S’inscrivant pleinement dans le champ de l’histoire globale, la Nouvelle Histoire du Moyen Âge publiée aux éditions du Seuil en 2021 est un projet collectif dirigé par Florian Mazel, professeur d’histoire médiévale à l’Université de Rennes 2, spécialiste de la société féodale, dont les recherches portent sur l’aristocratie et l’Église. Florian Mazel s’est entouré d’une cinquantaine de spécialistes qui ont contribué, dans leurs domaines respectifs, à la rédaction de cet ouvrage. À travers leurs contributions, les différents auteur∙trice∙s offrent aux lecteurs des clés pour une meilleure compréhension du continent européen actuel, en présentant les recherches les plus récentes sur le Moyen Âge. Les différents articles permettent de prendre conscience des diverses mutations que traverse l’Europe latine, jusqu’aux ruptures qui interviennent au seuil du XVIe siècle, à savoir la découverte du Nouveau Monde et l’irruption de la Réforme protestante au sein du monde chrétien. Cette histoire est présentée comme « nouvelle » par Florian Mazel, car les ouvrages de synthèse sur le Moyen Âge à l’échelle de la chrétienté occidentale tels La Civilisation de l’Occident médiéval de Jacques Le Goff ou encore l’Enfance de l’Europe de Robert Fossier commencent à daterNotons toutefois, la publication de l’Occident médiéval. D’Alaric à Léonard de Joël Chandelier édité chez Belin dans la collection Mondes Anciens, dirigée par Joël Cornette, qui est sorti en librairie à peu près dans les mêmes temps.. Les auteur∙trice∙s cherchent à élargir les horizons, tout en actualisant les savoirs et en donnant une nouvelle interprétation de la période historique. Fort de plus d’un millier de pages, l’ouvrage s’articule en trois parties. Les deux premières sont chronologiques et abordent successivement « Le Premier Moyen Âge. La sortie du monde antique (Ve siècle – milieu XIe siècle) » et « Le Second Moyen Âge. L’avènement d’un nouveau monde (milieu XIe – XVe siècle) ». À la différence des deux premières, la troisième partie, thématique, permet aux auteur∙trice∙s de développer des sujets transversaux comme l’alimentation, les émotions, les paysages, la solitude, les temps et bien d’autres encore.
Un regard nouveau sur la période médiévale
Dans l’introduction, Florian Mazel (pp. 5-9) expose les raisons qui ont motivé les différents historien∙ne∙s à participer à cette aventure éditoriale. L’une d’entre elles tient à l’habitude que l’on a en France d’aborder l’histoire du Moyen Âge par l’histoire nationale, alors même qu’elle devrait être européenne. Cette façon d’appréhender la période médiévale, uniquement à travers le prisme de l’État monarchique français, comporte par conséquent un certain nombre de biais ou de difficultés. Cette situation conditionne l’oubli d’espaces européens qui connaissent des trajectoires différentes (les espaces sans monarchies, ceux où les monarchies sont faibles ou contestées, ou encore les espaces impériaux à l’Est), mais surtout l’oubli de l’Église dans sa dimension totale. Florian Mazel explique que les grands noms de l’histoire médiévale comme Georges Duby ou Jacques Le Goff ont souvent proposé une histoire du Moyen Âge globale au travers de la geste monarchique des Capétiens, ce qui a également conditionné la chronologie de la période. Si depuis une trentaine d’années les chercheur∙euse∙s ont dépassé la segmentation traditionnelle de l’histoire médiévaleHaut Moyen Âge jusqu’à l’an mil avec la crise seigneuriale ; Moyen Âge central jusqu’au XIIIe siècle, l’essor de la monarchie ; bas Moyen Âge, le temps des crises., celle-ci est encore largement présente dans les programmes du second degré. Il y a donc, pour les auteur∙trice∙s de l’ouvrage, un enjeu important à renouveler ce modèle, en élargissant le spectre à l’échelle de l’Europe, pour éviter de s’enfermer dans une vision franco-française. Cela implique également de faire passer au second plan la question de l’État pour davantage prendre en compte le rôle structurel de l’Église au sein de la société médiévale.
L’Église au centre de l’ouvrage
L’un des enjeux de l’ouvrage est, selon les auteur∙trice∙s, à la fois le primat accordé à l’Église et l’évolution de la perception que l’on peut en avoir. En effet, la place que tient l’Église dans l’ouvrage ne se réduit pas à une histoire religieuse de l’Occident chrétien. L’Église n’est pas uniquement étudiée sous le prisme de l’institution ecclésiastique, mais caractérisée comme institution totale pendant la période du Moyen Âge. Le rôle déterminant de l’institution ecclésiale redéfinit profondément la chronologie qui en découle. Ainsi, au lieu des trois périodes traditionnelles du Moyen Âge encore très présentes aujourd’hui malgré les critiques universitaires, les auteur∙trice∙s structurent la période en lien avec l’évolution de l’Église latine. En effet, c’est au cours d’un long premier Moyen Âge, que l’institution ecclésiale se confond avec la société, l’économie et les pouvoirs. Toutefois, à partir des XIe et XIIe siècles, elle parvient à s’en extraire pour s’imposer comme une institution séparée. C’est donc un grand processus d’extraction séparation qui permet à l’institution ecclésiale de mieux dominer et modeler la société médiévale. Ce tournant correspond au moment grégorien, entre le milieu du XIe siècle et le début du XIIIe siècle, présenté dans l’ouvrage comme un fait social total. Comme le montre Florian Mazel au sein de sa contribution sur « La Réforme grégorienne » (pp. 291-32), au Moyen Âge, la religion ne relève pas d’un choix privé mais d’un fait social, et l’Église est chargée de la transmission des croyances mais aussi des comportements. Ainsi, au cours du moment grégorien, ce processus d’extraction séparation permet à l’institution ecclésiale de contrôler des domaines aussi divers que les champs religieux, social, culturel et économique.
Quand débute le Moyen Âge ?
La contribution de Magali Coumert « Quelle rupture avec l’Antiquité ? » (pp. 13-26) nous montre à quel point il peut être difficile pour les historiens de fixer le moment charnière entre Antiquité et Moyen Âge. En effet, toutes les séquences thématiques de sortie de l’Antiquité ne coïncident pas. Il y a autant de chronologies de rupture qu’il existe de thématiques, qu’elles soient sociales, économiques, politiques, culturelles ou religieuses. Comme ces chronologies ne se superposent pas, les séquences de sortie de l’Antiquité sont, de fait, complexes, ce qui explique l’emploi du terme d’Antiquité tardive, permettant ainsi de rendre visible la sortie graduelle de l’Antiquité. Malgré tout, les historien∙ne∙s se retrouvent encore une fois avec la même difficulté, à savoir quand commence et quand finit l’Antiquité tardive. Les médiévistes ont cependant fixé un seuil, vers la fin du VIe siècle et le début du VIIe siècle, différent de la date traditionnelle de 476, connue comme la fin de l’Empire romain. Magali Coumert montre bien que fixer la fin de l’Antiquité en 476 n’a pas de sens, car il existe alors toujours un empereur à Constantinople et les premiers royaumes chrétiens (pp. 27-40) se réfèrent à cette autorité impériale.
Malgré le seuil des VI-VIIe siècles, les auteurs ont souhaité débuter l’ouvrage plus tôt chronologiquement, à la fois pour montrer le passage graduel vers le Moyen Âge, mais également pour insister sur un certain nombre de jalons structurels de très longue durée entre le IVe et le VIe siècle. C’est notamment le cas de saint Augustin qui est une figure de référence pour l’ensemble du Moyen Âge, car ses écrits sont lus durant toute la période, alors même qu’il s’agit d’un homme de l’Antiquité ayant vécu aux Ve et VIe siècles.
Quelle fin pour le Moyen Âge ?
Le dernière contribution de la deuxième partie, rédigée par Patrick Boucheron, pose la question de « La fin du Moyen Âge » (pp. 677-689), que les auteur∙trice∙s placent au début du XVIe siècle. Selon eux, ce n’est pas tant la découverte du Nouveau Monde que les différentes formes de la Réforme protestante qui permettent d’établir une rupture, marquant ainsi la fin d’une période historique. En mettant l’accent sur le rôle structurel que joue l’Église dans la définition de la société, la Réforme tient un rôle décisif dans la bascule entre Moyen Âge et modernité. Le moment grégorien est hégémonique en Europe latine jusqu’aux XIVe et XVe siècles, même s’il est parfois contesté de manière assez forte, comme au temps du Grand schisme ou dans les expériences contestataires comme en Angleterre ou en Bohême. Malgré tout, la véritable rupture correspond à Luther et Calvin, dont le programme et sa réalisation vont à contre-courant de ce qu’ont voulu faire les Grégoriens, car à bien des égards, la Réforme protestante peut être perçue comme une contre-réforme grégorienne.
Une histoire de l’Occident latin
Placer l’Église au centre de l’ouvrage conditionne de manière importante l’espace étudié, c’est-à-dire le monde latin. Les auteur∙trice∙s s’intéressent ainsi au monde dans lequel cette Église latine se trouve au premier plan. Par conséquent cet ouvrage n’est pas une histoire de toute l’Europe, mais une histoire de la partie occidentale de l’Europe. Malgré tout, cet Occident latin n’est pas figé et refermé sur lui. Ainsi, plusieurs contributions montrent que le monde latin se dilate et s’étend, que ce soit vers le nord notamment en Scandinavie (« L’âge viking. VIIIe-XIe siècle » d’Alban Gautier aux pages 199-213), vers l’Est en direction d’une partie des pays slaves (« Une autre Europe ou le nouveau cœur de l’Occident ? Bohême, Hongrie et Pologne du XIIIe au XVe siècle » de Marie-Madeleine de Cevins aux pages 623-638). L’Occident latin est également confronté à des aires voisines, notamment les aires byzantine et islamique, toute deux intégrées dans l’ouvrage, mais uniquement sous l’angle des interactions qui les unissent avec le monde latin.
Des facteurs de renouvellement
L’ouvrage est également l’occasion pour les auteur∙trice∙s de diffuser et d’offrir aux lecteur∙trice∙s les profonds renouvellements sur certains espaces. L’enjeu est important, car les recherches historiques ayant permis d’abattre certains mythes sont encore trop souvent ignorées, aussi bien du grand public cultivé que des spécialistes des autres périodes de l’histoire. Les différentes contributions tiennent compte de l’énorme apport que l’archéologie et les archéosciences fournissent aujourd’hui à l’histoire médiévale. Ces domaines disciplinaires ont notamment permis d’actualiser ou de nuancer certaines thèses comme la précarité misérable des campagnes et la disparition de toute vie urbaine au cours du haut Moyen Âge, ou encore des « grands défrichements » et du décollage économique de l’Europe au XIe – XIIe siècles.
Pour conclure, la Nouvelle histoire du Moyen Âge de Florian Mazel est un outil indispensable pour l’ensemble des enseignants en histoire-géographie. Les différentes contributions permettent de mettre à jour les connaissances sur la très longue période historique du Moyen Âge. L’ouvrage est d’une grande qualité avec sa couverture rigide et ses pages épaisses. La table des matières et les différents index permettent de voyager aisément au sein des articles. Il est toutefois à noter quelques petites erreurs comme dans l’index des personnes où les entrées d’Augustin, évêque d’Hippone et d’Augustin, premier archevêque de Canterbury, renvoient vers les mêmes pages. Cela n’enlève rien à la richesse de cette Nouvelle histoire du Moyen Âge qui, tout en étant déjà un succès de librairie, fera certainement date, et deviendra un livre de référence pour cette longue période historique.