Une biographie sensible de Guy Mollet le mal aimé de la SFIO par Denis Lefebvre[1]

Guy Mollet a été un homme clé de la vie politique française. Secrétaire général du Parti socialiste SFIO de 1946 à 1969, président du Conseil des ministres entre 1956 et 1957, il fut aussi député du Pas-de-Calais et maire d’Arras de 1945 à son décès en 1975. À partir d’archives en grande partie inédites, de témoignages et de documents peu connus, cet essai biographique revient sur le militant socialiste permettant ainsi de comprendre comment il a pu sortir de l’ombre à la Libération pour s’installer ensuite au cœur de la vie publique française. On le suit dans ses nombreuses campagnes électorales, souvent tendues. On le voit aussi parmi les siens, ses camarades d’Arras, dans des réunions internes où il se confie. On voit enfin apparaître l’homme Guy Mollet derrière le politique, avec ses blessures, parfois ses colères.

Pour écrire cette nouvelle biographie sur Guy Mollet, Denis Lefebvre a retenu un découpage en 4 grandes phases chronologiques constituées de 4 chapitres, eux-mêmes divisés en sous-chapitres plus ou moins nombreux et longs rendant ainsi la lecture nerveuse et agréable : De Flers à Arras (de 1905 à 1945 – chapitre 1) ; La conquête et l’exercice du pouvoir (1945 à 1958 – chapitre 2) ; Quel parti pour le socialisme ? (1958-1969 – chapitre 3) et, enfin, Les dernières années (de 1969 à 1975 – chapitre 4). L’ouvrage est composé, outre une introduction (p. 7-11), de la répartition suivante : chapitre I (p. 15-42), chapitre II (p. 43-78), chapitre III (p. 79-122), chapitre IV (p. 123-166). En outre, suivent un cahier photographique (p. 167-184) avec un sommaire (p. 185-186) ainsi que les ouvrages publiés par l’auteur (p. 187).

Cet petit ouvrage est consacré Guy Mollet dans son « terroir », de son arrivée à Arras en 1925 à son décès en 1975. Il entend apporter un éclairage sur un homme que les circonstances de la vie mais aussi sa volonté, son ambition ont conduit à exercer les plus hautes responsabilités dans son parti, la SFIO, Section française de l’Internationale ouvrière, et dans l’appareil d’État sans oublier ses mandats locaux et nationaux. De son arrivée à Arras en 1925 à la Seconde Guerre mondiale, l’auteur esquisse à grands traits les premières années de sa vie, où l’on voit un militant politique et syndical, révolté contre la société, pacifiste à tous crins, qui défend avec acharnement ses positions, ne cédant jamais rien, multipliant les articles dans la presse et les congrès socialistes. La Résistance constitue un déclic pour lui. Jusque-là, il ne s’était jamais présenté à aucune élection. Dès 1944, il a changé : il veut être de ceux qui construisent une nouvelle société. Pour cela, il part à la conquête des pouvoirs, et remporte tout. Il agit, construit, impulse, à Arras comme à Paris, gère un parti confronté aux rigueurs de l’époque et au pouvoir.

Avec la Ve République, s’ouvre une autre période, entre le local et le national. Le local : la ville, les élections, les alliances. Le national : le Parti SFIO. Un parti dans l’opposition, et pour longtemps amoindri. Un parti qu’il faut faire vivre, tourner vers l’avenir, reconstruire sur de nouvelles bases, ouvrir vers de nouvelles forces : il s’y attelle sans relâche, toujours animé par la foi dans le socialisme. Il est de tous les combats jusqu’à son décès en 1975, il en gagne, il en perd aussi. Alors qu’il aurait pu vivre plus ou moins paisiblement sur le fonds de commerce d’un socialisme sur le déclin, parti charnière de la gauche, replié sur ses bastions municipaux, il engage dès le début des années soixante un processus qu’il sait mortifère pour lui-même : le renouvellement ne passera pas par lui, il entraînera son départ de tout poste de direction. Il l’accepte, et en tire toutes les conséquences en 1969, avec son départ volontaire de la direction du Parti SFIO au profit de la création du nouveau PS de François Mitterrand.

Grâce au passé Denis Lefebvre (ancien rédacteur en chef des publications de l’OURS), ce livre est nourri de documents souvent inédits, ou rarement exploités : correspondances, articles dans la presse, interventions diverses… Il bénéficie aussi d’une manne extraordinaire pour un chercheur : les cahiers de la section socialiste d’Arras, comptes rendus manuscrits tenus à partir de 1938, conservés au siège de la section, Les Faucons rouges. Ils sont souvent frustrants, trop courts, on aimerait plus de développements. Et pourtant, en l’état, ils offrent déjà une masse considérable de renseignements sur le fonctionnement d’une section, sur le Parti SFIO, sur la préparation des congrès, des élections. Ces cahiers prennent bien évidemment une valeur supplémentaire du fait de la présence de Guy Mollet dans cette section, « sa » section.

Cependant, Guy Mollet, même de par sa personnalité, son aura, n’est pas toute la section d’Arras, d’autant que sa présence physique, du fait de ses responsabilités nationales ou internationales, est souvent réduite. Guy Mollet y est chez lui, hors de l’apparat des manifestations officielles ou des exigences de la fonction. Il est dans sa famille, celle du Parti, et peut parler de tout, même – à partir des années 1960 – du doute qui l’étreint, de la colère qui l’emporte parfois, du désabusement qui s’installe. Là, il se confie, livre quelques secrets, quelques vérités, il argumente. On y comprend combien cet homme, au fil des années, s’isole de plus en plus, d’autant plus qu’il a choisi après 1969 le silence, et qu’il s’y tient jusqu’à son décès, toujours membre bien sûr du Parti socialiste, mais ne donnant jamais publiquement son sentiment ou ses commentaires sur le passé. Il n’a jamais voulu s’expliquer, se justifier, alors que tant d’autres ont pu apparaître comme des hommes neufs, nés à la politique en 1958, dans l’opposition au gaullisme ! Ils avaient pourtant approuvé ses choix à une écrasante majorité pendant la IVe République, pour se limiter à cette période de notre histoire contemporaine. Ils ont profité du silence de Guy Mollet et de la complaisance de journalistes peu regardants. Il a été un coupable idéal qui a tout porté. Faute de disposer du témoignage de ses proches, de ses amis, aujourd’hui disparus, ses seules confidences, ses seules analyses sur la situation socialiste après 1969, nous les trouvons dans ces cahiers de la section socialiste d’Arras. Ils n’en ont que plus de valeur pour tenter de comprendre cet homme, Guy Mollet, né officiellement en décembre 1905, l’année de la naissance de la SFIO, et prenant sa retraite politique en 1969, l’année même de la disparition de la SFIO. Puis décédant en 1975, avec toujours sa carte du Parti socialiste sur le cœur, contre vents et marées. Les dernières années de sa vie méritent d’être décortiquées autant que faire se peut, à la quête de l’homme Guy Mollet. Il n’était pas qu’une bête politique écrasant tout sur son passage. Un homme Guy Mollet existait, épuisé par trente années de luttes incessantes, au service de son parti, défenseur jusqu’au bout de ses idées, celle du socialisme, de sa foi dans le socialisme, dans l’adhésion à un parti.

            En conclusion, le dernier ouvrage de Denis Lefebvre, consacrée à la biographie de Guy Mollet et Arras (1925-1975), a l’énorme mérite de donner un portrait intime et sensible de ce personnage historique qui fut fort décrié à son époque aussi bien par ses « amis » socialistes que par ses adversaires politiques de droite… Grâce à ses talents de journaliste et d’historien, Denis Lefebvre nous livre un Guy Mollet ayant le socialisme chevillé au corps et au cœur sans oublier sa bonne ville d’Arras. Denis Lefebvre a réussi à tirer l’homme politique Guy Mollet de l’oubli et du purgatoire historique dans lequel certains socialistes français l’enferment encore aujourd’hui. Nous ne pouvons que recommander ce petit ouvrage (190 pages) qui s’adresse aussi bien aux enseignants-chercheurs s’intéressant à l’histoire du socialisme français et du parti SFIO qu’à la vie politique de la IVe et Ve Républiques sans oublier les étudiants en histoire cherchant de nouveaux sujets de Master 1 et 2, voire de thèse.

[1] Arrageois d’origine et ancien journaliste professionnel, Denis Lefebvre fut l’ancien rédacteur en chef des publications de l’OURS, et directeur de la revue Histoire(s) socialiste(s). Depuis 1996, il préside le centre Guy Mollet (association créée en 1976) et, depuis 1992, il exerce les fonctions de secrétaire général de l’Office Universitaire de Recherche Socialiste (OURS, fondé en 1969 par Guy Mollet). Il fonde, en 2003, la collection L’Encyclopédie du socialisme, dont il assure la direction. Cette collection a publié depuis cette date une quarantaine d’ouvrages dans des genres très différents : biographies, essais contemporains et historiques, recueil de textes choisis, etc. Il collabore à de nombreuses publications (Gavroche, Communes de France, Historia, La Chaîne d’union, Humanisme, L’Idée libre, Franc-maçonnerie magazine, etc.) dans lesquelles il publie des chroniques littéraires et des essais historiques. Ses livres, articles et conférences couvrent deux champs principaux : l’histoire du socialisme et celle de la franc-maçonnerie. Outre son dernier ouvrage consacré à Guy Mollet à Arras (datant de 2025), Denis Lefebvre a publié une vingtaine d’ouvrages (biographies et essais historiques compris) depuis son premier livre intitulé, Guy Mollet le mal aimé (Plon, 1992). Outre ce dernier, Denis Lefebvre a également consacré deux autres ouvrages à ce leader de la SFIO sous la IVe République : Guy Mollet face à la torture en Algérie (Bruno Leprince Éditeur, 2001) et Guy Mollet socialiste dans le Pas-de-Calais (1925-1975) (collection « l’Encyclopédie du socialisme », Bruno Leprince Éditeur, 2015). Sur le plan politique, il a été conseiller municipal PS de Bondy (Seine-Saint-Denis) de 1983 à 1995, dans les équipes animées par le maire PS Claude Fuzier.