Les livres édités dans cette collection belge Académia sont destinés aux étudiants, futurs enseignants et formateurs intéressés par les questions d’enseignement et d’apprentissage scolaires. Celui-ci est écrit par Bernard REY et Vincent CARETTE, actuellement professeurs à l’Université libre de Bruxelles. Leurs travaux de recherche se concentrent sur les pratiques enseignantes, les difficultés d’apprentissage des élèves et sur l’évaluation de leurs acquis.
Du côté des adolescents, l’accès aux savoirs semble pour certains de plus en plus problématique. Du côté des enseignants, il semble évident qu’il ne suffit plus de bien connaître le savoir pour être capable d’emblée de l’enseigner. Face aux difficultés et aux inquiétudes, cet ouvrage propose donc, en prenant appui sur les recherches scientifiques de faire un état des connaissances sur l’enseignement et l’apprentissage dans le secondaire. Il se divise en plusieurs chapitres :
Chapitre 1 : Les conceptions de l’apprentissage
La conception encore courante de l’acte d’apprentissage correspond souvent à la métaphore du remplissage. Une personne « apprend » lorsqu’elle reçoit des informations. En classe, les élèves « accueillent » dans leur esprit, par la lecture ou par l’écoute, un exposé du savoir à apprendre. Si apprendre c’est recevoir, il doit donc écouter et regarder et le maître doit parler ou montrer. Cette représentation spontanée est depuis longtemps remise en cause par le constructivisme et le socio-constructivisme. Dans la conception constructiviste, l’apprentissage est une réorganisation mentale, un processus par lequel un sujet apprenant interviendrait activement. Ces pédagogies en lien avec ce mouvement estiment que pour apprendre, un élève doit être en activité et prônent donc des « méthodes actives ». BACHELARD parle d’ « obstacles pédagogiques » (idées préconçues, préjugés) et d’une nécessaire « rupture épistémologique » permettant de rompre avec la pensée immédiate et commune. L’idée est qu’avant de construire les connaissances dans esprit des élèves, il importe préalablement de déconstruire leur préconceptions. L’erreur devient une étape dans le processus d’apprentissage car « toute vérité est une erreur rectifiée ». PIAGET travaille sur les stades successifs du développement intellectuel. Son intention est de retracer la genèse des structures mentales dont dispose l’adulte. Il constate que l’élaboration par l’élève d’une nouvelle manière de penser ne s’opère pas par la simple écoute d’un discours. Il est indispensable que l’élève éprouve par lui-même l’insuffisance de son mode de pensée antérieur et qu’il construise lui-même le nouveau mode. Il ne peut le faire que dans l’action. L’erreur change ici aussi de statut moral et épistémologique. Elle n’est plus une faute, objet systématique de réprobation ou de déploration mais un moment nécessaire d’un processus d’apprentissage. Les erreurs sont des objets précieux et intéressants pour l’enseignant dans la mesure où elles entrouvrent une fenêtre sur les modes de pensées des élèves. Pour l’enseignant, il s’agit de mettre en place un dispositif d’enseignement (un ensemble de tâches) qui conduise les élèves à renoncer à des préconceptions au profit de conceptions conformes au savoir. Son rôle n’est donc pas d’apporter la savoir aux élèves mais d’organiser une situation qui amène les élèves à remettre en cause certaines préconceptions. Il faut mettre l’élève en situation d’activité intellectuelle et non de réception passive par des situations-problèmes qui exigent des élèves un engagement intellectuel profond. La conception « socio-constructiviste » est, elle, issue des résultats de travaux de psychologie sociale. Elle postule que le rapport à autrui peut jouer un rôle décisif. La discussion avec autrui sur les problèmes cognitifs, que l’on appelle conflit socio-cognitif, est susceptible d’engendrer des progrès. La communication et les interactions dans la classe jouent donc un rôle décisif. Le travail des élèves en petits groupes est alors favorisé (en respectant certaines conditions) pour améliorer l’efficacité de l’apprentissage. Des chercheurs comme VIGOTSKY (sur la construction progressive des capacités cognitives) ou BRUNER (définition des conditions d’un étayage efficace) font partie de ce mouvement. Le cognitivisme apportent des compléments au constructivisme et au socio-constructivisme. Il permet notamment d’identifier les différentes opérations de traitement de l’information venue de l’extérieur (l’encodage mental). Les sciences cognitives ont aussi permis des avancées dans la connaissance sur la mémoire, notamment la mémoire de travail rapidement sujette à la surcharge cognitive (empan mnésique).
Chapitre 2 : Savoirs et disciplines scolaires
La mission la plus traditionnelle attribuée à l’école est de transmettre des savoirs mais leur utilité n’est pas évidente pour certains élèves qui peuvent demander à leurs enseignants « à quoi ça sert ? » Dans une démarche scientifique, la connaissance d’une information exige de poser des hypothèses, des problèmes. Dans cette optique, la fonction de l’école n’est pas alors d’apporter des informations exactes mais d’apprendre à les problématiser, de se demander pourquoi la réalité est ainsi et pas autrement. La problématisation est en effet une caractéristique spécifique d’un savoir scientifique. On peut prendre l’exemple de la démarche de l’historien qui consiste à problématiser les évènements pour saisir un faisceau de « preuves » qui expliquent pourquoi ils ont eu lieu. Il est donc nécessaire, au moins épisodiquement, que les élèves puissent effectuer eux-mêmes cette démarche de problématisation, de construction d’hypothèses réfutables, de choix méthodologiques. L’enseignant doit créer les conditions pour que élèves perçoivent ce qui distingue véritablement le savoir d’une opinion, pour éviter que les élèves reçoivent les savoirs comme s’il s’agissait de croyances, ce qui pourrait poser problème par exemple dans l’enseignement de l’histoire des religions. Mais il existe de nombreuses contraintes à la transmission scolaire des savoirs scientifiques. C’est l’enjeu de la transposition didactique. DELBOS et JORION parlent de savoir propositionnel. Il doit être explicite, indépendant des personnes, analysable en unités qui en permettent l’apprentissage et évaluable selon des critères précis. Une des difficultés principales de la transposition didactique est l’occultation de la démarche et elle se résume souvent en un exposé (souvent « textuel » écrit ou oral) du savoir, qui peut avoir des effets négatifs sur le courage et la motivation de certains élèves en réduisant l’acquisition des savoirs à leur mémorisation et les évaluations à des exercices de restitution. Pour BROUSSEAU, le « travail du professeur est l’inverse du travail du chercheur, il doit produire une recontextualisation et une repersonnalisation des connaissances ». Pour lui, la dévolution est l’interruption de l’énonciation du savoir par les professeurs (situation didactique) en plaçant l’élève dans une activité (situation a-didactique) où c’est à eux d’agir et réfléchir en vue de faire émerger le savoir suivi d’une phase d’institutionnalisation.
Chapitre 3 : Les pratiques d’enseignement
La pédagogie pourrait se résumer à la capacité d’un enseignant à organiser au sein d’un cours et devant la classe son activité et les activités des élèves afin que ceux-ci aient les meilleures chances d’accéder aux savoirs. On peut alors distinguer 3 grandes orientations pédagogiques. Célestin FREINET vantent des pédagogies « actives » et la méthode « naturelle », dont le principal objectif est de donner sens au savoir. La classe devient un véritable lieu de travail, où les élèves procèdent par essais et erreurs, par « tâtonnement expérimental ». L’enseignant cherche ici à déclencher une démarche d’apprentissage spontané chez les élèves : il oriente, suggère des projets, met à disposition des documents et des outils, fournit une aide… La classe est aussi un lieu de vie démocratique. Elle est organisée en groupe de décisions d’élèves se réunissant à intervalles réguliers en « conseil », avec pour objectif de développer la prise de parole et la capacité d’argumentation. Le « travail » apparaît donc comme une réalisation de soi et le résultat du propre développement de l’élève. D’une manière plus allégée, la pédagogie de projet relève de cette pédagogie. Les pratiques d’inspiration « constructiviste » donnent davantage de place aux situations-problèmes. Les élèves doivent faire l’épreuve de repenser par eux-mêmes le savoir. Le problème souvent remarqué est que les élèves ne perçoivent pas les 2 sens aux activités. Le premier peut consister à accomplir une opération pour réaliser une tâche (sens fonctionnel, matériel). Le second est davantage en lien avec un savoir et/ou une compétence. On parle d’absence de « secondarisation » chez élève. Le problème didactique à résoudre est alors de faire prendre conscience de manière explicite à l’élève de ce deuxième sens. La mise en activité peut empêcher de mener aux savoirs parce qu’il manque à beaucoup d’élèves la maîtrise d’un mode particulier d’interprétation des situations scolaires pas toujours explicitées par les enseignants, ces derniers les considérant aller de soi. C’est un des objectifs de l’« enseignement explicité ». Le sociologue BERNSTEIN parle d’une pédagogie « invisible » où certains élèves captent les attentes de l’école et d’autres non. Une organisation systématique et uniforme de chaque leçon est au cœur de cette pédagogie. D’abord, l’ouverture de la leçon comporte l’indication aux élèves des objectifs d’apprentissage de celle-ci et la vérification des connaissances antérieures dont l’usage est nécessaire pour le nouvel apprentissage. Ensuite, la leçon est conduite en 3 étapes : le modelage (explicitation par l’enseignant des opérations successives à accomplir pour réaliser la tâche), la pratique guidée (tâche semblable à faire ensemble à l’aide de questions et de feed-back) et la pratique autonome (automatisation de la tâche de manière individuelle). Enfin, le moment de clôture permet une objectivisation des apprentissages réalisés. Mais cette démarche en 3 étapes proposée par l’enseignement explicité fait comme si l’apprentissage scolaire relevait d’une suite fermée d’opérations devant déboucher sur un achèvement. C’est le cas de nombreuses activités procédurales et d’habiletés de base, mais pas de tâches originales et complexes (tâches complexes non automatisables) qui sont souvent enseignées dans le secondaire.
note sur la notion de compétences
Une compétence est une tâche dont la singularité, l’originalité et la complexité font qu’elles ne sont pas réductibles à des opérations automatisables (la compétence est donc différente d’un savoir-faire). Elle nécessite la maîtrise de procédures et de connaissances mais surtout la capacité à les sélectionner en lien avec une situation précise. Une véritable compétence met nécessairement en œuvre un savoir (et parfois plusieurs). Il existe donc une profonde solidarité entre savoirs et compétences
La formation initiale et continue des enseignants en France, notamment dans le secondaire, n’aborde pas de façon approfondie les fondements des principales conceptions de l’apprentissage et des pratiques d’enseignement en lien avec elles. Cet ouvrage concis et direct peut palier en partie à ces défauts. On apprécie notamment l’expression claire des différentes pédagogies et surtout leur critique raisonnée. En lisant ce livre, chaque enseignant se remémorera des moments de classe et réfléchira certainement, de manière un peu plus « scientifique » et moins « empirique » à ses pratiques. Il y trouvera certainement matière à réflexion, voire de remise en cause car être enseignant « c’est précisément s’arracher du sentiment d’évidence » en ne pensant pas seulement le savoir dont il est le spécialiste mais l’écart entre ce savoir et l’organisation mentale des élèves pour mieux l’utiliser et en tirer profit.