Pascal Clerc est géographe, professeur des universités à Cergy Paris Université, rattaché à un laboratoire de sciences de l’éducation. Il travaille depuis plus d’une dizaine d’années sur les établissements scolaires comme espaces d’apprentissages. Il s’intéresse notamment à l’organisation spatiale des salles de classe mais aussi aux cours de récréation et aux écoles de plein air.
Dans cet essai, étayé par un travail sur le terrain et un travail de recherche, Pascal Clerc interroge l’école et la société de contrôle aujourd’hui : le système éducatif participe d’une forme de resserrement des espaces et des esprits. L’institution tend à contrôler, cloisonner, enfermer plutôt qu’à libérer et à s’ouvrir aux différents horizons et environnements. La transformation des enfants et des adolescents en élèves commence à la maison puis se poursuit sur le chemin de l’école et jusqu’au franchissement de son seuil. « Aller à l’école, nous dit l’auteur, c’est d’abord une séparation ». Éduquer, c’est étymologiquement « faire sortir » : un mouvement dans l’espace qui conduit l’enfant hors de chez lui, l’extrait de son milieu pour lui permettre d’accéder à quelque chose qui relève de l’universel. L’ouvrage est alors divisé en six chapitres qui rendent compte de des divers franchissements, espaces traversés par l’enfant pour grandir. L’École semble ainsi avoir construit pour lui un chemin initiatique.
Franchissements
Le régime de franchissement auquel les élèves sont soumis n’est pas partout et n’est pas le même pour tous que l’on soit élève en grande banlieue parisienne, à Henri IV, en zone rurale ou en cité scolaire périurbaine. Cependant, partout, l’école est un espace protégé qui a besoin d’un seuil pour dire la différence entre elle et le monde commun. Interrogés sur l’entrée dans leur collège, les élèves énoncent clairement l’importance matérielle et symbolique de leur établissement. Il faut qu’il se passe quelque chose quand on entre dans l’école.
Frontières
« On est en 2020. Il faut vivre avec ce qui se passe, avec les risques d’attentats de toutes sortes. On ne peut plus se permettre d’avoir autant de liberté », dit un collégien. L’évidence sécuritaire s’est imposée partout. L’auteur nous invite cependant à bien distinguer sécurité et sécurisation. Les événements récents nous montrent que la réponse sécuritaire est illusoire. L’ouverture au monde doit être un projet éducatif comme un projet de société. « Les pédagogues doivent sans doute se réapproprier la question de la sécurité des enfants et des adolescents dans et autour des écoles, se la réapproprier comme une question pédagogique » (p.86).
Séparations
L’école telle que nous la connaissons est l’invention de la séparation dans l’éducation. Séparer, c’est mettre à part, distinguer. Ce n’est donc pas un hasard si les établissements scolaires construits à partir des années 1860 reprennent le modèle ancien du monastère en isolant la cour de récréation derrière de hauts murs. L’architecture scolaire fait la chasse aux recoins, aux retraites possiblement intimes
À l’intérieur de l’espace scolaire, il existe une grille spatio-temporelle dans laquelle les élèves se déplacent de point en point à des rythmes établis, d’une heure de cours à une autre. Ainsi, jouant avec les mots, le géographe pense l’enseignement comme un mouvement qui part de celui qui sait vers celui qui apprend, ou prend ce dont il a besoin ou pense avoir besoin pour construire son apprentissage.
Porosités
En 1981, premier coup de canif dans le contrat national de l’institution éducative, la création des zones d’éducation prioritaire reconnait l’existence de politiques éducatives partiellement territorialisées. L’espace national n’est plus traité comme s’il était homogène. Le système éducatif est responsable de l’hétérogénéité des établissements scolaires, hétérogénéité qu’il est censé combattre. Thomas Piketty montre que sur l’ensemble d’une scolarité, les dépenses par élève varient de 65 000 euros à environ 300 000 euros. Ce ne serait pas problématique si ces dépenses allaient vers ceux qui en ont véritablement besoin, mais c’est justement le contraire. Ainsi, Clerc fait remarquer qu’en 2015, il est préférable d’être collégien dans le Morbihan (1947€ par élève) qu’en Ariège (400€ par élève).
Extérieurs
Toutes les enquêtes concordent : le vrai danger pour les élèves d’aujourd’hui, c’est la sédentarité et le temps considérable passé devant les écrans. L’auteur nous rappelle quelques anciennes expériences, mises en avant par « l’école nouvelle ». Pour Célestin Freinet, par exemple, il faut que l’école soit dans le monde : aller à la rencontre des activités du village, penser les attaches au sein d’une communauté. Il s’éloigne de Maria Montessori. Tous les deux sont d’accord sur l’importance de l’activité, du tâtonnement et de l’expérimentation pour les enfants. Cependant, le relatif cocon montessorien s’oppose à l’exposition au monde prônée par Freinet.
« Tout est école », dit Ivan Illich. « Pour qu’un homme puisse grandir, ce dont il a besoin, c’est du libre accès aux choses, aux lieux, aux méthodes, aux événements, aux documents ». C’est autour de l’école que l’enfant puise ses savoirs. Or, la forme scolaire française est figée dans la classe. Les élèves « explorent le monde » sans sortir de la classe !
Réseaux
Avec le numérique, on passe de l’école-territoire à l’école-réseau. Cette dernière se caractérise par sa discontinuité et la mise en relation de lieux de production et de diffusion de savoirs qui peuvent être très éloignés. Pascal Clerc nous rappelle les fondements de l’enseignement devant cette école-réseau et les dangers qu’elle peut représenter.
Il est ainsi fondamental pour l’enseignant que l’élève soit amené à se poser les questions suivantes : comment sait-on ce que l’on sait ? Comment une donnée est-elle construite ? Comment les systèmes de valeur d’une époque cadrent les manières de produire de la connaissance ? Est-il vrai que des chiffres ne se discutent pas ? Pourquoi un savoir scientifique aurait-il plus de valeur qu’une opinion ?