Racisme et ségrégation spontanée dans un lycée pro

Aurélien Aramini est agrégé et docteur en philosophie ; Chloé Santoro est doctorante en philosophie politique au laboratoire logiques de l’Agir.

Les deux auteurs ont mené de septembre 2021 à mai 2022, une enquête au sein d’une cité scolaire de plus de mille élèves, regroupant un collège, un lycée professionnel et un lycée général. L’étude s’est très vite retrouvée circonscrite à une classe de seconde professionnelle, composée de douze garçons et qui, dans le propos liminaire des chercheurs, est présentée comme « un condensé des problématiques ayant justifié au départ notre présence dans cet établissement (p.10) ».

Leur étude a pour point de départ « un signalement adressé aux services du rectorat pour des faits de racisme (p.13) ».

Les deux chercheurs indiquent d’emblée avoir, pour des raisons de préservation de l’anonymat des acteurs de ce travail, modifié les noms des personnes et des lieux où elle s’est déroulée.

La petite « ville de Nance (nom fictif) » existe « bien quelque part en France » écrivent les deux auteurs. Et de poursuivre en précisant « pour autant, nous ne prétendons pas décrire la réalité effective de cette ville, qui se construit dans et par les discours des élèves et des personnels qui interagissent et donnent sens à leurs interactions dans une configuration socio-économique et territoriale particulière. Cet ensemble matériel, discursif et pratique forme un monde social globalement cohérent, traversé toutefois par des contradictions dues à des perceptions et à des pratiques différenciées dont nous avons tâché de rendre raison (p.18-19) ».

Durant leur enquête, les chercheurs ont mené des entretiens (présentés sans appareillage de reformulation) semi-dirigés avec les élèves, les professeurs et l’équipe de direction. Deux types d’entretiens ont pu être réalisé, individuel ou avec deux personnes interrogées ensemble.

L’enquête s’est donc concentrée sur une classe et les deux auteurs donnent une définition de la « classe fracturée » dont le titre de leur étude est éponyme.

La « classe fracturée est avant tout un espace menaçant pour les professeurs qui vont en cours « la boule au ventre » et pour les élèves qui redoutent la violence verbale ou physique de leurs condisciples ou le malaise lié à un sentiment d’exclusion, à des difficultés relationnelles (…). Nous avons voulu partir de la manière dont s’exprime, chez les professeurs et chez les élèves, la double fracture qui caractérise cette classe de seconde professionnelle de la cité scolaire Hippolyte Carnot : d’une part, le conflit entre certains élèves et certains professeurs qu’ils accusent de racisme et, d’autre part, le clivage spontané de la classe en deux groupes d’élèves qui appartiennent pourtant aux mêmes classes populaires ou moyennes, à une même classe d’âge et au même territoire, celui d’une « France des sous-préfectures (p.25) ».

Le livre s’organise autour de deux grands axes. Le premier, qui porte le titre « la crise de l’universalisme (décliné en deux chapitres avec chacun deux sous parties et des « interludes ») », est le fait d’Aurélien Aramini qui évoque à son propos un travail sur la « fracture verticale ».

Le second, qui porte le titre « la classe, miniature d’un territoire comme système relationnel (avec également une déclinaison en chapitres, sous-parties et « interludes »), est donc le fait de Chloé Santoro qui mentionne elle un travail sur la « fracture horizontale ».

En guise de conclusion, les deux chercheurs écrivent que « cette enquête (…) renforce l’hypothèse de la nature fondamentalement interactionnelle du racisme que vivent les élèves, avec lesquels nous nous sommes entretenus. Elle contribue en outre à étayer l’idée que la compréhension de ce qu’ils vivent et décrivent comme du racisme implique de saisir la complexité de l’espace social vécu, à l’école et hors de l’école, où se tissent les relations entre élèves (p.345)». Ils ajoutent, plus loin que « le constat le plus alarmant auquel aura conduit cette enquête est celui de la désertion et de la disparition du tissu associatif et politique local, qui assurait auparavant un patient travail d’éducation populaire, d’animation et d’accompagnement de la jeunesse. Cela, plus une mixité sociale et ethnique alors bien plus importante dans ce que nous appelons aujourd’hui « les quartiers », contribuait à créer ce brassage et ces ouvertures vers d’autres horizons que l’école ne peut pas assumer seule ».