Marion Pouffary est fonctionnaire parlementaire et chercheuse associée au Centre d’histoire du XIXe siècle de Panthéon Sorbonne/Sorbonne université. Elle est notamment diplômée du master Affaires publiques de Sciences Po Paris et docteure en histoire moderne et contemporaine. Elle a soutenu en 2019 à Sorbonne université une thèse sur l’image de Robespierre au XIXe siècle, reprise ici pour l’occasion.

L’ouvrage ne prétend pas dresser un portrait de Robespierre ni d’être une énième biographie mais au contraire s’intéresse au travers des 11 chapitres qui composent son étude à la fabrique de l’image et de la légende noire liée au Révolutionnaire qui reste encore de nos jours au centre des mémoires liées à 1789. Mais ceux qui s’attendraient à une analyse des références robespierriennes par Jean-Luc Mélenchon seront déçus car, reprenant sa thèse, Marion Pouffary se concentre sur le XIXème siècle et plus particulièrement sur la période allant de la Monarchie de Juillet aux débuts de la Troisième République (chapitre 9). Pour autant, l’ouvrage ne manquera d’apporter de nombreuses clés de compréhension permettant d’expliquer pourquoi Robespierre ne laisse personne indifférent de nos jours, en particulier à gauche, cette sensibilité s’inscrivant dans un temps long.

 

De la légende dorée …

Le chapitre un débute en 1830 qui marque « le retour de Robespierre sur la scène politique en 1830 » soit 36 ans après sa mort sous la guillotine, place de la Révolution. Félix Barthe, Garde des Sceaux interpelle les députés le 5 février 1834 : « N’entendez-vous pas tous les jours crier la proclamation de Robespierre avec son portrait ? ». La loi en discussion cherche à porter un coup d’arrêt au développement d’un mouvement républicain et vise plus particulièrement la Société des Droits de l’Homme qui inquiète car cette dernière prend alors pour référence la Déclaration des droits de l’Homme présentée par Robespierre en avril 1793. La Monarchie de Juillet voit les milieux républicains marginalisés mais toujours présents comme l’atteste l’existence de plusieurs sociétés républicaines dont certaines, radicales, se réfèrent à la Convention de 1793. Deux sociétés se détachent en particulier : la Société des Amis du Peuple et la Société des Droits de l’Homme qui finit par supplanter la première après sa dissolution en 1832. Or ces sociétés développent le sentiment que la Révolution leur a été volée en 1830 et que Robespierre a été écarté.

La Restauration est période de rupture qui permet une première analyse historique avec un but politique affiché. Les ouvrages qui paraissent, rédigés par Thiers et Mignet par exemple, interprètent la Révolution comme l’aboutissement de la lutte entre la bourgeoisie et l’aristocratie qui se traduit par la consécration du Tiers Etat. La Révolution se scinderait en 2 périodes : la première allant de 1789 à 1791, honorable, et qui devient la référence politique et la seconde de 1792 à 1794, période durant laquelle, pour défendre les acquis de la Révolution une alliance est passée avec la classe populaire, ignorante et dangereuse, Robespierre s’inscrivant dans ce cadre. L’histoire devient une arme politique dont chaque camp a conscience. Pour les Républicains qui s’attaquent à la vision libérale de la Révolution, la référence à Robespierre leur permet à la fois de se situer dans une filiation historique mais en plus de disposer de références permettant de penser la question de l’égalité politique et sociale. Robespierre est ainsi réhabilité, son premier historien étant Albert Laponneraye qui, en plus d’être en contact avec Charlotte, la sœur cadette de Robespierre, dispense un cours d’histoire aux ouvriers tous les dimanches qui finit par être interdit lors du 5ème rendez-vous en décembre 1831. Arrêté et emprisonné il poursuit néanmoins son entreprise de réhabilitation en publiant les Mémoires de Charlotte et la première anthologie des œuvres de Robespierre entre 1832 et 1834. Les rôles de Philippe Buonarroti, aristocrate toscan ayant fréquenté Robespierre sous la Convention, mais aussi de Pierre-François Tissot, Barthélémy Hauréau sont également présentés.

Robespierre incarne la république démocratique et sociale à laquelle aspirent les républicains radicaux/socialistes d’où l’image d’un Robespierre défenseur de l’égalité politique et sociale qui est mise en avant par les auteurs qui s’appuient sur les écrits du Révolutionnaire, aspect que l’on retrouve également chez Lamartine qui cède, finalement, à une certaine fascination pour le sujet, mais aussi chez Louis Blanc et chez Cabet qui lui consacre une large part dans son Histoire populaire de la Révolution française et à son discours du 24 avril 1793 sur la limitation du droit de propriété et la progressivité de l’impôt. Mais cette mise en valeur d’une partie de ses idées se double d’un profond silence sur le côté obscur de Robespierre concernant le droit à l’insurrection. La question de la Terreur et des responsabilités de Robespierre suscitent les débats. C’est dans ce contexte que Raspail développe la théorie des deux Robespierre en dissociant le philosophe du politique responsable de la Terreur, théorie que réfute Laponneraye pour qui la Terreur est d’abord imputable aux agents du Comité qui auraient outrepassé leurs droits. Robespierre homme d’ordre, telle est l’idée développée par Vallouise, Tissot, Louis Blanc ou Maitre Dupont en 1833 pour défendre Kersausie. La réhabilitation de Robespierre passe également par ses écrits sur la Religion qui tiennent une place importante chez les théoriciens socialistes comme Barbès qui y voient le moyen d’adapter leurs croyances aux évolutions politiques et sociales souhaitées. Le romantisme naissant est alors le réceptacle d’un nouvel idéal religieux qui puise ses racines en partie dans un déisme avant tout sentimental mais aussi dans l’idée que l’ordre social, et par extension les valeurs portées par la Révolution ont un fondement religieux.

Le chapitre 3 intitulé « le poids des mots » propose une analyse des textes sont des succès de librairie dans les années 1830-1840, d’autant qu’il fut prolifique durant la Révolution. La stratégie de sa rhétorique page 82 relève son efficacité et livre la clé de son intemporalité : des discours reposant en 1er sur les principes et peu sur des détails ou des cas particuliers. Loin d’être une faiblesse comme l’ont perçu ses opposants, il s’agit là de sa force majeure. Le chapitre 4 montre quant à lui comment les radicaux-socialistes et les Romantiques ont construit deux images structurelles : le génie de la Révolution qu’il finit par incarner à lui seul, et l’homme-principe. Cette dernière image a pour auteur Albert Laponneraye qui, dans les années 1830, fait ainsi de Robespierre la figure incarnant par excellence les principes démocratiques et sociaux au cœur des combats de la gauche à l’époque. Paré de toutes les vertus politiques, Robespierre devient ainsi celui qui est incapable de dissimuler ses pensées et qui croit ce qu’il dit.

… à la légende noire

Le chapitre 5 marque une rupture et, jusqu’au chapitre huit, l’auteure s’intéresse à la construction de la légende noire de Robespierre et pour commencer à l’image du « tyrannarchiste ». Dès la Révolution, Robespierre est vu par les royalistes comme un anarchiste, le terme désignant avant tout une défense des idées jugées excessivement libérales et l’excès de libertés comme l’ont montré notamment les travaux de Marc Deleplace sur lesquels s’appuie Marion Pouffary. Or c’est bien cette image du Robespierre anarchiste qui est reprise par les Girondins à partir de l’automne 1792, car pour eux, c’est par l’organisation de l’anarchie que Robespierre compte alors accéder au despotisme (page 136–137). À cette image s’ajoute celle du niveleur, les deux étant synthétisés par le discours thermidorien diffusé peu à peu à partir de 1795. Le chapitre six « naissance et consolidation des légendes noires de gauche » déconstruit l’idée reçue selon laquelle la légende noire de Robespierre n’appartiendrait qu’à la droite en général. En effet, comme le souligne l’auteur, à partir des années 1840 un certain nombre de courants politiques radicaux « ne manifestent pas forcément le même respect pour leur grand ancêtre ». (Page 161) c’est ainsi qu’une légende noire de gauche alimentée par plusieurs courants émerge dans les discours politiques. Le premier courant hostile à Robespierre est à rattacher au mouvement communiste émergeant dans les années 1839–1840. En 1839, un proche de Pierre Leroux, Théophile Doré publie dans le journal du peuple un article qui suscite de violentes réactions montrant des divergences d’appréciation sur Robespierre, tandis qu’Hébert est présenté comme l’alternative.  L’année 1842, année de la rupture, voit émerger une polémique opposant Étienne Cabet à Théodore Dezamy. Enfin, une autre opposition de gauche doit être évoquée : celle de Louis Blanc qui, inspiré par les discours girondins et thermidoriens, évolue et qui qui le présente dans ses Notes sur Robespierre comme un individu sans doctrine économique et, un nouveau pontife dont il se moque. Car en effet c’est surtout la politique religieuse de Robespierre qui finit par focaliser l’attention d’une partie de ses opposants de gauche. Enfin, l’auteur évoque l’hostilité de Proudhon envers Robespierre. Dès les années 1840, le père de l’anarchisme estime que Robespierre est un exemple dangereux par son caractère bourgeois et clérical son aspect autoritaire, considérant même que : « la république indivisible de Robespierre, [est] la pierre angulaire du despotisme et de l’exploitation bourgeoise » (cité page 176) mais rappelons comme le fait l’auteure que cette critique de Proudhon se nourrit aussi d’une franche hostilité de ce dernier envers tout système autoritaire et toute autorité politique centralisée et même de tout gouvernement. Enfin, dans le prolongement de Proudhon Marion Pouffary évoque également la quatrième légende noire de Robespierre diffusée par Pierre Kropotkine autre théoricien de l’anarchisme qui publie en 1909 La grande révolution. Mais il se distingue de Proudhon sur quelques points et n’hésite pas à porter un avis beaucoup plus nuancé sur les idées de Robespierre en matière économique et sociale. Enfin le chapitre sept s’intéresse à un autre courant porteur de la légende noire, celle du récit historique républicain modéré où L’histoire de la Révolution française publiée entre 1847 et 1853 par Michelet constitue un des principaux vecteurs de diffusion de la légende noire de Robespierre. En effet, c’est dans les années 1860 que la mémoire républicaine se fracture sur l’interprétation de la Révolution à une époque où l’idée républicaine connaît un renouveau qui s’accompagne de l’émergence d’une nouvelle génération de militants qui s’affirment face aux quarante-huitards (page 197–198). Cette division s’illustre par la polémique qui oppose Edgar Quinet aux Jacobins tels que Louis Blanc, le premier estimant et présentant la Terreur comme une régression dans un processus révolutionnaire, tandis que les seconds, influencés par les courants hostiles à Robespierre évoqués précédemment, estiment que la dictature du Comité de salut public à sauver la Révolution. Mais à l’époque l’objectif des républicains modérés est d’affirmer avant toute chose que les libertés sont les principaux acquis de la Révolution qu’il faut à tout prix préserver, tandis qu’à l’inverse la question sociale est minimisée.

Les derniers chapitres remettent en perspective la place et le rôle de la parole de Robespierre en particulier dans les débats parlementaires au cours du XIXème siècle. Le chapitre 11 intéressera particulièrement les professeurs dans la mesure où Robespierre pourtant devient une référence récurrente dans les débats sur les questions religieuses et scolaires où l’image du tyran domine très nettement, faisant de lui non pas seulement un tyran anarchiste mais aussi au-delà un tyran des consciences comme le montre le rapport sur l’instruction publique présenté à la Convention le 23 vendémiaire an III, les débats parlementaires sous la Monarchie de juillet, en 1848 lors de l’examen de la loi Falloux et, bien entendu, la IIIe République lors du vote des lois Ferry et Goblet. Mais, en parallèle, comme le précise l’auteur, à la fin du XIXe siècle, Robespierre est devenu pour la gauche un ancêtre politique aux convictions certes louables, mais quelque peu dépassé et de moins en moins revendiqué en particulier chez les radicaux dont le courant a sensiblement muté au début de la Troisième République. La droite l’utilise quant à elle comme argument facile par dérision tandis que la figure du tyrannarchiste disparaît. Une page s’est tournée (page 316).