Comme chaque année, Moyen-Orient sort en été son bilan géostratégique, avec un manque criant d’originalité sur la une : en 2012 on avait le golfe d’Aqaba vu du ciel, cette année on a droit au golfe de Suez en plus, et une partie de la mer Rouge ! Gageons qu’en 2014 ils nous mettront la Cyrénaïque et le golfe persique en plus…mais je fais mon difficile.

Car, comme d’habitude, tout le reste est impeccablement présenté, et de haute tenue dans les contenus. Il y a d’abord la revue de tous les pays de la région, de la Mauritanie à l’Iran, avec les faits politiques et économiques majeurs, une cartographie toujours pertinente et les données démographiques et économiques pour chaque pays. Je me suis par exemple amusé à chercher qui commerçait le plus avec la Chine, et bien il s’agit de la Mauritanie, avec 46% de ses échanges. Inutile de dire que les répercussions des Printemps Arabes font l’essentiel des contenus dans un monde arabo-musulman en mutation rapide (certains articles ne font pas encore état du renversement de Mohammed Morsi par l’armée). En introduction à ce panel géopolitique, on lira avec grand intérêt le « nouvel état de violence » décrit par Hamit Bozarslan, de l’EHESS, où l’auteur fait un parallèle entre le Moyen-Orient contemporain et celui des années 80 marquées par l’éclatement et les guerres civiles, le retour du l’identification confessionnelle (Chiites contre Sunnites) auquel s’ajoute, aujourd’hui, la difficulté pour les pouvoirs élus démocratiquement à se maintenir au pouvoir en Tunisie et en Égypte.

Ailleurs le magazine se fait plus culturel en évoquant le rôle des artistes tunisiens dans la transition du pays, avec toujours une menace en fond, et un point d’une artiste saoudienne, Rana Jarbou, sur les graffiti arabes et leur portée politique.

Encore une fois, les articles sont nombreux et tous excellents, mais j’en retiendrai trois qui ont particulièrement attiré mon attention. Il y a d’abord celui d‘Ecaterina Cepoi, chercheuse roumaine qui évoque le curieux ballet diplomatique que mènent les Émirats Arabes Unis et l’Iran, à la fois partenaires économiques (elle parle de « symbiose économique ») et adversaires confessionnels. Alliés inconditionnels des États-Unis, les Émirats font alors le grand écart entre leurs intérêts sécuritaires et leurs obligations économiques. Ils pourraient peser lourd dans les futures négociations qui pourraient survenir entre Occidentaux et Iraniens au sujet du nucléaire et de la sécurité globale de la région, d’autant plus que l’Iran reste un des rares pôles de stabilité de la région.

L’autre article est celui de Nicolas Meunier et de Juliette Simonin qui décrivent l’impact croissant des ultra-orthodoxes en Israël, un article qu’on pourra compléter par la lecture dans le numéro 1186 du Courrier International du point de vue de l’historien Ze’ev Sternhell. L’influence des ultra-orthodoxes, très actifs démographiquement, est en pleine contradiction avec les principes sur lesquels Israël a été fondé, non seulement les principes sionistes mais aussi les principes libéraux, sociaux et démocratiques inspirés des pays européens et des États-Unis, avec une opinion juive internationale qui a de plus en plus de mal à justifier la politique interne d’Israël où « la situation est plus tendue entre orthodoxes et non-orthodoxes qu’entre Juifs et Arabes » (Ehud Olmert). Un article à mettre en relation avec la résurgence des radicalismes religieux, qu’ils soient salafistes, bouddhistes, indous ou chrétiens.

Enfin le professeur de géographie que je suis a lu avec grand intérêt l’état des lieux du tourisme au Maghreb après le Printemps Arabe, où l’on voit que beaucoup de Marocains et de Tunisiens craignent sa remise en cause, avec les conséquences économiques que l’on imagine. C’est aussi l’occasion de voir qu’à la standardisation croissante des offres bon marché plage-souk-soleil émerge aussi un désir de « tourisme durable » (mais qu’est-ce qui n’est pas durable de nos jours?) et d’ouverture sur l’extérieur des clubs de vacances cadenassés, mais avec le risque d’évoluer dans des pays moins sûrs qu’auparavant, notamment en Tunisie. On trouvera à la page 83 une carte très complète du tourisme au Maroc et en Tunisie, avec une mise en perspective depuis les années 1970, ce qui pourrait permettre de faire un graphique en courbes. A méditer, donc.

On ne négligera pas évidemment les autres focus sur la Grand Sud algérien, sur la réforme difficile de la Jordanie et sur le sort des réfugiés syriens, ainsi que l’interview de Gilbert Achcar, auteur du très intéressant  Les Arabes et la Shoah (Sindbad, 2009), qui en posant son regard sur la politique extérieure des États-Unis au Moyen-Orient nous donne en fait un cours complet de géopolitique locale. Cet homme est brillant !

http://www.moyenorient-presse.com/?page_id=14

Mathieu Souyris, collège de Plum, Mont-Dore, Nouvelle-Calédonie