Loi de 1905, légendes et réalités – Dans la période actuelle ou les références à la laïcité sont agitées, dans un contexte il est vrai très particulier, il nous est apparu utile de revenir aux fondamentaux. Ceux de l’histoire et de la mise en contexte. Cette présentation a pour but d’ouvrir le débat. 

La soirée du Vendredi 26 novembre 2021 | 18h | Forum de la FMSH | Inscription sera l’occasion de revenir sur cette question qui nous semble aujourd’hui essentielle.

Avec beaucoup d’enthousiasme, Jean Bauberot a bien voulu répondre à nos questions. Un compte rendu de cette conférence sera publié sur nos site et l’ouvrage présenté dans nos colonnes.

La 12e séance des Livres en dialogue réunira l’auteur de l’ouvrage Jean Baubérot et le président de l’Institut de recherche et d’étude de la libre-pensée, Jean-Marc Schiappa. La soirée sera animée par le journaliste de Libération, Thibaut Sardier.

En quoi la loi de 1905 a-t-elle constitué une rupture ?

Laïcité
Jean Bauberot

Suite à l’affaire Dreyfus, et au danger ressenti du « Ralliement », les gouvernements de Waldeck-Rousseau et, surtout, d’Emile Combes ont mené une politique d’anticléricalisme d’Etat qui faisait craindre à certains l’émergence d’une quasi guerre civile. Dans cette optique, les mesures prises contre les congrégations devaient conduire à l’instauration du monopole de l’Etat sur l’enseignement, à une épuration de l’école laïque et ensuite, seulement, à la séparation des Églises et de l’Etat, conçue alors comme le couronnement de cette politique anticléricale. C’est ce que l’on appelait la « politique des étapes ». Cependant, les choses ne se sont pas déroulées comme prévu. La question du « monopole » a provoqué une cassure interne dans la gauche républicaine. Buisson et Clemenceau le combattirent victorieusement. D’autre part, fait largement oublié, en 1904 la guerre russo-japonaise a progressivement induit la peur d’un conflit mondial (et les défaites de « l’allié russe » ont rendu l’Allemagne de nouveau menaçante), Enfin, un désenchantement s’est fait jour par rapport à la politique combiste, car une partie des écoles congréganistes se sont modernisées en « école libre ».

Selon le quotidien Le Radical, la République a fait une « apparence de persécution » sans en tirer profit; et, fin 1904, « l’affaire des fiches » (qui dataient de Waldeck-Rousseau) a discrédité Emile Combes, qui a dû quitter le pouvoir en janvier 1905. Ces divers événements ont favorisé l’élaboration d’une loi de séparation libérale, tournant le dos à l’anticléricalisme d’Etat. Néanmoins, rien n’était joué à l’avance et il a fallu, notamment, la détermination et l’intelligence stratégique d’Aristide Briand, rapporteur de la Commission parlementaire, pour aboutir à la loi de 1905. Mon livre est donc l’occasion de réfléchir sur la conjonction, dans l’Histoire, d’éléments structurels (je montre un « alignement des planètes ») et de l’action d’individualités, capables de transgresser des lieux communs de leur époque. Cela a été le cas de Briand, et de ceux qui l’ont aidé dont Jean Jaurès (qui, cependant, a joué un rôle beaucoup plus ambivalent que ce qu’a retenu sa légende), Buisson (président de la Commission) et d’autres dont le rôle a été en bonne part oublié, comme le centriste Paul Deschanel, le radical Eugène Réveillaud et le socialiste Francis de Pressensé.

Est-il envisageable de remettre cette loi de 1905 sur le métier et de la faire évoluer ?

Cette loi énonce des principes qui, comme ceux de la Déclaration de 1789, me semble revêtir une valeur universelle : égale liberté de conscience pour toutes les convictions, libre exercice des cultes dans le respect d’un ordre public démocratique (article 1); neutralité arbitrale de l’Etat, de la puissance publique, à distance de toute officialité religieuse (article 2). Plus encore, elle hiérarchise les principes qu’elle énonce (la fin de l’article 2 instaure la priorité des principes posés dans l’article 1) et, pour l’appliquer, l’Etat laïque respecte la constitution particulière de chaque culte (article 4). Dans le détail, la mise en œuvre de ces principes a varié et, dès 1907 et 1908, trois nouvelles lois ont modifié le régime de séparation, sans l’altérer. Il est donc tout à fait possible de faire évoluer la loi.

Cependant, à mon sens, la question que doit se poser chaque citoyen quand la loi est remise en chantier est la suivante : les modifications proposées sont-elles pertinentes par rapport aux principes fondateurs et permettent-elles de les actualiser dans de nouveaux contextes ? Cette interrogation me semble devoir être au cœur des débats actuels sur la laïcité. Plusieurs conceptions de la séparation se sont affrontées en 1905, je rends compte de leurs divergences et de la cohérence interne de chacune d’entre elles. Le lecteur peut ainsi s’apercevoir que les débats d’alors ont une permanente actualité. Mais ce n’est pas étonnant car, sinon, des œuvres comme Antigone, les fables de La Fontaine, Don Juan ou Tartuffe nous seraient incompréhensibles. Or, elles nous « parlent ».

La question de l’islam peut-elle se résoudre dans le cadre de cette loi qui a plus d’un siècle ?

Ce que je viens d’indiquer constitue déjà un premier élément de réponse. La loi, plus d’un siècle après, garde sa valeur, c’est est une preuve de sa réussite. Elle peut très bien s’actualiser et s’adapter à diverses situations. Ainsi elle a prévu la création d’aumôneries, et aux aumôneries des cultes présents dans l’hexagone en 1905, s’est notamment ajoutée une aumônerie musulmane qui, à l’armée notamment, paraît efficace dans la lutte contre l’extrémisme. Depuis plusieurs années, avec l’opération Sentinelle, des soldats de culture et/ou de conviction musulmanes ont gardé des églises, des temples, des synagogues.

Il faut ajouter que la loi de 1905 a été élaborée dans une conjoncture qui, malgré des différences indéniables, comporte des analogies avec la situation présente. Il existait ce que j’appelle un « mur de défiance » entre les libres-penseurs et les catholiques. Je décrypte les peurs des uns et des autres et leurs raisons. Tout l’enjeu de la loi a consisté à vaincre de mur de défiance, invisible mais bien réel, et à séparer, selon l’expression de Briand, les « catholiques surexcités », toujours « prêts à la bataille » et les catholiques qui, traditionalistes ou plus modernes, demandaient de pouvoir vivre leur foi dans la tranquillité. De 1899 à 1904 un engrenage de mesures répressives (qui n’étaient pas sans raisons) ne faisaient qu’augmenter le conflit et les craintes qu’il engendrait des deux côtés. La loi de 1905 a représenté une victoire conciliatrice de la République et, malgré le refus du pape, elle a amené rapidement l’apaisement. Ce résultat a été considéré, alors, comme inespéré, un « miracle » laïque selon Buisson. Ce fut l’art du politique d’arriver à le trouver.

Peut-on considérer que cette histoire de la loi de 1905 serait pertinente dans le cadre du système éducatif ?

Oui, tout à fait : j’ai conçu mon ouvrage comme devant apporter du nouveau sur le plan scientifique et, en même temps, revêtir une valeur pédagogique. C’est pour cela, notamment, que j’insiste sur les difficultés à placer la liberté de conscience en tête de la loi, et la ténacité du tandem Buisson-Briand sur ce sujet. Cela permet de bien montrer l’aspect précieux de cette conquête. Par ailleurs, j’insiste également sur ce que j’appelle la construction du « non-événement ».

Dans une enquête de Sherlock-Holmes, l’indice principal est le fait qu’un chien n’a pas aboyé. De même, arriver à pacifier des situations potentiellement violentes de façon que rien de dramatique n’arrive est le résultat de toute une action politique. A l’heure de l’inflation médiatique, il est important de mettre cet aspect en lumière. D’autre part, vous l’avons vu, la loi est toujours au cœur de la laïcité en France ; or elle est plus familière que connue et de nombreuses erreurs (certaines qui la dénaturent) sont commises à son sujet, il est essentiel de les rectifier et de pouvoir donner un enseignement conforme à la réalité des faits.

Sur ce point, Pierre Nora a montré que la mémoire collective tend à sacraliser certains aspects du passé, et que le rôle de l’historien consiste, je le cite, à le « laïciser ». Or, ce que je n’avais pas prévu, c’est que malgré mon décryptage, qui m’a conduit à farfouiller dans les coulisses de l’élaboration de la loi, celle-ci garde en partie le caractère « miraculeux » dont parlait Buisson. A l’heure d’un profond désenchantement, cela donne une raison d’espérer (le pire n’est pas toujours sur) et d’agir, car, en définitive, c’est le « pays » (souvent invoqué dans les débats) qui a permis la réussite finale de la loi.

Propos recueillis par Bruno Modica

Jean Baubérot, La loi de 1905, légendes et réalités, Editions de la Maison des Sciences de l’Homme, parution le 18 novembre 2021.

Présentation de l’éditeur

Cette étude, de loin la plus complète jamais rédigée sur une loi plus célèbre que connue, renouvelle son approche en traquant les oublis mémoriels, en montrant l’importance du contexte international (guerre russo-japonaise), celle des modèles étrangers (Mexique, États-Unis), en insistant sur les stratégies des forces politiques et religieuses et les différentes visions de la séparation qui se sont opposées, ainsi que les stratagèmes victorieux de Briand, oscillant entre Weber et Marivaux. L’auteur énonce 32 thèses novatrices qui permettent de comprendre pourquoi une loi qui semblait irréalisable est devenue un fait historique majeur, toujours actuel en notre XXIe siècle, où la liberté de conscience et la neutralité de la puissance publique, bref la laïcité, sont plus que jamais au premier plan de nos préoccupations.

Au moment où les débats sur la laïcité sont nombreux et vifs, et alors que la loi visant à « renforcer les principes républicains » a été adoptée par le Parlement, il est essentiel de revenir sur le processus qui a conduit à la loi de 1905, séparant les Églises et l’État. Jamais une « loi de liberté » (A. Briand), n’aurait dû advenir car deux France – la « fille aînée de l’Église » et celle issue de la Révolution – se combattent, entraînant le pays vers une « guerre civile ». À cette « guerre » séculaire de deux France s’ajoute une très inattendue « guerre » des gauches, significativement oubliée, qui met aux prises Jaurès et Clemenceau. En définitive se réalise un « équilibre des frustrations », fondé sur de nombreux paradoxes.

► Vendredi 26 novembre 2021 | 18h | Forum de la FMSH | Sur inscription

Nos invités
Jean Baubérot est historien et sociologue, président d’honneur de l’École Pratique des Hautes Études, professeur honoraire de la chaire « Histoire et sociologie de la laïcité ».

Jean-Marc Schiappa est historien, président de l’Institut de recherche et d’étude de la libre-pensée et spécialiste reconnu de Gracchus Babeuf et de la conjuration des Égaux.

Thibaut Sardier est journaliste, agrégé de géographie à l’ENS de Lyon et enseignant en lycée. Il utilise les outils géographiques pour mettre l’actualité en perspective, en presse écrite et audiovisuelle, mais aussi sur Youtube avec le « Point G ».

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