Architecte américaine spécialiste du Japon, Naomi Pollock propose dans ce beau livre une très complète lecture de la maison japonaise depuis l’après-guerre. Structuré autour de photographies, dessins techniques et plans, l’ouvrage compte près de 400 pages et s’organise autour d’une lecture chronologique en décennies agrémenté de « focus » thématiques portant un regard précis sur chaque partie des bâtiments.

L’introduction générale révèle le fort besoin de logement au sortir de la guerre. La modernité matérielle s’accompagnera de transformations sociales : on quitte le format de la famille traditionnelle élargie pour aller vers le modèle « deux parents et deux enfants », on sépare le lieu de repos et le lieu de sommeil, on regarde vers l’avenir, l’Occident. La liberté est forte, du moins en apparence (les terrains sont fortement morcelés du fait de droits de succession très élevés), les bâtiments restent de superficie modeste en zone dense, le minimalisme et le fonctionnalisme restent de rigueur même si chacun aspire à une maison individuelle avec jardin.

En prenant l’axe chronologique, on apprendra qu’à la fin des années 1940, la reconstruction est à la fois un impératif et une opportunité. Les limitations sont sources d’innovation. Le bois domine car le reste n’est que peu disponible avec les pénuries. Les années 1950 voient le début des maisons préfabriquées et des immeubles d’habitation efficacement dénommés « nDLK » (« D » pour « dining », « L » pour « living », « K » pour « kitchen », « n » désignant le nombre de chambres). Les années 1960 font entrer le pays dans la société de consommation avec une architecture se voulant toujours plus futuriste. L’autoroute de Tokyo se construit et devient une artère centrale. On assouplit les restrictions de hauteur et arrivent les premiers gratte-ciels. Les JO de 1964 nécessitent des infrastructures (autoroutes, Shinkansen). Les premières cités dortoirs arrivent. Les années 1970 sont celles de la crise économique et du choc pétrolier avec, malgré tout, une poursuite stylistique dans la modernité et une ouverture à la mondialisation. Les années 1980 riment avec prospérité, Tokyo devient une place financière de premier plan et offre des constructions toujours plus chères qui ne sont pas sans exclure certains acheteurs potentiels. Les années 1990 replonge le pays dans la crise financière, des projets sont abandonnés avant leur terme mais l’Etat prend le relais des promoteurs privés en investissant massivement. Le séisme de Kobé de 1995 marque le pays. Les années 2000 excellent dans les constructions extravagantes mais aussi dans la réalisation de quartiers mixtes comportant des tours. La coupe du monde de football nécessite l’édification de divers stades. Les années 2010 sont marquées par la catastrophe de Fukushima en 2011 et l’avènement du « Cool Japan » en tant que soft power voyant sa popularité à l’international toujours croissante.

Le regard par les « focus » thématiques permet d’apprécier le « site » (le terrain a à la fois une valeur financière et spirituelle ; certains sites sont singuliers, en triangle, en « nid d’anguilles » allongé et étroit, en « mât » connecté à la rue par un couloir ; le respect de l’ensoleillement de chacun est une contrainte forte qui n’est pas sans stimuler la créativité), les « murs et portes » (grande flexibilité des cloisons à la fois pour être en harmonie avec la nature – quitte à être exposé au froid, au vent – et pour pouvoir réagir aux changements de contexte – la hausse de l’urbanisation peut amener à vouloir rechercher l’intimité), les « fenêtres » (en position basse pour être en accord avec le fait d’être à même le sol mais également hautes pour capter la lumière et garder le lien avec l’extérieur), les « escaliers » (qui peuvent servir de rangement), les « lieux d’hygiène » (WC très modernes, bains ritualisés, cuisines évoluant vers une assise sur chaises davantage qu’au sol), les « jardins » (petits mais indispensables, pensés pour être contemplés et non parcourus).

Enfin, le lecteur pourra lui-même dégager des tendances lors d’une lecture plus libre, la plus agréable, des nombreux portraits des maisons présentées dans l’opus. Citons entre autres : le rapport aux fréquents séismes (structure en « A » pour réduire l’emprise au sol ; le fait de panser les blessures de ces catastrophes en renforçant un bâtiment ayant été malmené sans le détruire), la forte connexion avec la nature (différents chalets à la montagne, en forêt, en bordure de lac ; adaptation aux saisons, à la topographie des lieux ; le recours aux plantes en pots en ville), la quête d’intimité, la typicité des lignes électriques non enterrées qui obligent à garder des distances de sécurité, le rapport au budget (le carton peut faire l’affaire, meilleur marché que le bois), l’utilisation des toits terrasses, de manière générale finalement l’optimisation du moindre mètre carré (niches, alcôves) dans les secteurs hyper denses.

L’ouvrage s’ouvre sur un avenir nécessairement empreint de réchauffement climatique avec des tendances positives à la rénovation et au réemploi ainsi qu’à l’utilisation de matériaux locaux.

Une riche mise au point sur la question de l’habiter japonais avec, sur la forme, un livre réellement splendide aux photographies de haute qualité, mises en valeur par une maquette sobre. Un réussite.