Fondateur des éditions Complexe qui ont été rachetées au terme d’un débat assez complexe, André Versaille a fait le choix d’une démarche éditoriale associant livre papier et électronique. Les rencontres de Blois ont permis de nouer des relations avec cette maison qui publie des ouvrages de référence. Ce Goebbels est le second ouvrage à être présenté dans nos colonnes.

Le site de l’éditeur est riche de vidéos, d’entretiens avec des auteurs et on peut même y écouter les reportages de guerre d’Albert Londres

C’est un livre éclairant à plusieurs titre que livre Lionel Richard, spécialiste de l’histoire du nazisme dans ses relations avec le monde de la culture. Comment celui que l’on présente comme un auteur raté et sans ressources en 1924, a t-il pu être le manipulateur en chef des masses allemandes, allant jusqu’à les fanatiser dans un dérisoire et meurtrier jusqu’au-boutisme qu’il s’applique à lui-même, à sa compagne et à leurs six enfants.

Mais cet auteur raté est surtout un surgeon du conformisme. Né à Rheydt en Rhénanie, au sein d’un milieu très modeste de religion catholique, il est frappé d’une infirmité congénitale qui le fait boiter. Au sortir du lycée, il devient étudiant et obtient, en 1922, son doctorat en philosophie à l’université de Heidelberg. Commence alors pour le jeune intellectuel une période décevante et déprimante. Revenu à Rheydt auprès des siens, il tente vainement de se faire un nom en littérature. Cultivé sans doute, connaisseur de la culture classique allemande, il est surtout fasciné par cet ouvrage de Spengler sur le déclin de l’Occident sont il s’inspire largement.

Mais c’est surtout un véritable « Tanguy », acceptant de vire au crochets de ses parents car qui estime que l’enseignement n’est pas digne de lui. Employé de banque quelques temps, grâce à sa maîtresse, Else Janke , il est incapable de tenir son rang et se retrouve encore, au moment du putsch de Munich au crochet de ses parents. Il essaie de faire publier son roman, Michael Voorman, mais les éditeurs le refusent et c’est le procès de Hitler en 1924 qui lui fait rencontrer le parti national socialiste. Premières collaborations dans le journal local du Parti, premières signatures, La politique lui procure un emploi et peu peu il se forge un talent de polémiste.

C’est que Goebbels est dénué du moindre scrupule. Proche des frères Strasser il se rallie à Hitler en qui il voit le chef incontesté de la renaissance allemande. Démagogue en chef, il joue sur l’ambivalence du national socialisme qui vise à dépasser la lutte des classes tout en rejetant le national bolchévisme de ses anciens protecteurs. Il joue aussi sur son infirmité, il avait été atteint d’une forme de poliomyélite à 14 ans, pour laisser croire qu’il est un blessé de guerre, et en même temps il dénonce les profiteurs de guerre. Ce tourbillon verbal séduit ses auditeurs y compris, lorsqu’il arrive à Berlin en 1926, comme responsable de la propagande, des jeunes communises. Il manie l’art de la provocation, les meetings se tiennent dans le Berlin rouge et finissent par des affrontements contre les communistes. Son journal, Der Angriff, l’assaut, est calqué sur le journal du Front Rouge.

Le tourbillon verbal

L’écriture nerveuse de Lionel Richard fait que l’on découvre cet itinéraire avec une certaine fascination. On se prend à imaginer les obsèques grandioses de Horst Wessel, ce jeune nazi mortellement blessé par un communiste et l’hymne qui portera son nom sera chanté par des millions de voix trois ans plus tard.
C’est aussi cette fascination qu’il exerce sur son auditoire qui lui fait rencontrer une bourgeoise, Magda Quandt qu’il épouse en 1931. Hitler est son témoin.
Ce moins que rien est enfin quelqu’un, reçu dans la meilleure société surtout depuis que les industriels ont vu dans le nazisme la solution pour en finir avec le socialisme. Écrivain médiocre, il a enfin pu publier son œuvre qui ne s’est vendue qu’à 3000 exemplaire en 5 ans, il calque son avenir avec Hitler et il le suivra jusqu’au bout, jusqu’à la chute.

Au delà de la description de l’organisation de la propagande par Goebbels, Lionel Richard montre et démonte surtout l’édifice intellectuel que ce docteur en philosophie met en place. Il est clairement un manipulateur, sans véritables convictions si ce n’est la soif de reconnaissance et le désir de plaire. Son infirmité encore lui rappelle à tout moment que sa seule séduction est son discours qui suscite l’adhésion des autres, sa drogue en fait.
Il se retrouve en fait comme le chef d’orchestre d’une propagande efficace laissant filtrer des rumeurs d’attaque sur l’Angleterre quelques heures avant l’invasion de l’URSS, argumentant avec une certaine efficacité sur la défense de l’Europe contre le bolchévisme, propagande qui séduit d’ailleurs largement dans l’Europe occupée. Et puis, après la défaite de Stalingrad, c’est lui encore qui se présente comme le Général en chef de la guerre totale, sans doute parce qu’il n’a plus d’autres perspectives que de vaincre où de mourir. C’est sans doute aussi comme cela que son geste final s’explique. La peur d’avoir à rendre des comptes, même s’il a essayé d’obtenir des soviétiques un sauf conduit en avril 1945.

L’ouvrage est dérangeant car il interpelle le lecteur. La fascination pour la force chez ce faible est un mélange dangereux. Et l’on aurait parfois tendance à se demander si, les circonstances ne peuvent pas favoriser des évolutions de ce type, aujourd’hui encore. La soif de reconnaissance, la frustration devant l’échec sont des ressorts puissants qui conduisent aux extrêmes. Si l’on y ajoute un racisme obsessionnel, antisémite et anti slave le mélange est détonnant. Mais il entraîne aussi grâce aux nouvelles technologies de l’époque, bien d’autres esprits faibles qui trouvent dans l’action collective l’illusion d’être enfin quelque chose dans leur participation à ces rituels barbares mais en même temps soigneusement organisés.

Finalement Goebbels c’est ce petit homme dont parle Wilhelm Reich, séduit par la force et les cris, qui se retrouve embarqué dans des enjeux qui le dépassent et qui, par conformisme et lâcheté devient un bourreau ordinaire.