Dans ce nouveau livre, Thomas Gomart invite le lecteur à comprendre les stratégies de neuf pays. La France se doit de les connaitre pour se situer et agir. De façon très claire, l’auteur donne les éléments pour aider à penser la situation de chaque pays tout en les articulant les uns aux autres. Les neuf pays choisis sont ceux qui conditionnent le plus l’exercice de la puissance par notre pays. Les précédents ouvrages de l’ historien et directeur de l’Institut français des relations internationales ont été chroniqués sur ce site.

Terre, mer et ciel

Les neuf pays étudiés représentent 54 % du PIB mondial et méritent donc une attention particulière. Pour présenter ces pays, Thomas Gomart fait le choix de trois groupes, soit la Terre avec la Russie, la Chine et l’Allemagne, la Mer avec les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Inde et enfin le Ciel, c’est-à-dire la croyance religieuse autour de la Turquie, l’Arabie Saoudite et l’Iran. Pour chaque pays, on trouve un exposé puis un focus sur ses grandes priorités et enfin les enseignements à tirer pour la France.

La Russie ou le choix de la guerre

Les trois pays envisagés pour la Terre totalisent 18 % de la superficie terrestre et 24 % du PIB mondial. Pour la Russie, deux défis se posent : ses relations avec la Chine et sa capacité à contrôler son vaste territoire. Le conflit actuel avec l’Ukraine montre aussi que, ce qui est en jeu, c’est le récit national construit par Poutine depuis plus de vingt ans. Thomas Gomart décrypte la vision du monde du chef du Kremlin. Il est clair qu’elle était très orientée vers l’UE pendant les années 2000 avant de basculer du côté de la Chine.

La Chine ou le communisme environnemental et numérique

Le pays représente aujourd’hui 18 % du PIB mondial. Xi Jinping est partout, y compris sous forme d’une application téléchargée plus d’un milliard de fois et qui compte plus de 100 millions d’utilisateurs actifs. Entre 1980 et 2020, le PIB par habitant a été multiplié par 24 et l’espérance de vie a gagné dix ans. Thomas Gomart revient sur la place spéciale qu’occupe Taïwan dans le discours chinois. Il faut bien mesurer aussi que dans la guerre technologique que le pays livre avec les Etats-Unis, Taiwan assure la moitié de la production mondiale de semi-conducteurs.

L’Allemagne ou le « changement d’époque »

L’Allemagne représente un tiers de la zone euro et 4,5 % du PIB mondial. Durant la période d’Angela Merkel, le PIB augmente de 50 % tandis que le taux de chômage est divisé par deux. On peut parler de changement car, alors que durant vingt ans la politique allemande a consisté « à maintenir la dépense militaire au plus bas et l’excédent commercial au plus haut », la guerre en Ukraine a bouleversé cet ordonnancement. La première priorité de l’Allemagne aujourd’hui est l’élaboration d’une nouvelle politique énergétique permettant à l’Allemagne de maintenir sa compétitivité industrielle et de respecter ses engagements climatiques. 

Mer

Etats-Unis, Royaume-Uni et Inde représentent 30 % du PIB mondial et exercent leur influence sur de vastes espaces maritimes. « Nous sommes entrés dans une nouvelle ère de navalisme, c’est-à-dire de séquence historique où les grandes puissances se jaugent à travers leurs marines qui reflètent la vitalité de leur appareil industriel et l’acuité stratégique de leurs dirigeants ». Investir dans une marine demande de gros moyens financiers dont peu de pays sont capables.

Les Etats-Unis ou le contrôle global

Au cours des cent dernières années, les Etats-Unis n’ont jamais été en concurrence avec un compétiteur dont le PNB équivalait à plus de 40 % du leur. Avec la Chine, cette époque est révolue. Les Etats-Unis exercent leur contrôle global à travers quatre vecteurs : les alliances militaires, le dollar, le droit et les plates-formes numériques. Alors que l’Etat fédéral a longtemps joué un rôle prépondérant en Recherche et Développement, le secteur privé représente désormais plus de 70 % des dépenses totales. L’auteur décortique les priorités stratégiques des Etats-Unis dont celle de maintenir le mode de vie de ses classes moyennes.

Le Royaume-Uni ou l’illusion globale

Le pays affiche le deuxième déficit commercial mondial et traverse une crise identitaire. Cependant, on peut noter que le pays a décarboné sa production d’électricité en une décennie. Mais, liée au nucléaire, sa sécurité énergétique implique des relations de confiance avec EDF et donc avec la France. On peut noter également que l’analyse stratégique de Londres et Paris converge sur quatre points : la centralité de l’OTAN, la géopolitique des technologies, le retour de la haute intensité et la façon différente de penser la résilience de nos sociétés.

L’Inde ou l’art du double jeu

La dualité continentale et maritime de l’Inde explique bon nombre de ses choix. Son PIB est dix fois inférieur à celui de la Chine. Le pays compte 18 % de la population mondiale sur 2,4 % de la surface terrestre. Le pays se classe au troisième rang mondial des dépenses militaires ainsi que le troisième émetteur mondial de GES. L’Inde compte aujourd’hui des groupes économiques de taille mondiale. Le potentiel de développement du pays se heurte à plusieurs problèmes comme les inégalités. En effet, les 1 % les plus fortunés possèdent davantage que les 70 % les plus pauvres. 190 millions de personnes souffrent de sous-alimentation chronique. Le principal défi du pays réside dans la nature de ses relations avec la Chine.

Ciel

Ces trois pays n’ont jamais été colonisés par une puissance européenne. Ils ne représentent que 1,9 % du PIB mondial mais pèsent d’un poids particulier dans la géopolitique des hydrocarbures. Ils font l’objet d’une forte personnalisation du pouvoir.

La Turquie ou l’islamo-nationalisme en action

Thomas Gomart rappelle d’abord l’héritage de l’Empire ottoman. Les kémalistes rappellent plusieurs principes pour souligner la rupture introduite par l’AKP. Les officiers de marine développent un discours connu sous le nom de « Mavi Vatan », la Patrie bleue, qui justifie les ambitions maritimes et navales de la Turquie. La première priorité de la République de Turquie est de confirmer l’orientation islamo-nationaliste de son pays. Il ravive l’imaginaire impérial et cultive habilement les éléments de turcité. La Turquie souhaite renforcer son indépendance stratégique en exploitant le retrait américain et la perte d’influence de l’Union européenne en Méditerranée.

L’Arabie saoudite ou l’éternelle dépendance pétrolière

Le pays ne représente que 0,8 % du PIB mondial. 70 % des Saoudiens actifs sont employés par l’Etat. C’est le seul pays au monde à porter le nom d’une famille. L’Etat repose sur un pacte politico-religieux entre la famille Al Saoud et la prédication wahhabite. Les Saoud tentent de prendre le contrôle de l’islam mondial par des financements massifs. Thomas Gomart présente ensuite MBS qui n’a pas été formé à l’étranger comme la plupart des membres de la famille royale. Le pays s’imagine en puissance technologique tout en étant confronté au problème suivant : utiliser les revenus pétroliers pour ne plus être dépendant du pétrole.

L’Iran ou la révolution permanente

Les Iraniens sont en moyenne neuf fois plus pauvres que les Saoudiens. La Chine représente presque 50 % de ses exportations devant l’Inde et la Corée du Sud. Très dépendante des hydrocarbures, l’économie iranienne est celle d’un pays en guerre depuis plus de quarante ans. Les Pasdaran, les gardiens de la révolution, regroupent 200 000 personnes et bénéficient d’un statut spécial dans la société iranienne. Par ailleurs, l’Iran n’a pas pour l’instant ratifié les accords de Paris sur le climat alors que le pays est le septième émetteur de GES au monde.

La France à l’heure des choix

Dans cet épilogue, Thomas Gomart revient sur plusieurs points. Il est indispensable de connaitre les ambitions affichées et cachées des puissances. Il faut aujourd’hui combiner une logique défensive qui suppose des alliés fiables et une logique offensive qui implique une intense pratique coopérative face aux enjeux environnementaux.

Cet ouvrage de Thomas Gomart permet de mieux comprendre ce qui structure les ambitions des neuf pays cités. Il met tous ces éléments en regard de la question de la puissance de la France. Toujours très clair, il constitue un outil particulièrement utile dans le cadre de la spécialité HGGSP.