Découpé en deux parties, intitulées respectivement «La fin de l’Empire» et «Le temps des indépendances», le documentaire associe avec fluidité de riches documents d’archives aux interventions d’une huitaine de grands témoins, dont les commentaires pertinents éclairent le contexte et les enjeux de la séparation à l’amiable -et non dépourvue d’équivoques- entre l’ex-métropole et les ci-devantes AOF et AEF. Il s’agit de quatre historiens français et africains (Jean Lacouture, Elikia M’Bokolo, Mme Adame Ba Konaré et Marc Michel) et de quatre anciens acteurs de la décolonisation (l’ancien conseiller en Afrique Roland Colin, l’ex-président du Bénin Émile Derlin Zinsou, l’ancien administrateur colonial Yves Guéna et l’ex-ambassadeur de Guinée Nabi Youla).
Les derniers moments de l’Empire africain de la France
Un prologue consistant présente l’empire africain de la France et le système colonial de la IIIe République. Appuyé par des images de l’Exposition coloniale de 1931 et des actualités dont le ton édifiant est caractéristique de l’époque, il permet de brosser un tableau fidèle de l’organisation de l’AEF et l’AOF et de leurs modalités de fonctionnement : statut de l’indigénat et travail forcé, exploitation économique et argumentaire colonial de justification. Ce modèle est bousculé par la Seconde Guerre Mondiale, qui permet le passage précoce de l’AEF à la France Libre sous l’impulsion du gouverneur Félix Éboué, donne un rôle notable aux Africains dans l’effort de guerre, et confère une place symbolique et effective importante à Brazzaville dans l’odyssée et la légende des Français Libres. Les prémices d’une évolution imposée par les nouveaux équilibres du monde y sont également exprimées lors de la Conférence de Brazzaville en 1944, où le chef de la France Libre s’implique pour la première fois directement dans l’annonce des évolutions nécessaires. Est aussi évoqué le choix politique du rapatriement anticipé des tirailleurs relayés par les métropolitains dès 1944, selon des considérations complexes que l’on découvre avec intérêt. La dramatique affaire du camp de Thiaroye fin 1944 et la révolte de Madagascar en 1947 constituent des signaux d’alarme tangibles. Pilotée par la IVe République avec une pertinence qui rehausse son bilan, s’ensuit une décennie de transition marquée par la mise en place de l’Union Française. Il s’agit d’une évolution indéniable, mais qui reste une avancée timorée et en retard sur le sens de l’histoire. Son apport le plus méritoire est peut-être l’entrée à l’Assemblée Nationale de députés africains qui s’insèrent habilement dans le système parlementaire de la IVe république. A cet égard, la France est le seul pays colonial à avoir consenti une telle forme d’ouverture, qui permet l’émergence d’une élite politique et ministérielle dont Senghor et Houphouët-Boigny sont les figures les plus éminentes. Non sans effet contradictoire : des ministres africains de la République se retrouvent ainsi institutionnellement solidaires de guerres coloniales où leur préférence intime va aux insurgés…
Une émancipation encadrée
De ce tableau, Charles de Gaulle est évidemment absent jusqu’en 1958. Son retour aux affaires n’en prend pas moins le sujet à bras le corps, d’autant que le statu quo politique de l’Afrique française a été ébranlé par l’impact du précédent de voisinage constitué par l’indépendance du Ghana en 1957. Des désirs d’émancipation commencent à s’exprimer, y compris dans la coulisse des responsables africains intégrés à la classe politique française. Dans cette configuration, l’originalité de la position personnelle du dirigeant français est parfaitement soulignée : de Gaulle ne se mue pas en décolonisateur par conviction intellectuelle mais par pragmatisme politique et lucidité historique. Un groupe de travail est formé pour élaborer le projet de la Communauté Française dans le cadre de la nouvelle constitution de la Ve République. L’étape est importante, car il est prévu que les territoires africains cessent d’être des colonies pour devenir des états associés. Pour décider de son avenir, l’Outremer est associé au référendum de 1958. Animé d’un «noble paternalisme», selon l’expression de Jean Lacouture, le général de Gaulle effectue un grand voyage sur place pour exposer son projet et les risques du choix de la pleine indépendance. Même si le résultat des urnes est plus tangent qu’on ne l’aurait imaginé, et orienté par voie de négociation et parfois de fraude, de Gaulle évite l’humiliation politique. Seule la Guinée de Sekou Touré rejette le nouveau contrat proposé par la France. L’affront est impitoyablement traité comme une sécession immédiate, au désarroi des Guinéens qui escomptaient une séparation harmonieuse et échelonnée.
Les deux ans qui suivent sont une phase de transition vers l’indépendance dont tous mesurent vite le caractère inéluctable. Le projet régional de mise en place d’une Fédération du Mali (à ne pas confondre avec le Mali actuel) s’avère éphémère. Les quelques réunions du conseil exécutif de la Communauté Française autour du général de Gaulle expriment la montée des aspirations à la souveraineté nationale, d’autant que perdure l’abcès latéral de la guerre d’Algérie. La séquence pose néanmoins les bases de ce qui fera par la suite la force -et les petitesses- de la «Françafrique». Le printemps des indépendances de l’année 1960 constitue un aboutissement légitime mais nourri de survivances équivoques du monde ancien. A travers une diplomatie des égards et de l’amitié affichée, des liens privilégiés de nature personnelle s’instituent avec la France gaullienne. Facilités par la stature écrasante de Charles de Gaulle, s’établissent de véritables rapports de parentèle où l’ex-colonisateur prend la figure du mentor, du père de famille. Dans l’ombre, le discret et fidèle Jacques Foccart, conseiller de confiance du général, tisse ses filets d’entremetteur attitré chargé de garantir à la France un accès privilégié aux ressources stratégiques -et aux financements politiques plus triviaux- des pays désormais indépendants. S’ouvre ainsi un nouveau chapitre, dont les suites assez peu reluisantes persistent encore aujourd’hui.
Il est permis de regretter que seule une mention furtive soit faite d’un épisode sanglant occulté de longue date : la guerre menée contre les indépendantistes du Cameroun. On ne peut que déplorer également l’absence de tout chapitrage, ce qui rend complexe l’utilisation pédagogique de ce double documentaire, qui abonde pourtant d’une riche matière thématique parfaitement appropriée à l’étude de la colonisation et de la décolonisation. Mais il n’en constitue pas moins un excellent outil de vulgarisation, précis et bien construit. Outre son intérêt propre pour l’histoire de l’Afrique, on en retiendra l’affinement qu’il dessine de l’action de Charles de Gaulle dans cette circonstance. Traditionnellement crédité d’un rôle flatteur de père de l’indépendance africaine, le général semble plutôt devoir être perçu comme celui qui a cessé d’y faire obstruction.
© Guillaume Lévêque