Histoire détaillée du département des Alpes-Maritimes pendant la période 1939-1945
Le département des Alpes-Maritimes, aujourd’hui souvent synonyme de lieu de vacances ou de villégiature agréables a eu pendant la deuxième guerre mondiale une histoire complexe et agitée. Sa proximité avec une Italie qui en revendique les deux-tiers et avec laquelle la France fut brièvement en conflit en 1940 en avait fait une zone très militarisée et sa capacité d’accueil, un lieu de refuge pendant l’exode puis à l’intérieur de la zone sud. Le faible développement de son agriculture, sa dépendance des sources d’approvisionnement extérieure en fit un département qui a particulièrement souffert des pénuries jusqu’au moins en 1948. Terre de refuge pour de nombreux israélites dans un premier temps, la politique de Vichy et les rafles organisées par Alois Brunner en font le deuxième département pour le nombre de déportés. Encore lieu de combat après le débarquement en Provence, sa partie orientale le reste jusqu’en mai 1945.

Jean-Louis Panicacci, aujourd’hui Maître de Conférences honoraire et Président des Amis du Musée de la Résistance Azuréenne recueille depuis plus d’une quarantaine d’années documentation et témoignages portant sur le Sud-est pendant cette période. Il a publié de très nombreux articles et ouvrages, les derniers en date relatifs aux occupations de novembre 1942 à la Libération : En territoire occupé. Italiens et Allemands à Nice 1942-1944 
, Paris, Vendémiaire, 2012 (CR n°4014 cliothèque, mai 2012 et L’occupation italienne dans le sud-est (CR n°3241 cliothèque, décembre 2010). Directeur de recherches, son activité de chercheur a, d’autre part, été amplifiée par les travaux de ses étudiants et le recueil de très nombreux témoignages a enrichi et complété ce qui se savait déjà, parfois en modifiant quelques perspectives.
Changeant son échelle d’analyse, il propose aujourd’hui Les Alpes-Maritimes dans la Guerre 1939-1945 , qui reprend en faisant beaucoup plus que le remettre à jour Les Alpes-Maritimes de 1939 à 1945. Un département dans la tourmente SERRE éditeur, paru en 1989. La comparaison des sources et de la bibliographie est d’ailleurs éloquente et permet de mesurer tout ce qui a avancé dans la connaissance de la période dans ce département.
Le livre se compose de cinq chapitres qui correspondent aux grandes phases de la chronologie, « De la mobilisation à la démilitarisation », « Un département sous influence maréchaliste », « L’occupation italienne », « L’occupation allemande » et « La Libération », suivis d’une courte conclusion sur la période et d’un épilogue menant le lecteur jusqu’aux conséquences tardives de la période. Le livre est complété par une trentaine de pages d’annexes, tableaux divers, proclamations, reproductions de rapports, un index des noms de lieux, un index des noms de personnes, une abondante bibliographie de plus de 250 titres et les références de près de 800 notes qui précèdent une table des matières détaillée. Autant dire qu’il permet divers types de lecture et de recherches.

L’introduction campe tout d’abord l’état du département en 1939 sous tous ses aspects, de l’économie à la tentative de lancement d’un festival du cinéma, de la vie mondaine au renforcement des défenses de la Ligne Maginot des Alpes.

Le premier chapitre commence donc avec le rappel progressif des réservistes, puis la mobilisation générale et les différentes mesures prises pour se préparer au conflit. L’inquiétude est grande quant à la position de l’Italie, la « sœur latine » dont l’attitude par moments menaçante avait conduit à renforcer les fortifications de la frontière. Au début de la « drôle de guerre », plusieurs dizaines de milliers de soldats étaient présents dans le département, artilleurs de forteresse, chasseurs alpins, soldats d’infanterie mais dès l’offensive allemande, de nombreux prélèvements ont été effectués pour renforcer les effectifs dans le secteur Nord-Est. Ce que montre aussi l’auteur, c’est que l’ampleur des répercussions socio-économiques dès l’entrée en guerre furent importantes, fermetures d’entreprises, mobilisation d’une partie de la main-d’œuvre, dans un département où la fonction d’accueil incompatible avec une situation de guerre occupait une place considérable. Sur le plan politique, une première épuration touchait aussi les milieux communistes et syndicalistes.
L’entrée en guerre de l’Italie, qualifiée de « coup de poignard dans le dos » qui touche directement, de plus, un département où la population italienne ou d’origine italienne était particulièrement nombreuse, provoqua toute une série de mesures d’évacuations, notamment à Menton et dans les villages proches de la frontière tout en prévoyant des dispositifs plus radicaux alors que les spécialistes du Génie détruisaient progressivement les accès entre Italie et France.

Au moment des premières opérations, un peu plus de 50000 hommes côté français faisaient face à 150000 Italiens qui pouvaient compter sur quatre divisions de réserve, mais après les premiers accrochages, la solidité du dispositif de la ligne Maginot permit de résister à la poussée italienne. Aussi l’annonce de l’armistice, globalement acceptée dans le département lorsqu’il s’agissait de l’Allemagne, fut mal perçue quant au résultat de l’affrontement avec l’Italie, car tout comme dans le Nord des Alpes, les gains territoriaux italiens avaient été négligeables, les pertes du côté français avaient été beaucoup moins importantes et la ligne de défense avait tenu. Le tracé de la « ligne verte » d’armistice mettait désormais en zone italienne Menton et Fontan et quelques hameaux de montagne. Les destructions avaient été importantes dans certaines zones, Menton notamment, à la suite des démolitions préventives et des duels d’artillerie. Les manifestations d’allégeance au Maréchal se multipliaient d’autant plus que l’appartenance à l’Etat français paraissait primordiale dans un département sous la menace des revendications mussoliniennes.

Jean-Louis Paniccacci intitule donc logiquement son deuxième chapitre : « Un département sous influence maréchaliste (10 juillet 1940-10 novembre 1942) ». C’est à Nice « Fille ainée de la révolution nationale » que fut organisée le grand rassemblement de la Légion Française des Combattants du département qui à ses débuts comptait plus de cinquante mille adhérents soit un peu moins de 10% de l’effectif de sa population. La LFC procéda à un étroit contrôle des municipalités et des administrations et se livra à un intense effort de propagande mais ses effectifs fondirent assez rapidement. Dès 1940 la propagande et les actions antisémites se multiplièrent exacerbées par la présence de nombreux israélites réfugiés notamment à Cannes et Nice mais les actions violentes détournèrent progressivement la population de la Légion, tout comme l’accélération de la collaboration toujours plus présente. Le Service d’Ordre Légionnaire créé l’été 1941 se caractérisa par des actions violentes notamment antisémites.
Une manifestation de plus de la marche à la collaboration se produisit en août 1942 : la rafle des juifs étrangers faisant suite à la rafle parisienne de juillet. Jean-Louis Panicacci note que cet épisode « marque un tournant incontestable dans l’évolution de l’opinion azuréenne » par son caractère odieux. La propagande encore timide de la Résistance diffuse encore davantage les informations sur ces rafles.
L’année 1941 vit le balbutiement de différents groupes qui ne pouvaient que pratiquer une résistance politique à la fois au gouvernement de Vichy et aux prétentions italiennes que matérialisait la présence de soldats italiens de la commission d’armistice et la poursuite du démantèlement de la ligne Maginot des Alpes tandis que les discours annexionnistes inquiétaient la population. Il est vrai que l’italianisation à marche forcée de Menton donnait à réfléchir alors que se créaient à Nice les Gruppi d’Azione Nizzarda encadrant tous les irrédentistes.
Dans ce département se raccrochant à Vichy par peur de l’Italie fasciste, le ralentissement progressif de l’activité devenait source de pénuries grandissantes alors que la présence de nombreux artistes réfugiés en zone sud provoquait un regain de la vie culturelle. C‘est dans cette ambiance que le débarquement allié en Afrique du Nord entraîna l’occupation de la zone dite libre, la partie sud-est relevant des Italiens soit huit département au premier rang desquels le plus proche et le plus revendiqué par Mussolini, les Alpes-Maritimes.

Le troisième chapitre, « L’occupation italienne (11 novembre 1942-septembre 1943) » est donc consacré à cette période de quelques mois. Jean-Louis Panicacci avait déjà proposé une synthèse à d’autres échelles, soit par L’occupation italienne dans le sud-est qui était consacré aux huit départements concernés, soit par En territoire occupé. Italiens et Allemands à Nice 1942-1944 qui s’intéressait essentiellement à la ville de Nice. L’échelle départementale lui donne l’occasion d‘être à la fois beaucoup plus précis que dans le premier ouvrage cité et d’étendre son analyse à l’ensemble des Alpes-Maritimes.
Tout comme à Nice, l’arrivée des unités de l’armés italienne qui n‘avaient pas réussi à percer le front en 1940 fut perçue comme une anomalie et une injustice. La plus grande inquiétude se manifestait dans l’ancien comté de Nice, rattaché à la France moins de cent ans plus tôt.
L’entrée des troupes italiennes se déroula dans une indifférence assez générale, souvent méprisante malgré la présence dans le département de plusieurs dizaines de milliers de transalpins de nationalité ou d’origine. Autorités françaises mises en place par Vichy et commandement italien s’opposèrent souvent, la personnalité du préfet Ribière, soucieux de défendre ses prérogatives, n’arrangeait rien. Deux éléments ressortent surtout de cette période : ferme répression des Résistants, parmi lesquels des anti-fascistes italiens et politique beaucoup plus tolérante à l’égard des juifs que les autorités de Vichy, toujours attachées à les pourchasser pour les livrer aux autorités allemandes. La relative protection dont la population israélite bénéficiait accentua progressivement la concentration des réfugiés, surtout dans les grandes villes de la côte.
Alors que la propagande incitant à la collaboration se développait, la désaffection progressive à l’égard des autorités de Vichy se développait parmi les responsables et la population.
C’est dans ce contexte qu’intervint la déposition de Mussolini, puis après un temps d’hésitation, la capitulation italienne et malgré quelques accrochages avec les troupes allemandes, la fuite vers l’Italie des Transalpins permit aux Allemands d’occuper rapidement les Alpes-Maritimes et Nice, faisant tomber par là la menace du rattachement à l’Italie. Même la région de Menton, directement administrée par les Italiens et où la monnaie italienne avait été introduite, revenait sous la fiction de l’administration française mais une partie des plus de trente mille juifs, réfugiés ou autochtones cherchèrent à échapper à «ce refuge transformé en nasse » selon la formule de Philippe Erlanger.

L’occupation allemande, provoqua à la fois moins de concentration de troupes et fut perçue par une partie de la population d’abord avec soulagement, puisque tombait l’hypothèque d’une annexion partielle par l’Italie, alors que la population de confession israélite essayait d’échapper à l’arrestation qui menait à la déportation. Cette armée d’occupation, plus disciplinée, provoqua moins d’incidents au début avec la population avec laquelle elle avait d’ailleurs moins de contacts que les soldats italiens. Cependant, très vite les rafles modifièrent cette image. Cette chasse aux juifs, cette fois-ci directement contrôlée par les autorités allemandes aidées par des collaborateurs zélés aboutit à l’arrestation et à la déportation de plus de 3000 juifs malgré une participation très variable des forces de l’ordre et des autorités locales. Des aides diverses permirent de cacher des juifs, de leur fournir de faux papiers (une officine fonctionnait par exemple à l’évêché) sans pouvoir protéger tout le monde.

Dans le même temps, la guerre se faisait plus proche, car la hantise d’un débarquement de la part des troupes d’occupation conduisit les occupants à fortifier tout le front de mer comme dans les départements voisins. La fréquence des bombardements aériens augmenta fortement surtout en 1944. La Résistance était passée des distributions de tracts à des actions armées ponctuelles pendant l’occupation italienne malgré un équipement très insuffisant et avait bien du mal au début à se structurer autour des différentes mouvances qui la composaient. Les arrestations, tortures suivies de déportations ou d’exécutions qui la frappèrent n’arrêtèrent pourtant pas son action.

La confiscation de terres agricoles pour les besoins de la défense de la « forteresse Europe » s’ajoutant aux destructions des ouvrages d’art entraîna une situation de pénurie qui aggravait encore les conséquences de l’arrêt des importations en provenance d’Afrique du Nord depuis novembre 1942. Le terme de famine est même utilisé par plusieurs contemporains et l’aide à de nombreuses familles par le biais de soupe, de fourniture de maigres quantités de produits alimentaires se développa.
La pénurie persistera d’ailleurs au-delà de la Libération et même de l’année 1945.

Le débarquement et la Libération: avant même le débarquement de Provence des groupes de maquisards s’étaient assurés du contrôle de villages, parfois temporairement puis le soulèvement s’était plus généralement répandu dans l’arrière-pays, parfois en coordination avec les officiers de liaison alliés arrivés sur place. La progression des troupes alliées du Var vers les Alpes-Maritimes est restée lente et ponctuée de soulèvements de soutien à Grasse, Cannes ou Antibes. Le 28 août la capitale azuréenne chassait ses derniers occupants par «ses propres forces puisque les compagnies FFI ayant combattu à Levens ne parvinrent que le lendemain matin et les parachutistes américains ne firent leur entrée que le surlendemain », « à la fois par un soulèvement patriotique », ce qui ressemblait « à une journée révolutionnaire », selon un processus que Jean-Louis Panicacci détaille avec sa précision habituelle. Il s’attache ensuite à dépeindre les différents aspects de l’après-départ des troupes d’occupation, de la relève politico-sociale à l’épuration et à la renaissance de la presse. L’intégration d’une partie des FFI au sein de l’armée, tout comme la poursuite des combats dans l’arrière-pays sont aussi l’objet de son attention ainsi que la reprise du processus électoral, la reconstruction et les problèmes de ravitaillement persistants.

La conclusion se présente en terme de bilan des années 1939-1945, alors que l’épilogue se termine par les traces toponymiques et mémorielles auxquelles Jean-Louis Panicacci avait déjà consacré un ouvrage. Les riches annexes comportent à la fois des statistiques, des textes administratifs ou autres comme « la ballade des pendus » à la mémoire des FTP Torrin et Grassi pendus devant les arcades au bas de l’avenue de la Victoire (aujourd’hui avenue Jean Médecin). Deux index des noms de personnes et des noms de lieux permettent une recherche ponctuelle alors que parsemant le texte, des croquis géographiques très clairs et des reproductions photographiques peu courantes illustrent le propos. La bibliographie est abondante est très récemment mise à jour, enfin les 798 notes sont aussi bien des renvois à des ouvrages, des articles, des documents extraits de dossiers d’archives, tout comme des références d’entretiens avec des témoins qui se sont échelonnés sur plusieurs décennies. Ces notes contiennent aussi des extraits de textes ou de ces mêmes témoignages dont la présence dans le texte l’aurait probablement trop alourdi.

Ce livre très complet est donc désormais indispensable pour toute étude de la période dans l’extrême sud-est. Il contient non seulement une présentation mise à jour des grandes lignes de ces moments sombres mais fourmille de détails ce qui fait que sa lecture peut se faire à différents niveaux, même si les contraintes éditoriales ont reporté les notes en fin de volume et si l’emploi de sigles (dont un glossaire figure en début de volume) ralentit parfois la lecture.
Alain Ruggiero pour la Cliothèque