cherche des repères et des figures d’espérance, Philippe Collin nous rappelle que des femmes, dans l’ombre de l’Histoire, ont changé le cours des choses. Leur souvenir nous oblige et leur exemple nous éclaire.