Nauru, l’île dévastée

Connaissez-vous Jared Diamond ? Ce biologiste américain a fait sensation en 2005 en publiant Collapse (« Effondrement » en Français) en montrant comment de nombreuses civilisations avaient été responsable de leur propre effondrement. Un effondrement provoqué par une inadéquation entre les besoins humains et les ressources naturelles. Aux Mayas, aux Vikings du Vinland et aux Polynésiens de Rapa Nui, Diamond aurait pu ajouter l’histoire édifiante de Nauru, îlot de 21km² perdu au nord du Pacifique sud, tant elle apparaît comme un concentré de « ce qu’il ne faut pas faire quand la fortune nous tend les mains ». Le journaliste Luc Foliet, qui raconte cette histoire, en convient lui même : l’histoire de Nauru est tellement ahurissante qu’elle pourrait facilement devenir une fable, si elle n’était pas vraie.

SOUS LES COCOTIERS, LE GUANO

Aléas du destin : en allant enquêter sur Nauru, Luc Foliet réalise un rêve d’enfant. Il avoue avoir éprouvé une forte fascination pour ces îles pacifiques perdues, et en particulier pour Nauru. Il fait donc le voyage en 2008 et rencontre les Nauruans. Presque tous au chômage, ces derniers n’apprécient rien de plus que de faire le tour de leur minuscule île plusieurs fois dans la journée, en voiture. Mais on est loin du temps où ils le faisaient à peu de frais. Désormais le gazole est rationné, les moteurs se fatiguent, les belles maisons décrépissent et certains Nauruans sont devenus trop gros pour monter en voiture, conséquence d’une obésité diabétique qui touche les 3/4 de la population. La bénédiction devenue malédiction, c’est le phosphate (ou guano, fiente d’oiseau accumulée sur des siècles et des siècles), présent en abondance à l’est de l’île et qui a été exploité de façon intensive depuis la fin de la seconde guerre mondiale jusqu’à la fin des années 90. Luc Foliet montre comment, en 1965, les Nauruans ont obtenu de gérer eux-même leur précieuse ressource en s’émancipant de la tutelle australienne.

DOLCE VITA A L’OCÉANIENNE

Ainsi Nauru va devenir un micro-état très riche, avec un PIB par habitant astronomique, entre 1970 et 1985 environ. Le phosphate est exporté en Australie et en Nouvelle-Zélande et, en retour, Nauru reçoit les produits agricoles développés grâce à cet engrais naturel. Nantis de revenus très élevés, les 15 000 Nauruans ne travaillent plus, investissent dans l’immobilier, achètent 4X4 sur 4X4, voyagent sur Air Nauru, mangent n’importe quoi, à n’importe qu’elle heure. Melbourne devient le lieu principal d’investissement de Nauru, où ils construisent le Nauru House, un immense gratte-ciel. L’île se creuse de plus en plus, jusqu’à l’os. Mais bientôt le phosphate vient à manquer. Hélas, les placements financiers, supposer assurer l’avenir, s’avèrent désastreux, et le personnel politique est plus intéressé par son propre pouvoir que par le sort des Nauruans, en particularité l’ancien président René Harris, qu’on croirait sorti tout droit d’un film de James Bond tant il est caricatural en politicien corrompu. Et avec la tête de l’emploi.

« THE HARDER THEY FALL »

En dix ans, le capital des Nauruans est dilapidé, et la banque du pays n’a plus de liquidités. Nauru servira alors de paradis fiscal pour mafieux, de centre de fabrication de faux passeports pour terroristes en goguette vers le World Trade Center, de centre de rétention de réfugiés pour le compte du gouvernement australien ou encore, moyennant finances, de « caniche japonais » dans le cadre des différents qui opposent Tokyo, Canberra et Wellington autour de la chasse aux baleines.
Le constat est amer : en 2009 Nauru est un État failli où le diabète fait des ravages, où les jeunes générations doivent réapprendre à pêcher, à entretenir une maison, à marcher cent mètres, où la culture océanienne ancienne a disparu.

L’ouvrage de Luc Foliet est court, mais il se lit d’un trait. Sa plume journalistique donne du relief à cette enquête qui est, en plus, très documentée. Une dernière lecture avant la rentrée, peut-être ?