La rentrée montre qu’il est souvent plus facile de faire un succès de vente avec un livre qui pointe l’effondrement du système éducatif ou déplore un « bel autrefois ». Autant dire que cet ouvrage s’inscrit complétement à l’opposé de ces tendances. Les coordonnateurs sont enseignant en histoire-géographie pour le premier et historien pour le second. Ce livre est aussi le fruit du collectif « Territoires vivants ».

Un message positif

Dans l’avant-propos, les auteurs déplorent qu’un de leur précédent livre ait connu peu de relais médiatiques. Il est vrai qu’il entendait mettre en avant des réussites et se fondait sur le principe fondamental de l’éducabilité. Autant dire qu’on était loin d’une culture du clash. En préface de ce nouveau livre, Nadir Dendoune, aujourd’hui  journaliste et écrivain, raconte l’élève qu’il était. Il a fini « par devenir à 18 ans ce que la société attendait de lui à savoir un délinquant ». Et puis, comme il le dit, une rencontre a tout changé grâce au regard d’un adulte qui a su croire en lui. Ce livre entend montrer ces professeurs qui font « un peu plus » et qui servent parfois d’exemples. Le livre est organisé en cinq parties composées de plusieurs chapitres. Il s’agit souvent de textes précédemment parus par exemple dans « Le monde » ou à « L’école des lettres ». L’ouvrage contient un encart avec des documents en couleurs qui témoignent de plusieurs des réalisations développées dans le livre.

Parce que tout commence par le regard que l’on porte sur les élèves

La première contribution concerne le travail mené par une classe de CM2 avec l’artiste Jr. L’objectif était de faire évoluer l’image des habitants des quartiers désignés comme populaires. Cheik Sidibé raconte lui son parcours scolaire qu’il qualifie « d’accidenté. » L’investissement comme élève dans le Concours national de la Résistance et de la Déportation lui a permis dans un premier temps de s’en sortir. Après un épisode difficile, c’est ensuite le théâtre qui l’a aidé. Il ne fuit pas ses responsabilités et reconnaît qu’à un moment il n’était pas disponible pour écouter. Les angles d’approche sont très variés puisqu’on enchaine avec le témoignage d’une mère d’élève après l’assassinat de Samuel Paty. Cédric Gance mène de son côté un travail avec des élèves de CM2 sur le parcours scolaire de leurs parents. Des parents sont intervenus en classe et ont parfois apporté des objets de leur enfance à l’école pour témoigner.

Parce que le déterminisme social ne doit pas avoir le dernier mot 

« Ce chapitre donne la parole aux enseignants qui luttent au quotidien contre le fatalisme à l’œuvre aujourd’hui ». Là encore, on peut relever la variété des approches mais qui vont finalement toutes dans le même sens. Des élèves rédigent une lettre à Pierre Bourdieu pour montrer qu’il n’y a pas forcément de « reproduction sociale ». Isabelle Niveau travaille avec le théâtre et des projets pour que les élèves acquièrent confiance en eux. Laaldja Mahamdi livre son témoignage intitulé « Une école de milieu populaire face à la crise sanitaire ». Elle relate les difficultés pratiques qu’il a fallu résoudre pour éviter le décrochage des élèves. Le confinement a eu globalement tendance à exacerber les inégalités. Fabrice Krot, quant à lui, a développé un projet autour des sciences qui s’est traduit par l’ouverture de la Maison des sciences alors que celles-ci sont parfois un exemple de marqueur social entre ceux qui y ont accès et les autres.

Parce que les concurrences mémorielles n’ont rien d’une évidence

Parmi les fatalismes qu’on entend souvent, il y a  celui qui voudrait que certains thèmes d’histoire soient devenus aujourd’hui impossibles à enseigner selon les lieux. Face à cela, les contributeurs de cette partie démontrent que « le récit commun est possible à condition d’y répondre par des cours ou des productions pédagogiques qui s’appuient sur des contenus scientifiques rigoureux ». Clément Huguet, professeur d’histoire-géographie, explique le projet « Convoi 77 » qui consiste à faire établir par les élèves des biographies de personnes déportées durant la Seconde Guerre mondiale. Il résume cela en une formule : «  Apprenez à comprendre au lieu de chercher à haïr ». La guerre d’Algérie, autre sujet dit sensible, peut être aussi un morceau d’histoire qui unit. En partant de la ville où habitent les élèves et de témoignages, on peut renverser les mythes. Il est indispensable également d’enseigner les traites et l’esclavage. Il faut introduire d’autres personnalités dans le panthéon scolaire et, là encore, s’appuyer sur des faits précis comme montrer que l’exploitation esclavagiste coloniale ne concernait pas les seules populations noires. Mohand-Kamel Chabane et Constance Lagrange choisissent de faire élaborer des fresques sur tous ces thèmes précédemment cités.

Parce que la culture citoyenne est la condition de l’émancipation

«  A travers des rencontres, des témoignages, une relation de confiance et une parole libre, les élèves parviennent peu à peu à mettre du sens dans des valeurs qu’ils percevaient au départ comme des mots vides de sens ». Il peut s’agir, par exemple, d’un travail sur la Grande Guerre où les élèves retracent en historiens les destins des hommes de cette époque. Pour le témoignage, il y a le cas de Lassana Bathily « le héros de l’Hyper Cacher » venu raconter simplement en classe comment il avait agi. Au collège Vauban de Belfort, pendant plusieurs années, des projets ont été menés autour des grands principes de la devise de la République française. Alors que le collège affichait 450 élèves en 2011, ils sont plus de 700 à vouloir s’y inscrire quelques années après.

Parce qu’apprendre à bien parler c’est maîtriser son destin

Stéphane Beaud, sociologue, et Dominique Lurcel, directeur de la compagnie « Passeurs de mémoires », interviennent dans les lycées sur l’histoire de l’immigration algérienne. Ils s’appuient sur un livre « La France des Balhoumi » du premier nommé adapté au théâtre par le second. Ce livre retrace quarante années de l’histoire d’une fratrie de huit enfants d’une famille algérienne à partir de son arrivée en France en 1977. Comme le spectacle a été joué de nombreuses fois, plusieurs remarques reviennent de la part des spectateurs. Les élèves apprécient la forme et sont sensibles au fait qu’il y a là une image différente de celle véhiculée par les médias. Pierre Costes évoque le travail qu’il mène avec les collégiens autour de l’éloquence tandis que Frédéric Palierne a initié et développé une opération «  Tire ta langue » qui invite à un moment de partage et d’échanges.

Discussion avec Philippe Meirieu

En postface, le collectif « Territoires vivants » discute avec Philippe Meirieu du contenu de l’ouvrage. Ce qui vaut d’être enseigné, c’est ce qui libère et ce qui unit et les témoignages collectés dans ce livre sont nourris de ces deux éléments. Il y a toujours le risque de la fatalité puisque l’on a en face de soi des adolescents «  faits par d’autres ». Philippe Meirieu souligne aussi qu’il faut envisager toutes les facettes des élèves. Par exemple, un élève peut être dyslexique, mais ce n’est pas toute sa personnalité. Le pédagogue cherche à faire des propositions qui permettront à l’élève de réaliser quelque chose. Il souligne aussi combien dans le livre on voit des exemples d’enseignants qui font un petit plus que ce qu’on attend d’eux. C’est ce petit plus qui peut faire toute la différence.

Ce livre n’est pas seulement un assemblage de bonnes pratiques. En choisissant ces cinq entrées, il met en avant ce qui peut effectivement faire la différence. Il n’y a pas d’optimisme béat mais simplement, et c’est déjà énorme, l’affirmation répétée que l’éducabilité peut être une réalité et que c’est à chacun d’essayer de la mettre en œuvre.

Jean-Pierre Costille