Un continent invisible ?

« L’Océanie, c’est le continent invisible. » C’est ainsi que Le Clézio, dans son ouvrage Raga. Approche du continent invisible paru 2006, qualifie l’Océanie. Depuis, en se présentant comme le « premier président américain du Pacifique », Barack Obama, natif de Hawaï, a rendu plus perceptible cet espace. Le choix d’ouvrir cet atlas de l’Océanie par un planisphère du « Monde vu à l’envers »downmunder ») permet d’aborder la question de la représentation de ce continent d’îles. Cette carte, dont les Australiens et les Néo-zélandais se disputent encore la paternité, est la réponse apportée, dans les années 1970 pour « se démarquer d’une vision européenne ou américaine du monde ». Car au-delà de l’inversion du planisphère, la carte « downmunder » place l’Océanie au centre du planisphère et rend ainsi toute sa place à cet espace mal connu des Occidentaux. Situé aux confins du monde, l’Océanie ne cesse, encore aujourd’hui, d’entretenir l’image d’un espace à découvrir alors que, situé dans la région Asie-Pacifique, elle est « un des éléments essentiels à la compréhension des enjeux politiques et économiques » de la mondialisation.

Un continent convoité

L’anthropisation de cet espace par sauts de puce (de – 40 000 ans pour l’Australie à 1200 après JC pour l’Ile de Pâques), au fil des navigations guidées par les étoiles, amène à la mise en place d’un ancrage mythologique singulier (« Le temps du rêve » des Aborigènes d’Australie, par exemple). Au fur et à mesure des voyages de découvertes par les Européens, se construit le mythe du « bon sauvage ». Celui-ci devient la cible d’une évangélisation active opérée par les Eglises protestantes, qui accompagnent l’entrée du continent océanien dans les circuits commerciaux mondiaux, dès le XIXème siècle, parallèlement à son appropriation coloniale (plus ou moins heurtée). Choc microbien, introduction de nouveaux produits et de nouveaux modes de vie, comme la déportation d’une main d’œuvre océanienne dans les plantations du Queensland, des Fidji, de la Nouvelle Calédonie ou de Hawaï, déstabilisent les sociétés locales. La décolonisation tardive (années 1970 – 1990) comme le maintien de territoires dépendants de leur métropole font de l’Océanie un « laboratoire institutionnel et statuaire ». La diversité politique et économique de l’Océanie explique que les mobilités des habitants du continent soient très diverses (pôles émetteurs de flux comme récepteurs, en ce qui concernent l’Australie et la Nouvelle Zélande) et soient le reflet de la puissance économique des Etats régionaux. Aujourd’hui, l’Océanie est l’espace de conflits d’influence entre les Etats-Unis, la Chine, voire de l’Union européenne (politique d’aide européenne au développement des territoires ultramarins). L’Asie, et plus particulièrement la Chine, accroît son influence dans cet espace régional par le biais de la « guerre du carnet de chèques ». Il faut entendre par là la course engagée par la Chine et par Taïwan en Mélanésie et Polynésie dans le cadre de financements d’équipements publics. Par ailleurs, la Chine est le premier partenaire commercial de l’Australie (tant au niveau des importations que des exportations). L’Océanie est bien « le témoin privilégié des évolutions du rapport de force mondial au profit de la Chine et des puissances asiatiques. » dans le cadre actuel de la mondialisation.

Un continent aux défis nombreux

Si les défis économiques ne sont pas propres à ce espace (question du développement, par le biais du tourisme ou de l’exploitation des ressources), ce continent est le premier à avoir à gérer la question des réfugiés climatiques. La diversité de développement de la région fait que les conditions pour répondre à cette question sont très diverses. Mais, d’autres questions semblent encore plus urgentes à traiter : gestion des effets des essais nucléaires (reconnus tardivement par la France par la loi du 5 janvier 2010), sauvegarde d’un patrimoine naturel et culturel exceptionnel. C’est tout le défi de la promotion d’un développement durable. La protection de l’environnement ne doit pas se faire au détriment des populations. Il faut, pour cela, que puisse se développer une économie moins dépendante et que les populations puissent accéder, comme nous, aux communications. Atteindre les périphéries des périphéries pour un séjour touristique ou pas montre à quel point la distance exerce sa tyrannie. La révolution internet peut apparaître comme une des solutions à l’isolement, même si son développement passe par la mise en place de câbles sous-marins moins coûteux que les communications par satellites.
La mise en évidence de ces éléments de compréhension de cet espace régional fait de cet atlas un outil de vulgarisation appréciable. On regrettera toutefois que certaines des cartes ne comportent pas d’échelles (bien utiles pourtant pour donner une idée de l’effet de distance qui entre en ligne de compte dans le cas d’un continent archipel). De même, la bibliographie ne fait pas mention de l’Atlas du Vanuatu de Patricia Simeoni, pourtant récompensé en 2009 par le prix Léon Dewez (décerné par la Société de géographie). Sans aucun doute, l’expertise de cette cartographe aurait enrichi la qualité des documents présentés dans ce présent volume. Par ailleurs, la question de l’insularité est très peu centrale dans ce volume. Si les auteurs, au moment de l’écriture du volume, ne savaient, sans doute, pas que c’est la question qui a été retenue à Ulm pour le concours 2012 (Iles et insularité dans le monde), cela pose toutefois la question du peu de place laissé à cette notion dans leur travail. La question de la distance est abordée en filigrane dans l’ouvrage mais celle de l’insularité est pourtant centrale pour ce qui est du continent océanien. La raison à l’absence de cette approche est peut être à trouver dans la composition de l’équipe d’auteurs : un politologue, une historienne et seulement un géographe !

Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes

Lire la chronique de Mathieu Souyris sur le même ouvrage : http://www.clio-cr.clionautes.org/spip.php?article3615