Si le premier des ODD de 2015 prévoyait l’éradication de la faim pour 2030, la FAO alertait en 2019 sur la progression du phénomène. Un monde sans faim est un ouvrage collectif sous la direction de deux sociologues, Antoine Bernard de Raymond et Delphine Thivet. Il présente les évolutions récentes de la question de sécurité alimentaire. Peut-on parler de nouvelles manière de penser la question en ce début de XXIe siècle ?

Depuis la crise de 2008, hausse des prix agricoles et révoltes de la faim dans de nombreux pays, la question de la sécurité alimentaire est revenue sur le devant de la scène avec l’idée d’une réforme de la gouvernance internationale. Cette question mobilise aussi des ONG et les sociétés civiles contre les accaparements de terres. Toute étude doit désormais prendre en compte la perception des acteurs pour analyser les trajectoires à long terme au-delà du moment même de la crise. Antoine Bernard de Raymond et Delphine Thivet, dans leur introduction, replace la question de la faim dans un contexte historique plus large ; de la fin du XIXe siècle quand apparaît la notion de ration alimentaire, la création de la FAO en 1945, la crise des années 1970, l’affirmation des mouvements paysans face au néolibéralisme. La faim est-elle un problème de production agricole ou une question de santé/environnement ? Quelle échelle internationale, nationale, régionale est la plus pertinente pour les études, pour les interventions ?

En 2013 le Comité permanent des Nations unies donnait cette définition de la sécurité alimentaire et nutritionnelle : « La sécurité alimentaire et nutritionnelle existe lorsque toutes les personnes ont, à tout moment, un accès physique, social et économique à une nourriture dont la quantité consommée et la qualité sont suffisantes pour satisfaire leurs besions énergétiques et leurs préférences alimentaires, et donc les bienfaits sont renforcés par un environnement dans lequel l’assainissement, les services de santé et les pratiques de soins sont adéquats, le tout permettant une vie saine et active. » (p. 33).

Ce ne sont pas moins de neufs chapitres argumentés et complétés d’une bibliographie qui composent l’ouvrage.

Modéliser pour mobiliser – le futur de l’alimentation mondiale

Vincent Cardon et Gilles Tétart abordent les questions de prospectives après 2008 et analysent le slogan « Nourrir le monde en 2050 », et son rôle dans la mobilisation des acteurs. Ils présentent les modèles économiques et les marchés agricoles, longtemps calqués sur l’idée que la productivité agricole était liée à la croissance économique : la croissance des classes moyennes assure un débouché pour la production. Dès lors le transfert de technologie Nord-Sud devait assurer le développement du Sud, c’est le modèle de la Révolution verte. Les auteurs montrent l’existence d’une réflexion sur des contre-modèles et donc de deux scénarios pour le futur de la sécurité alimentaire.

Global Food Secutity, politique des sciences et stratégies de compétitivité agri-tech

Antoine Bernard de Raymond s’intéresse aux enjeux sanitaires et environnementaux. Il présente le concept de Global Food Secutity : faut-il une augmentation de la production pour nourrir des humains toujours plus nombreux ou modifier les systèmes alimentaires et rééquilibrer l’offre et la demande ?

Il s’appuie sur une étude de cas : le Royaume-Uni avec une réflexion sur la notion d’intensification durable : augmenter la productivité tout en réduisant les atteintes à l’environnement, sans extension des terres cultivées. La solution est recherchée du côté de la compétitivité des agri-tech, avec une critique sous-jacente de l’agriculture biologique et une redéfinition du principe de précaution (mise en balance du risque santé/environnement et du risque production/prix).

Le Comité de sécurité alimentaire mondiale dix ans après la réforme

Jessica Dincan, Nadia Lambek et Priscilla Claeys étudient la réforme du CSAComité de la sécurité alimentaire des Nations-Unies et plus spécialement l’inclusion de la société civile dans les débats. La réformeSchéma p. 102 vise à créer un groupe d’experts, interface entre la science et la politique ce qui ouvre le CSA à des acteurs non-étatiques : sociétés civiles, peuples autochtones mais aussi représentants du secteur agro-alimentaire. Les auteurs tentent un bilan de l’action du CSA notamment en ce qui concerne les instruments internationaux relatifs aux droits humains, sans occulter les obstacles à la négociation et l’évolution de la place de ces droits, entre politisation et dépolitisation du débat.

Produire plus pour nourrir le monde – Processus et enjeux politiques d’un mot d’ordre global

Eve Fouilleux, Nicolas Bricas et Arlène Alpha analysent le rôle de la FAO, de la Banque mondiale dans le renforcement de l’idée de productivisme agricole. Il s’agit d’analyser les évolutions du concept de sécurité alimentaire depuis les années 1970. Il est rappelé que la crise de 2008 n’est pas liée à de mauvaises récoltes et que d’autres facteurs sont à l’origine de l’insécurité alimentaire. Pour tant la solution « productionniste » domine.

Les auteurs revisitent la disponibilité alimentaire depuis la Seconde guerre : émergence de la notion de sécurité alimentaire à la Conférence de Hot-Springs en1943. Ils analysent les instruments de mesure, l’arrivée des firmes transnationales dans le débat, les actions de lobbying des donateurs comme des destinataires de l’aide alimentaire et l’émergence des mouvements paysans.

Fragmentation et privatisation de la gouvernance mondiale et la sécurité alimentaire – Le retour du productivisme

Pierre-Marie Aubert montre la privatisation de la gouvernance de la sécurité alimentaire du fait de la place croissante des entreprises sur les marchés et le recul de toute dimension politique. Le problème ne serait plus qu’une question d’investissements fonciers. Il met en évidence la place de plus en plus grande de coalitions multi-acteurs qui fragmentent la gouvernance de la sécurité alimentaire. A partir de 2002 il y a une prolifération des plate-formes multi-acteursPrésentation des principales entreprises impliquées dans au moins quatre plateformes – enquête en 2015-2016, p. 164-165 comme le Global Alliance for Improved Nutrition (GAIN) de Bill Gates avec un financement de la Banque mondiale (p. 157 et suiv.). Cette évolution est mise en relation avec le RSE des entreprises. Trois facteurs expliquent cette évolution qui renforce le poids de l’agro-industrie: les investissements nécessaires du secteur privé, la gestion du risque réputationnel des entreprises, la modernisation des filières agricoles.

L’engouement international pour les terres agricoles – Vers un nouveau front productif ?

Mathieu Brun et Sina Schlimmer consacrent leur contribution à l’accaparement des terres par des entreprises transnationales depuis les années 2000. En forte croissance dans des pays très pauvres avec une faible protection du régime foncier. Les auteurs constatent de nombreux échecs liés à la faiblesse des infrastructures. Ils montrent le rôle des investisseurs mais aussi les politiques incitatrices de certains États. L’analyse des effets sur la sécurité alimentaire montre que malgré les effets d’annonce, peu d’emplois sont créés et que, par contre, on assiste à la destruction des écosystèmes. Il existe quelques tentatives de régulation internationale. Un point à retenir : la grande hétérogénéité des situations.

De la lutte contre la faim à la promotion de la sécurité alimentaire et nutritionnelle au Brésil

Florence Pinton et Yannick Sencébé se penchent sur la politique menée par le président Lula, une politique qui associait santé publique et nutrition dans un pays où s’opposent grands agro-exportateurs et petits paysans. L’analyse permet de montrer le rôle possible d’un État gros producteur et exportateur de produits agricoles mais confronté à de fortes inégalités sociales d’accès à l’alimentation. Les auteurs décrivent le contexte des luttes agraires et la situation politique. Ils décrivent le projet SISAN, transversal, décentralisé et participatif, un vrai combat contre la faim (Bolsa familia). Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?

Aide internationale et sécurité alimentaire

Arlène Alpha et Antoine Bernard de Raymond analysent les transformations récentes de l’aide alimentaire après le G8 de l’Aquila en 2009 au cours du quel les États se sont engagés à investir 20 milliards de dollars dans l’agriculture en 3 ans. On constate deux réflexions : les crises sont vues comme conjoncturelles ou la prise en compte des aspects structurels où nutrition et santé sont l’axe majeur. Les auteurs analysent le rôle des acteurs de l’aide au développement dans la diffusion de la notion de résilience s’appuyant sur des politiques transversales. Y-a-t-il ou non une séparation entre les politiques productivistes et les politiques de résilience ? L’analyse porte sur la stratégie de plaidoyer pour la nutrition en Afrique de l’Ouest dans les années 2010. Les auteurs montrent l’importance de l’approche d’intégration régionale et développent l’exemple burkinabé.

La constitutionnalisation d’un droit à l’alimentation en Inde

Delphine Thivet aborde la question du droit à l’alimentation dans de nombreux pays en proposant une étude approfondie du cas indien. L’échec des programmes publics 1999-2000 ou « le scandale de la faim au milieu de l’abondance » (p. 259) a débouché sur une mobilisation des acteurs de la société civile, la judiciarisation de la gouvernance de la sécurité alimentaire et la reconnaissance institutionnelle : loi nationale de sécurité alimentaire en 2013.

D’une exception agricole vers une démocratie alimentaire, telle est la question posée en postface par François Collart Dutilleul.

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2021 étant l’année d’un sommet sur les systèmes alimentaires ne nombreux documents pourront enrichir la réflexion et un cours sur le sujet :

ONU 2021

Sommet sur les Systèmes alimentaires

https://www.un.org/sites/un2.un.org/files/press_release_2_ms_commitments_final_fr.pdf

et plus spécialement sur l’Afrique

L’Afrique répond au Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires

https://docs.google.com/document/u/1/d/e/2PACX-1vQW7Arh-O6tUviLLPOeabL81LZgUN37w846OMU0bLQDTFghP0BEcJfPTrsApI8-JgR-iKlwvcY-knNa/pub

Le rôle croissant du secteur privé dans les politiques agricoles et alimentaires en Afrique.
Contexte, formes et enjeux.

https://www.inter-reseaux.org/wp-content/uploads/ir-issala-sos_note_secteur_prive_fr.pdf

Souveraineté alimentaire : quels enjeux pour des échanges équitables avec l’Afrique de l’Ouest ?

https://uneseuleplanete.org/Souverainete-alimentaire-quels-enjeux-pour-des-echanges-equitables-avec-l?var_mode=calcul

La série « Fact Sketching » est réalisée en collaboration avec Cartooning for Peace (Dessins pour la Paix). Chaque mois, un dessin accompagné d’un texte offre un regard alternatif sur les enjeux au Sahel et en Afrique de l’Ouest. Sécurité alimentaire et nutritionnelle

Par Cartooning for Peace  illustrations

Sur la place des femmes

Numéro°80 : Savoirs féminins, quelle contribution à la sécurité alimentaire ?

https://www.inter-reseaux.org/publication/numero80-savoirs-feminins-quelle-contribution-a-la-securite-alimentaire/

La démarche « Tylay  » au Burkina Faso : auto-découverte et mise en valeur des savoirs féminins

https://www.youtube.com/watch?v=cqlDBTqkh8M