Dans ce livre, Valérie Toureille, nous démontre que les mentalités ont évolué profondément sur ce qui est ou non considéré comme un crime, et sur la nature des châtiments.
Par exemple, l’assassinat considéré aujourd’hui comme le plus répugnant des crimes, ne suscite pas toujours la réprobation au Moyen-âge. Pour peu qu’il soit lié à une question d’honneur, il peut même être parfaitement excusable. Saint Louis par exemple pardonne et juge courageux un clerc qui a tué 3 sergents du Châtelet pour se venger, et l’invite à la croisade avec lui
De même, la prison, aujourd’hui incontournable comme châtiment, est vue comme une simple attente du jugement, la détention est éphémère, souvent un ou deux jours; et deux semaines constituent le maximum.
A l’inverse les châtiments corporels sont la norme. La mutilation de l’oreille est la plus répandue. La castration attend le violeur et l’ablation de la langue le calomniateur ou le blasphémateur. Charlemagne édicte : « A la première fois, le voleur ne mourra pas, mais il perdra un œil ; à la deuxième fois, on lui coupera le nez et à la troisième fois, il mourra. » L’écartèlement est réservé aux coupables de crime de lèse-majesté. Le châtiment dépend aussi de la classe sociale : le vilain est pendu quand le noble est décapité.

Pire que l’assassin, le félon

Le pire des hommes n’est pas l’assassin mais le traître ou le voleur car il casse le ciment de confiance sur laquelle la société est bâtie. Dans la Chanson de Roland, Ganelon, le prototype du traître est écartelé entre quatre chevaux. Dans la légende d’Arthur, c’est Mordred le traître qui déclenche la guerre contre son seigneur légitime. Tuer quelqu’un en embuscade ou provoquer un incendie, qui risque de ravager la cité, est donc particulièrement odieux. Empoisonner est totalement abject et provoque des psychoses contre les juifs ou les lépreux, accusés d’empoisonner les puits.
Enfin la peine de mort est rare jusqu’au XIVème siècle, on lui préfère le bannissement ou l’amende. La mauvaise réputation amène à l’exclusion de la société : les villes bannissent donc les individus jugés menaçants, comme les artistes, les vagabonds, les pauvres sans attache et les prostituées.
L’élimination définitive est réservée aux cas les plus graves : lèse majesté, actes sexuels contre nature, incendie ou avortement. Une femme ne peut être pendue, elle a comme châtiment l’enfouissement car, par pudeur, son corps ne saurait être vu. Le bûcher est infligé aux hérétiques, aux sacrilèges, aux sorciers, aux incendiaires et aux bougres (homosexuels).Les flammes du bûcher, anticipant sur celles de l’enfer sont vues comme purificatrices.
Qui sont les criminels ? La jeunesse est surreprésentée dans les crimes. On trouve entre 40% et 60% de moins de 25 ans entre le Vème et le XVème siècle. On trouve des voleurs à partir de 12/14 ans, mais rarement en dessous de 10 ans. Les femmes sont sous-représentées avec entre 13% et 18% des cas, souvent du recel, des vols alimentaires ou des vols de domestiques.

Vers un durcissement

Où ont lieu les crimes ? Dans les tavernes, les bordels, les cimetières et des ruelles mal fréquentées comme la rue de la Grande Truanderie à Paris.
Quand y a-t-il un durcissement des châtiments ? La Peste Noire de 1348/1349 et la guerre de Cent Ans, de 1337 à 1453, marquent une rupture car le cadre de la société implose. Les routiers, les brigands et les vagabonds provoquent de nouvelles terreurs. L’Etat instaure une armée permanente en 1439 avec Charles VII « pour remédier et faire cesser les grands excès et pilleries faites et commises par les gens de guerre. » En 1445, on condamne nettement le brigandage, violence intolérable, séparée des violences tolérées des hommes de guerre. En 1448/1449, on crève les yeux d’une bande de mendiants parisiens spécialisés dans le rapt d’enfants, pour faire exemple et rétablir l’ordre. Entre 1455 et 1463, la « bande des Coquillards », dont le fameux François Villon est démantelée. C’est le premier jalon des associations criminelles structurées et codifiées. Après 116 ans de guerre, la cessation des hostilités a rendu à la vie civile des hommes qui n’ont d’autres expériences que la violence, le pillage, le massacre et la guerre. Ils sont des « incorrigibles larrons » qu’on appellerait aujourd’hui des multirécidivistes.

En conclusion, la Guerre de Cent Ans a transformé des hommes en brutes, comme le célèbre Gilles de Rais. Cette mutation engagée annonce un XVIème siècle beaucoup plus violent. La société traditionnelle où tout le monde se connaît s’estompe ; le Moyen-âge pacifique et bon enfant a vécu.
L’époque suivante sera plus, elle connaîtra la Chasse aux Sorcières et le Grand Enfermement des pauvres et des fous.