Bruno Modica est chargé de cours en relations internationales, chargé de formation au CNED de Lille

Cette revue qui réunit les contributions des chercheurs en histoire politique et parlementaire est présentée pour la seconde fois par le service de presse des Clionautes. Elle rassemble des contributions très spécialisées sur le second empire qui peuvent sans aucun doute amener les lecteurs à ré envisager différemment cette période singulière de l’histoire de France qu’a été le second empire. Période singulière assurément car ce règne de près de vingt ans a durablement marqué l’histoire politique de la France, au moins autant que le règne quasiment de même durée de l‘oncle de Napoléon Ier. En effet, lorsque la Ve république est présentée comme un régime de type bonapartiste, par ses opposants, c’est surtout à Napoléon III que l’on pense. De la même façon, et une citation de Victor Hugo qui circule souvent par les canaux des messageries électroniques le confirme, une identification est souvent faite entre le style de la fête impériale et celui de quelques réunions au Fouquet’s.

Les différents auteurs de ces neuf contributions apportent tous des éclairages particuliers sur cette période. De façon très technique et, pourquoi ne pas le dire un peu austère, les articles de Bernard Gaudillère et de Francis Choisel sur la publicité des débats parlementaires et la procédure de révision constitutionnelles sont, chacun dans leurs domaines éclairants. En effet, on ne peut que s’intéresser à ces rapprochements entre la constitution de 1852 et celle de 1858 avec le recours au référendum. De ce référendum qui procède du peuple souverain on a pu écrire et dire beaucoup de mal mais pour Bernard Choisel qui dénonce l’appellation d’Empire autoritaire le plébiscite permettait, comme le le dit Napoléon III, le peuple reste maître de sa destinée.

On dévorera à l’aune de ce texte circulant , Que peut-il ? Tout. Qu’a-t-il fait ? Rien.
Avec cette pleine puissance, en huit mois un homme de génie eût changé la face de la France, de l’Europe peut-être.
Seulement voilà, il a pris la France et n’en sait rien faire.
Dieu sait pourtant que le Président se démène : Il fait rage, il touche à tout, il court après les projets ; ne pouvant créer, il décrète ; il cherche à donner le change sur sa nullité ; c’est le mouvement perpétuel ; mais, hélas ! Cette roue tourne à vide.
L’homme qui, après sa prise du pouvoir a épousé une princesse étrangère est un carriériste avantageux.
Il aime la gloriole, les paillettes, les grands mots, ce qui sonne, ce qui brille, toutes les verroteries du pouvoir. Il a pour lui l’argent, l’agio, la banque, la Bourse, le coffre-fort. Il a des caprices, il faut qu’il les satisfasse.
Quand on mesure l’homme et qu’on le trouve si petit et qu’ensuite on mesure le succès et qu’on le trouve énorme, il est impossible que l’esprit n’éprouve pas quelque surprise.
On y ajoutera le cynisme car, la France, il la foule aux pieds, lui rit au nez, la brave, la nie, l’insulte et la bafoue !
Triste spectacle que celui du galop, à travers l’absurde, d’un homme médiocre échappé.
Victor HUGO, « Napoléon, le petit »

évoqué plus haut, l’article de Xavier Mauduit, le ministère du faste, la Maison de l’Empereur Napoléon III.

Il est évident que le Gaullisme a largement repris à son compte certains aspects de la fête impériale, permettant dans une certaine mesure une sacralisation du pouvoir plus que de l’individu qui en est détenteur. Tous les biographes du général de Gaulle ont souvent insisté sur la simplicité personnelle et en même temps sur son attention à ce que la République soit entourée d’un faste exceptionnel.
On a même parlé à plusieurs reprises sous la Ve République de Cour, vitrine du régime sous la Monarchie mais aussi sous la Ve République. IL est clair que Victor Hugo a eu des mots très durs pour dénoncer les fastes et notamment la « liste civile » attribuée au chef de bande.
Et pourtant, cette Maison de l’Empereur est une véritable administration, réunissant des milliers de personnes, un véritable ministère en fait consacré au prestige de l’Empereur certes, mais au-delà de sa personne au régime lui-même. Les fonctions sont de mettre en scène le Régime, organiser le faste, forger une légitimité.
Le rôle est d’organiser, alors que l’image animée n’existe pas encore, la communication impériale, permettant une proximité avec le peuple, dépositaire de la souveraineté. Une souveraineté que l’on cherche à contrôler, vielle tentation de tous les gouvernements. IL est évident, lorsque l’on regarde ce que l’on regarde les tentations de tout régime présidentiel ou assimilé à l’égard de l’audiovisuel public ou privé, que les dérives sont susceptibles de se produire.

L’article de Laurence Grégoire devrait également retenir l’attention des historiens intéressés par la Franc-Maçonnerie. Sous le second Empire, ces différentes obédiences sont surtout représentées à Paris. La Franc-maçonnerie entretient des relations ambiguës avec le régime impérial, sans doute en raison de relations étroites avec les familles Bonaparte et Beauharnais sous le premier Empire. Joseph, Jérôme, Lucien, Louis Bonaparte, Alexandre, Eugène et Joséphine pour les Beauharnais. Sous le second Empire, Louis Napoléon lui-même intervient pour désigner le Grand maître de l’ordre et une tentative d’unification des obédiences est même organisée pour finalement échouer.
Laurence Grégoire établit une typologie sociale et géographique des différentes loges. Le rite écossais étant plus présent rive droite par exemple. C’est également sous le second Empire que la question des femmes est posée même si le Grand Orient s’y oppose. Des fraternités sont tout de même ouvertes aux femmes, malgré des remontrances. La loge les « élus d’Hiram » par exemple, adresse un vibrant plaidoyer en faveur de l’égalité des sexes.
Les relations avec l’Eglise sont également un sujet récurrent, d’autant plus que le pouvoir en 1860 reconnaît les loges comme associations de bienfaisance ce qui n’est pas du goût de Monseigneur Dupanloup. Le syllabus qui condamne explicitement la Franc-maçonnerie suscite là aussi de multiples interrogations.
De plus, une querelle scolaire se dessine à propos d’une éducation qui serait débarrassée de l’influence de l’Eglise. La ligue de l’enseignement de Jean Macé reçoit par exemple des soutiens publics de loges. Certaines écoles professionnelles de filles semblent parrainées par des loges et des cours publics organisés par le Grand Orient annoncent de façon très claire le retrait de la référence à Dieu et à l’immortalité de l’âme. De fait, la franc maçonnerie annonce à la fin du second Empire un engagement républicain qui ne devait plus jamais se démentir au moins pour la première obédience de France, le Grand Orient.

Beaucoup d’indications précieuses sont également données dans ces présentations de recherches. On pourra lire avec profit pour ceux qui s’intéressent à la consolidation de la République après 1870, l’article de Thierry Truel évoquant les complots bonapartistes réels ou supposés conduisant à une tentative de coup d’Etat qui s’apparente un peu à une révolution de Palais dans lequel le rôle de Mac Mahon et de Rouher, le chef de l’appel au Peuple ne sont pas très clairs.
Enfin, pour terminer cette présentation, on pourra également citer l’article de Renaud Quillet sur l’internationalisme républicain, surtout connu grâce à Victor Hugo qui laisse dans l’ombre des hommes comme le philosophe Jules Barni qui inspire des idées d’équilibre entre les nations d’une stupéfiante modernité.