Jérôme Baschet est historien, spécialiste d’histoire médiévale, auteur entre autres de « La civilisation féodale » et « L’iconographie médiévale ». Le livre a obtenu la Pépite du documentaire au salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil en 2011.

Un formidable voyage dans le temps et l’espace

500 pages pour parler des enfants de tous les temps, de tous les mondes : autant dire qu’il s’agit d’une véritable somme sur le sujet. Trois thèmes pour aborder le sujet : histoires de familles, des enfants et des mondes et enfin les mondes des enfants. L’ouvrage comporte un index avec des mots repères et comprend de très nombreuses illustrations. C’est une sorte d’histoire globale des enfants car toutes les époques et tous les continents sont abordés. Le livre n’est pas forcément à lire dans l’ordre comme le suggère un des «conseils aux lecteurs ». Chaque partie est composée de plusieurs chapitres. A chaque page sont disséminés des repères comme le lieu ou l’époque afin de savoir rapidement où et quand on est. Le texte de chaque double page est clairement organisé autour d’un titre et de quelques effets de couleurs. Toutes ces aides facilitent une lecture qui a clairement choisi de mélanger les lieux et les époques. C’est aussi souvent l’occasion de prolonger pour donner des renseignements généraux sur un pays ou une époque. Des petits renvois aussi invitent le lecteur à se rendre à d’autres pages pour approfondir le sujet. Quelques cartes, un index des notions et des personnages ou lieux complètent le tout.

De belles images et du texte de qualité

De façon globale, il faut souligner combien l’iconographie est remarquable et uniquement avec les images, on peut aborder beaucoup de thèmes. En plus, la mise en page est magnifique et est rehaussée souvent de couleurs sur le côté. Parmi les très belles iconographies de l’ouvrage, signalons la magnifique sculpture de Chaudet de 1810, l’estampe japonaise de Kitagawa Utamaro montrant une mère allaitant son enfant, une photo de Pygmées page 139 ou une peinture de la fin du XVIIIe siècle. Mais il ne faudrait pas réduire le livre à une simple compilation de belles iconographies. En effet, quand on examine la liste des contributeurs, on voit qu’à sa façon, chacun des spécialistes a essayé d’inclure des éléments issus de la recherche : ainsi, l’un d’eux s’interroge sur « qu’est-ce qu’aimer un enfant au siècle des Lumières ? ». On trouve même des évocations de Thomas Platter, humaniste étudié notamment par Emmanuel Leroy Ladurie, ce qui est loin d’être habituel dans ce genre d’ouvrages.

Histoires de familles : naître et grandir

Dans ce premier thème, il s’agit d’examiner les familles à travers les époques et les lieux. Disons le d’emblée, les premières pages du livre sont bien à l’image du projet global : entre Federica l’Italienne, et Qisaruatsiaq la canadienne, entre l’Egypte, l’Islam et la forêt tropicale, on a déjà une bonne entrée en dépaysement. On en apprendra plus sur les rituels autour de la naissance avec les Aztèques chez qui, quand un garçon naissait, la sage-femme enterrait son cordon ombilical à l’extérieur de la maison. L’image du codex Mendoza qui en est extrait est très belle. Le livre n’est jamais langue de bois et aborde un thème comme le sida aujourd’hui. Plus tard dans l’ouvrage, on a des extraits de Raoul Vaneigem. On a aussi le témoignage d’Ida Grinspan quand il s’agit d’aborder la seconde guerre mondiale. Citons aussi un chapitre sur les enfants acteurs ou victimes de la violence. Le livre aborde des thématiques variées dans cette première partie avec par exemple l’invention de la chambre d’enfants ou les recompositions familiales. En Europe aujourd’hui, 1 enfant sur 6 ne vit plus avec ses deux parents. De même, l’ouvrage pose la question : faut-il éduquer sans punition ? Les auteurs convoquent Erasme, Rousseau de façon tout à fait fluide et pertinente.

Des enfants et des mondes : vivre dans son temps

Il s’agit cette fois d’aborder la situation économique des enfants (sans oublier d’évoquer ceux qui travaillent), les formes d’école ou encore la guerre. Sur le sort des enfants dans le monde, on pourrait avoir des choses lénifiantes, mais tel n’est pas le cas. Le livre rappelle que 250 millions d’enfants travaillent aujourd’hui. On trouve des attendus comme Iqbal, et est abordé également le cas d’une jeune fille employée dans une usine d’allumettes. Un court texte nous restitue ce que peut être son quotidien. Les auteurs précisent que les inégalités ne datent pas d’aujourd’hui avec en parallèle deux vies du XIXe siècle. On passe ensuite au monde de l’enfance où l’on trouve quelques fêtes comme la galette des rois, déjà dépeinte par Jean Baptiste Greuze. De façon plus exotique, on pourra découvrir l’itinéraire de Hong, huit ans, future reine de Corée au XVIIIe siècle. Parmi les chapitres qui attirent tout de suite les enfants, il y a celui sur les écoles à travers le monde. On navigue de Sparte dans l’Antiquité à la Chine ancienne et jusqu’à l’école en Italie à la fin du XIXe siècle.

Les mondes des enfants : comment imaginent-ils le monde ?

Il s’agit cette fois d’envisager l’enfance comme l’âge des apprentissages (à travers par exemples les jeux et les contes), ou comme le moment d’émotions particulières. On découvrira peut-être qu’hier comme aujourd’hui les toupies sont à la mode. On lira avec plaisir tout le chapitre sur les jouets avec une iconographie originale puisqu’elle convoque Bruegel, van Slingelandt ou une aquarelle du XVIe siècle. On pourra quand même déplorer le peu de place fait aux jeux vidéos actuels, car ils occupent dans certains pays, une place déterminante : pas une image ! C’est sans doute la seule fois où l’ouvrage est pris en flagrant délit de bien-pensance.
L’ouvrage aborde enfin la question des sentiments et notamment l’éveil à l’amour. Le détour par l’histoire est très instructif. Avec des extraits du Journal de Jean Héroard, on saura beaucoup sur la sexualité du jeune Louis XIII. Ainsi, dès l’âge de deux ans « il gratte sa marchandise, droite et dure comme du bois » ! Le livre choisit aussi de prendre le temps pour livrer des contes : un conte de France, un d’Indonésie et un d’Afrique du nord. Le dernier chapitre choisit de mettre l’accent sur le fait que tous les enfants sont des créateurs. On n’est pas tous Mozart, mais, par le dessin, chacun peut s’exprimer.

Si l’on devait choisir un seul adjectif pour qualifier cet ouvrage, c’est probablement celui d’humaniste qui s’impose. Si l’on avait droit à un deuxième, ce serait ambitieux dans un sens très positif. Naviguant entre les lieux et les époques, chaque lecteur, de l’enfant à l’adulte, trouve plaisir à feuilleter ou lire en intégralité ce livre. On peut vraiment pratiquer avec lui l’ouverture au hasard et découvrir un aspect inattendu. Bref, une vraie réussite, un livre à laisser à portée de mains en permanence.

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