Tel un magicien, Keegan nous transfère sur les champs de bataille d’Azincourt, en 1415, de Waterloo en 1815 et de la Somme en 1916. Son propos est de nous révéler ce qu’on voit d’une bataille quand on est à l’intérieur, par les yeux de témoins directs. Il s’intéresse autant aux fumées, aux bruits, aux blessés qu’aux tentatives de tactique ou de stratégie.

Prenons d’abord l’exemple des fumées et des bruits. A Waterloo, « la bataille est enveloppée d’épais nuages de fumée, cette fumée ne limite pas seulement la visibilité, elle provoque des hallucinations. » Quant au bruit, « si la fumée est une épreuve pour les sens, on peut dire que le bruit, lui, atteint le combattant au plus profond ». Le bruit de loin le plus fort et le plus insistant est le sifflement des projectiles comparé à un « bourdonnement de milliers d’insectes noirs un soir d’été » et le son du canon comparé à un « carillon infernal sonnant à ses oreilles ».

Des blessés aux morts inutiles

Prenons ensuite l’exemple des blessés. A Azincourt, on tue les prisonniers et on abandonne les blessés français sans vergogne, enfin on « tue les survivants le lendemain ». A Waterloo, les cavaliers et les fantassins qui se détestent achèvent les blessés du corps concurrent. « Les cavaliers britanniques percent de leurs lances les fantassins français à terre. ». « Des hommes sans défense étaient sacrifiés à terre à l’ivresse du triomphe ». Dans la Somme 30% des blessés le sont par balles et 70% par les éclats d’obus. La réduction du délai entre le moment de la blessure et le moment de l’évacuation est le principal progrès. En 1945, ce sera une heure ; et au Vietnam quinze minutes… Les blessés sont soignés avec une combinaison de chirurgie, d’anesthésie et d’antiseptiques, mais il n’y a aucun recours contre une infection, car les antibiotiques ne seront inventés qu’en 1943…

Les erreurs tactiques

Cette nouvelle façon d’envisager la bataille nous montre par exemple les immenses erreurs tactiques du commandement français à Azincourt. Quand la première ligne s’effondre, au lieu de faire charger la cavalerie contre les archers anglais ou de retraiter, « la deuxième ligne commence à s’avancer sur le sol détrempé. C’est exactement ce qu’il ne fallait pas faire. » « Poussant dans le dos leurs compatriotes épuisés et à genoux, elle les oblige à rester dans cette boucherie. »
A ce point de la bataille les hommes de la première ligne sont « soit morts, soit blessés, soit prisonniers ou en passe de le devenir car la fuite leur est interdite. »
Nous retrouvons d’autres immenses erreurs tactiques du commandement français à Waterloo. En effet les charges de cavalerie contre l’artillerie échouent presque systématiquement et « même quand les Français se rendent maîtres des canons britanniques, ils sont incapables de les emporter ou de les détruire. » Les charges de cavalerie contre les fantassins échouent aussi, chaque cavalier est la cible de 4 fantassins et un témoin anglais dira : « avoir pitié de l’insistance inutile de leurs assaillants, et qu’à chaque nouvelle attaque il grommelait : « voilà que ces foutus idiots remettent ça ! ». ».

Mais aussi les erreurs tactiques du commandement britannique en 1916, qui est persuadé de l’efficacité de son artillerie lourde, et de ses 1.5 million d’obus tirés dans la Somme. Comme le dit Keegan : « Comment les efforts britanniques pourtant énormes, ont-ils pu mener à un résultat si médiocre ? ». Quand les soldats anglais arrivent sur les lignes allemandes, « ils avancent à découvert sous le feu ennemi pour trouver les lignes de barbelés intacts ». Les tirs ont souvent visés en deçà ou au delà des lignes de barbelés…

L’usure des combattants

En conclusion, Keegan, qui a écrit ce livre en 1976, s’interroge : « A quoi ressembleront les guerres du futur ? ». Il constate que la durée des batailles s’accroît, Azincourt en quelques heures, Waterloo, en quelques jours et la Somme en quatre mois et demi (Verdun en 10 mois). Il constate aussi que le pouvoir meurtrier des armes ne cesse de croître avec l’arrivée des armes automatiques, chimiques et des mines antipersonnel. Enfin l’homme s’use psychologiquement et devient impropre au combat au bout de 140 à 180 jours.
Allons-nous vers des guerres de plus en plus dépersonnalisées et de plus en plus brèves et intenses comme celles des Six jours en 1967 et du Kippour en 1973 ?