P.M Pasinetti publie cet ouvrage en 1983 sous le titre éponyme de Dorsoduro, un sestiere vénitien proche de la place Saint Marc. Les Éditions Liana Levi le publient en français en 2003 et le ressort cette année en format piccolo. Natif de Venise, l’auteur a été professeur de littérature à Los Angeles mais il n’a jamais quitté la Sérénissime qui sera le décor de tous ses romans mais aussi le lieu où il a mené avec son frère Francesco un travail de scénariste.

Le narrateur Giorgio Partibon se souvient de son enfance dans le palazzo Bialevski situé au Dorsoduro où vivent trois familles aristocratiques au destin croisé, les Balmarin, les Tolosa Petz et les Bialevski, une unité de lieu sur quelques années. Cet « entre-soi » est décrit 50 ans après, par cet enfant « précoce compliqué » qui observe, analyse les comportements, les conversations de multiples personnages qui se côtoient. Les recoins de Venise défilent devant nous, sur une gondole entre la Giudecca et le Lido où certains se retrouvent pour prendre le frais et se baigner. Tant de personnages se mêlent qu’il faut suivre la musicalité du style inimitable de Pasinetti pour ne pas se perdre dans les brumes de la ville. Très différents mais unis par une jeunesse commune et par les « affres des Rumeurs », les personnages interagissent à l’époque de la lente diffusion des idées fascistes après le coup d’état de 1922. Silvio Tolotta Pelz devient comme « un roi dans le jeu de cartes actuel » au service du Duce. Son agenda est rempli d’événements en l’honneur du régime :  l’an VI du mois de mars, il participe à la fête annuelle des faisceaux de combat, à la journée du recrutement fasciste ou à l’entrée dans les rangs de la milice d’un millier de jeunes gens vénitiens. Un mois plus tard, il se joint à l’anniversaire de la fondation de Rome qui est aussi la « fête du travail » sur la place saint-Marc, tandis que son voisin, Alvise Balmarin, dentiste du quartier, refuse de participer au congrès de l’homme nouveau. A chacun sa position. Mais le roman tourne surtout autour de la figure solaire de Giovanna Balmarin, une magnifique adolescente, déjà initiée par son père aux vertus de la médecine, admirée ou jalousée par ce petit monde évanescent qui gravite autour d’elle.

Tout l’intérêt porté par le lecteur à cet univers bourgeois et aristocratique, libéral ou fascisant, médiocre ou opportunisme mais avant tout vénitien, se transforme en vive émotion au dernier chapitre avec la description de la chute inattendue. Tout le génie de l’auteur se révèle dans ces dernières pages ainsi que le travail de sa traductrice qui a su si bien le restituer.