Les enjeux d’une mondialisation silencieuse

Depuis quelques années, le Cavalier Bleu publie des ouvrages de géopolitiques particulièrement abordables, en format de poche. Après la publication d’un opus dédié à l’art, aux données numériques, aux religions, à l’eau, à la colère et plus récemment aux frontières, cette nouvelle parution s’intéresse aux jeux d’argent.

Comment aborder la mondialisation par le bas ? C’est pour répondre à cette question que deux géographes, Marie Redon et Boris Lebeau, ont décidé d’étudier les territoires, acteurs et pratiques spatiales relatifs aux jeux d’argent. Auteure d’un précédent ouvrage de géopolitique dans la même collection dédié aux îles, Marie Redon est agrégée de géographie et maîtresse de conférences à l’Université Sorbonne Paris-Nord. Son co-auteur, Boris Lebeau, est maître de conférence dans la même université. Les deux auteurs font des recherches au sein du laboratoire Pléaide.

Un secteur économique à l’origine d’une mondialisation par le bas

Les deux auteurs rappellent dès l’introduction que « l’industrie légale des jeux d’argent pèserait plus de 423 milliards de dollars à l’échelle mondiale » (page 9). Les casinos, loteries, jeux en ligne, salles de paris sportifs sont des lieux propices à des formes de jeux d’argent : machines à sous, tables de poker, courses de chiens, combats de coqs, courses de dromadaires, paris sur les élections politiques à venir etc. Ce secteur s’organise de façon différente en fonction des pays et régions du monde.

Dans la pratique, il existe toute une gamme de positionnement allant de la prohibition la plus stricte comme en Arabie Saoudite, à la libéralisation intégrale en Australie. Dans un monde qui se globalise, la très grande variété des cultures, des législations et des attitudes vis-à-vis des jeux d’argent instruit donc une véritable géopolitique qu’il convient de présenter.

Extrait tiré de : Marie Redon & Boris Lebeau, Géopolitique des jeux d’argent, Le Cavalier Bleu, page 12

La prohibition dans de nombreux pays musulmans, en Chine et en Norvège favorise le déplacement des joueurs vers d’autres pays (Chypre, Monaco, France, Etats-Unis, Macao). Ces mobilités touristiques pour jouer sont donc des formes de passages de frontière afin d’accéder à un lieu où les lois sont plus permissives. L’organisation des ces activités entrainent des pratiques dans des lieux qui oscillent bien souvent entre la légalité (casinos macanais, hippodromes français, cercles de jeux chypriotes, casinos flottant dans les eaux internationales dans la mer des Caraïbes, borlette haïtienne) et l’illégalité.

L’un des atouts de ce livre réside dans la richesse des exemples présentés. La France et les Etats-Unis sont les deux pays au monde où l’on retrouve le plus de casinos. Qu’ils soient flottants pour échapper aux interdictions ou terrestres, les « casinos sont un outil, un levier d’aménagement des territoires qui ne repose pas sur des ressources matérielles locales mais sur la potentialité d’un afflux de visiteurs susceptibles d’insuffler une dynamique économique » (page 31). Depuis les traditionnels paris sportifs en Grande-Bretagne, la massification du numérique a favorisé le développement des réseaux de paris en ligne, mais aussi l’implantation du PMU en Afrique de l’Ouest. Ce secteur économique très dynamique s’implante dans certains lieux afin de bénéficier d’une fiscalité favorable (Malte, Macao, Gibraltar, Chypre).

Le chapitre dédié aux ancrages territoires des jeux d’argent est particulièrement éclairant sur les conséquences spatiales de ces activités. Des grandes métropoles asiatiques, européennes et nord-américaines jusqu’aux villages haïtiens et timorais, les jeux modifient les espaces selon le degré d’insertion dans la mondialisation et par la constitution de véritables réseaux. L’étude de la partition entre St-Martin/St Maarten, entre Chypre/RTCN, le développement de Las Vegas, l’organisation des hippodromes hongkongais et tokyoïtes, le rôle des Amérindiens dans les réserves états-uniennes, l’essor fulgurant de Macao, la diversification des activités à Singapour mais aussi la politique méconnue de développement des casinos dans les pays baltes (Estonie et Lettonie principalement) sont présentées et analysées en quelques pages. Pour devenir un ensemble de produits et pratiques mondialisés, les jeux d’argent se diffusent par l’intermédiaire des diasporas, qui ont joué un rôle crucial dans le développement des paris hippiques en Afrique de l’Ouest (notamment au Bénin). Les acteurs internationaux sont également un facteur de modifications des pratiques, en fonction des régions. Par exemple, le retour des combats de coqs au Timor-Oriental a eu lieu après l’indépendance au début des années 2000. Interdite par les lois indonésiennes, le nouvel État indépendant favorise et encourage la pratique, malgré les critiques venant de l’étranger. A ce titre, l’organisation de combats de coqs virtuels (Singapour, Malaisie) ou à distance (les joueurs en Thaïlande, Malaisie et à Singapour parient sur des combats aux Philippines) sont des formes d’adaptation à la mondialisation.

 

Extrait tiré de : Marie Redon & Boris Lebeau, Géopolitique des jeux d’argents, Le Cavalier Bleu, pages 10-11

En conclusion, cette synthèse sur la géopolitique des jeux d’argent se révèle être une lecture très agréable, rigoureuse et originale pour mieux comprendre la mondialisation. A travers des exemples tirés de missions sur le terrain, les deux auteurs parviennent à décrire puis à analyser les impacts à la fois économiques, politiques, urbanistiques et culturels de ces jeux. La clarté de l’écriture en font un livre accessible aux enseignants et étudiants, mais également aux joueurs et non-joueurs curieux de mieux connaître ce type de loisirs.

Parmi les parutions de cette fin d’année, notons la sortie en novembre 2020 d’un livre dans la même collection, dédié aux frontières. Écrit par Anne-Laure Amilhat Szary, il peut permettre aux candidats préparant les concours de l’enseignement de disposer d’exemples précis pour traiter de la question des frontières.

Pour aller plus loin :

  • Présentation de l’éditeur -> Lien
  • Le compte-rendu d’un café géo avec Marie Redon sur les jeux d’argent par Joseph Viney -> Lien

Antoine BARONNET @ Clionautes