Dans cet ouvrage, Éric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le Renseignement présente les différentes conceptions et doctrines d’emploi de ces forces très popularisées dans les productions cinématographies et télévisées. Elles jouent aujourd’hui un rôle de plus en plus important dans les conflits actuels. Héritières d’une longue tradition militaire, elles répondent aujourd’hui présent dans de très nombreuses opérations. Leur intégration au sein des armées conventionnelles, elles mêmes en pleine réorganisation ne va pas sans poser des problèmes multiples.

L’intervention des hélicoptères de combat français et britannique dans les événements qui se déroulent en Libye, suite au mouvement populaire commencé le 15 mars 2011, pose à terme la question de l’intervention de troupes au sol. Pour des raids aériens classiques, comme pour la mise en œuvre de voilures tournantes, le marquage des cibles opéré par des forces de reconnaissance peut s’avérer indispensable. C’est à ce titre que des « forces spéciales » pourraient être amenées à intervenir dans le conflit.

Les nouvelles conflictualités qui se sont développées depuis la fin de la guerre froide ont conduit à de profondes mutations des appareils militaires dans tous les pays du monde. La réduction des effectifs s’est accompagnée d’une professionnalisation accrue, la réduction des budgets de défense dans certains pays a accompagné ce processus. Le renouvellement des doctrines militaires avec un adversaire qui n’est plus explicitement identifié a conduit à réenvisager l’emploi de ces unités spécialisées aux missions extrêmement variées que sont les « forces spéciales »

Essai de définition

On s’accordera sans doute facilement sur une définition de ces unités. Les forces spéciales désignent des unités formées de professionnels, hautement spécialisés, aux effectifs limités, capable d’intervenir très rapidement, ou avec des délais d’alerte réduit, sur tout le spectre d’évolution des crises qui supposent une intervention militaire ou en tout cas l’usage de la force, le plus souvent létale. Ces forces spéciales peuvent intervenir de façon exclusive pour persuader un adversaire des risques d’une montée aux extrêmes, mais elles peuvent aussi intervenir en amont d’une confrontation classique ou pendant la durée de la confrontation conventionnelle pour affaiblir l’adversaire.

Un peu d’histoire

La réflexion sur l’usage de ces unités spécialisées menant des opérations « non classiques », du type « bataille rangée » a commencé dès l’Antiquité. L’opération de force spéciale la plus connue historiquement et sans aucun doute la mythique prise de Troie, réalisé par un « commando infiltré » de guerriers achéens. Au sixième siècle avant Jésus-Christ le stratège chinois préconise des actions sur les arrières de l’ennemi, tandis que Wu Ze théorise déjà sur les méthodes de la contre insurrection. Les premières unités assimilables directement aux forces spéciales contemporaines semblent avoir été les éclaireurs dans l’armée byzantine du sixième du septième siècle après Jésus-Christ, une unité de cinq ou six hommes chargés du renseignement, rattachée à un groupe de 400 guerriers.
Les vikings, passés maîtres dans la destruction des flottes ennemies au mouillage semblent avoir été les précurseurs des commandos de marine, utilisant d’ailleurs le sabotage. Les Bretons de Bertrand du Guesclin ont utilisé en 1350 différents subterfuges, le camouflage ou des soldats déguisés en livreurs, pour s’emparer des forteresses anglaises. Au XVIe et surtout au XVIIe siècle, les armées traditionnelles développent des corps « d’irréguliers » menant des actions de contre-guérilla face à des rebelles. Les « miquelets » du Maréchal de Vilars préparaient le terrain aux dragons, l’infanterie montée, lors de la guerre des Camisards dans les Cévennes. Les Espagnols en lutte contre les armées de l’empire napoléonien semblent avoir été les promoteurs d’une guerre de guérilla organisée à grande échelle.

Premiers commandos

Les premiers commandos semblent avoir été constitués par les irréguliers lors de la guerre des Boers. Ces colons d’origine néerlandaise installés en Afrique du Sud sont entrés en guerre contre l’empire britannique à partir de 1900. Ces commandos menaient des actions de harcèlement contre les troupes britanniques qui ont dû, pour les réduire, se livrer à des expéditions punitives contre leurs familles. L’exemple de ces commandos semble avoir été intégré pour la création du spécial air service, les SAS, qui sont les forces spéciales de l’armée britannique. Les soviétiques ont également tiré de leur participation indirecte à la guerre civile espagnole les éléments pour développer des unités spécialisées prenant le contrôle de points stratégiques ou menant des opérations de sabotage contre les unités franquistes. C’est d’ailleurs en Union soviétique que s’est développé le parachutisme militaire dès 1930. Les purges au sein de l’armée rouge ont limité le développement de ces formations qui étaient pourtant de haute qualité militaire. Par contre, leur exemple a inspiré les Allemands qui ont à plusieurs reprises pendant la Seconde guerre mondiale, opération sur la Crête, libération de Mussolini, utilisé des troupes aéroportées en formations commandos. Pendant la seconde guerre mondiale, l’Union soviétique a très largement utilisé la guerre de partisans contre les troupes d’occupations allemandes, sur les arrières de l’ennemi.

Les forces spéciales aujourd’hui

Paradoxalement, le pays dont les forces spéciales sont les plus connues grâce au cinéma et aux séries télévisées, à savoir les États-Unis, est peut-être le pays qui a été culturellement le moins armé pour les développer. La guerre d’indépendance américaine a pu être en partie menée par des actions de « partisans » mais les États-Unis, contrairement à la France au Royaume-Uni, n’ont pas eu à mener de véritables guerres de décolonisation. Les armées françaises et anglaises ont accumulé en la matière des savoir-faires qui ont fortement inspiré les forces spéciales des États-Unis, y compris dans le conflit afghan en cours pour tout ce qui relève de la contre-insurrection.

© Bruno Modica