Histoire des arts
Une méthode, des exemples
édition de la documentation française numéro 8091
ce dossier s’adresse évidemment aux enseignants en histoire et en géographie, cette fois en tant qu’initiateur de projet en histoire des arts. Cette nouvelle « discipline » qui s’est rajoutée, à moyens constants, à nos enseignements est venue largement modifier la perception des programmes de collège, en banalisant le système de l’exposé présenté par des élèves devant un jury. Au lycée, si les programmes de secondes se prêtent à ce que l’on puisse consacrer un peu de temps à ces questions, le programme de première et la concentration sur une seule année d’une partie essentielle de l’histoire du XXe siècle, risque de faire apparaître l’histoire des arts comme un supplément d’âme, à moins que l’on ne puisse, ce qui est souvent pratiqué, détourner la demi-heure hebdomadaire d’éducation civique, pour élaborer une séquence en histoire des arts.
Les deux coauteurs de ce numéro de la documentation photographique sont :
- Marianne Cojannot-Le Blanc, Professeur des universités en histoire de l’art de la période moderne à l’université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense, membre de l’équipe d’accueil H.A.R. (Histoire des Arts et des Représentations) ; ancienne élève de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, agrégée d’histoire (1996), docteur en histoire de l’art (2000) et ancienne pensionnaire en histoire de l’art de la Villa Médicis (2000-2002).
- Iveta SLAVKOVA, docteure en histoire de l’art de l’université de Paris-1-Panthéon Sorbonne, Membre correspondant du Centre de recherches sur le surréalisme de l’université de Paris 3 Sorbonne Nouvelle, elle enseigne l’histoire de l’art à Efficom Paris.
- Les deux auteurs dans leur premier article montrent les différences entre les deux disciplines que sont l’histoire et l’histoire de l’art, en faisant un point sur la naissance de cette discipline que l’on peut situer à la renaissance. L’histoire de l’art se décline également en trois lieux différents, tantôt convergent, tantôt divergents : l’université, les musées, et de plus en plus le marché de l’art. Ce « de plus en plus » serait de trop, tant il est vrai que l’art, surtout au moment de la renaissance, et que le fait d’entrepreneurs d’art, à la tête d’ateliers d’artistes et bien entendu dirigeant du personnel.
L’histoire de l’art relève globalement d’une démarche commune à celle des historiens, au sens où le projet de l’historien de l’art et celui de la compréhension des productions artistiques au plus près de leur contexte de création et de réception. L’auteur affirme d’ailleurs en histoire de l’art, il n’est pas de tentative de compréhension de l’objet, indépendamment d’une entreprise de contractualisation de celui-ci.
Évidemment, ce sont les oeuvres d’art elles-mêmes, qui sont les sources principales de l’historien de l’art. Pour l’historien, c’est son questionnement propre qui donne son statut de source à l’objet qu’il étudie, et cela peut être une oeuvre d’art, une facture, un journal intime, un objet de la vie quotidienne, etc.
Très clairement il convient de différencier l’oeuvre comme document, de l’oeuvre comme oeuvre.
Si tout au long du XXe siècle les mutations de l’histoire ont été encadrées par d’abondants débats et travaux critiques sur le métier d’historien, la pratique de l’histoire de l’art, en raison de son statut de discipline confidentielle, n’a pas suscité autant de débats passionnés. Il semblerait tout de même que depuis le tout début du XXIe siècle, avec la création de l’institut national de l’histoire de l’art en 2002, la situation évolue.
Les fondements méthodologiques de cette discipline sont tout d’abord, l’iconographie, qui s’est développée au XIXe siècle en tant que discipline auxiliaire des études religieuses. L’iconographie est devenue une véritable méthode d’analyse en histoire de l’art fondé sur la mise en relation des formes visuelles avec des réseaux de référence textuelle. À cette iconographie, il a été introduit un troisième niveau, par Panofsky. (1892- 1968). Panofsky distingue dans l’imago pietatis : l’image de dévotion, l’image historique à caractère scénique et l’image de représentation à caractère hiératique ou culturel. Les auteurs rappellent cette méthode l’iconologie. L’interprétation est en histoire de l’art globalement conçu comme nécessaire mais elle court évidemment le risque de se perdre à l’extérieur de l’œuvre elle-même. À l’opposé de l’iconographie de l’iconologie soutient le formalisme. Selon son premier représentant, HeinrichWölfflin, l’émotion les traits de la combinaison d’éléments plastiques que l’on pourrait écrire et appréhender selon différents concepts hérités de l’étude des œuvres de la renaissance de l’âge baroque.
Enfin, l’histoire sociale de l’art est venue démythifier l’artiste et son œuvre, en inscrivant l’artiste dans son contexte historique et social, mais également l’œuvre, en reliant cela à l’histoire sociale du goût. Cette histoire du goût met ainsi en tension historique la réception des œuvres et leur évolution dans le temps. Depuis les années 80, dans le monde anglophone, les gender studies ont fait leur apparition également en histoire des arts, à la lumière de ce qu’on appelle les rapports sociaux entre les sexes. Au sein de ces approches certaines études portent sur les femmes artistes afin de souligner leur rôle dans la société. On pense nécessairement à Camille Claudel.
Enfin, les visual studies ambitionne de renouveler des outils critiques en s’appuyant sur de nouveaux outils, et notamment les sciences cognitives.
C’est évidemment la partie : commenter une œuvre d’art qui retiendra tout particulièrement l’attention.
Il est évident qu’il n’existe pas une méthode toute faite pour commenter une œuvre d’art. L’objet lui-même peut avoir été réalisé à une époque où il n’était pas en tant que tel perçu comme une oeuvre d’art, mais appelé à remplir des fonctions précises.
L’historien de l’art sollicite avec précision sa connaissance du contexte historique et culturel de l’œuvre et procède largement par comparaison. L’œuvre d’art s’inscrit dans une série, dans un système de référence.
Les auteurs évoquent avec juste raison ce sujet sensible qui est celui de la reproduction. Il est évident que la représentation d’un tableau monumental ou d’une fresque sur un manuel, ou sur une photocopie au format A4, ne donne pas grand-chose. Heureusement, les technologies numériques permettent, quoique imparfaitement, et souvent dans des conditions difficiles, de donner une idée du développement de certaines œuvres.
Très opportunément, les auteurs évoquent d’ailleurs la question de l’angle de vue. Il est évident que les photographies prises de façon frontale, avec des échafaudages, et des systèmes d’éclairages particulièrement sophistiqués, peuvent se révéler trompeuses.
Enfin, lorsque l’on rentre dans l’étude de l’oeuvre d’art proprement dite, bien des questions se posent, et cet article donne évidemment des pistes de travail particulièrement précieuse. La description de l’œuvre, le commentaire de tableaux en suivant la méthode, composition, dessins et coloris, peut se révéler particulièrement utile. Les auteurs ouvrent également des pistes précieuses pour ce qui concerne les œuvres en plusieurs dimensions, comme la sculpture l’architecture, mais également les œuvres non figuratives et les nouveaux médias.
La conclusion de cette mise au point est bien de noter que l’interdisciplinarité s’impose comme un élément décisif pour la pratique de l’histoire de l’art et celle du commentaire d’œuvre.
Encore une fois, il est évidemment difficile de se retrouver, une fois que ces pistes stimulantes, ont été ouvertes, devant la réalité quotidienne qui est celle de contraintes horaires et de limites matérielles. Mais encore une fois, et l’histoire des arts s’y prête particulièrement, les professeurs essaieront d’aller à l’idéal, en passant par le réel.
La deuxième partie de la documentation photographique est traditionnellement consacrée à la présentation successive de thèmes et de documents.
Pour la première fois, les abonnés au dossier et/ou transparents projetables peuvent disposer gratuitement des principaux documents de ce dossier ainsi que des pistes pédagogiques en version numérique. Il est évident que les jours du rétroprojecteur étant comptés, cette option sera particulièrement avantageuse.
- Pour la période de l’Antiquité au Moyen Âge, Iveta Slavkova a choisi une céramique pour illustrer le mythe grec de la mort d’Hector dans l’Iliade. Elle présente une céramique à figures noires, exposée au musée du Louvre. Il s’agit d’une technique qui se serait propagée à Corinthe entre 600 et 450 avant Jésus-Christ.
- Pour présenter l’architecture romaine, le choix du théâtre d’Orange apparaît particulièrement pertinent. Sans doute l’édifice le mieux conservé en raison de son insertion précoce dans le tissu urbain médiéval, tout comme les arènes de Nîmes et d’Arles, ce théâtre antique a tout de même connu une période de restauration à partir de 1825, et l’auteur de l’article, Iveta Slavkova, a fait le choix d’illustrer avec une vue intérieure du théâtre romain d’Orange prise en 1851 sur du papier albuminé, c’est-à-dire très clairement recouvert de blanc d’oeuf, au moment de l’exposition, de Edouard Baldus.
- Le même auteur revient sur le portrait antique, et notamment sur un certain nombre de bustes de César qui montrent que les sculpteurs avaient une véritable démarche vers l’unicité du personnage qu’il représentait.
- Au-delà de l’Europe, un regard sur l’art Gupta, une dynastie qui a régné sur le nord de l’Inde de la fin du troisième siècle milieu du sixième siècle, permet de comprendre comment le bouddhisme s’est développé sur l’ensemble de l’Asie, alors que la dynastie en question était hindoue. La représentation du bouddha assis en position du lotus, s’inscrit clairement dans une perception du monde que l’on retrouve dans le geste de faire tourner la roue de la loi.
- Isabelle Saint-Martin propose une utile mise au point sur les représentations du Christ au Moyen Âge, en proposant le tympan de l’église abbatiale Saint-Pierre à Beaulieu-sur-Dordogne en Corrèze, et au passage la frise inférieure des animaux et des monstres est particulièrement riche et pourrait rappeler, même s’il y a deux siècles de décalage, les motifs des plafonds peints en Europe méridionale au milieu du XVe siècle.
- Iveta Slavkova revient sur la tapisserie de Bayeux, sur l’art de la narration que l’on retrouve dans ce panneau de lin brodé long de 68 m et larges de 50 cm.
- Marianne Cojannot-Le Blanc ouvre la période de la fin du Moyen Âge à l’âge classique en présentant le passage de l’artisan à l’artiste au début de la renaissance et en situant dans l’espace la géographie européenne de la renaissance artistique de la fin du 15e et du XVIe siècle. La perspective qui est un classique de laitue dans l’histoire des arts est également traitée à partir de trois oeuvres et de trois textes d’ailleurs de Piero de la Francesca, de Masacio et de Leon Battista ALberti. Il s’agit bien entendu de la perspective italienne. Elle continue à évoquer le pouvoir monarchique et les arts et on est un petit peu étonné que dans ce domaine, le lien avec la monarchie absolue ne soit pas plus marqué.
- Iveta Slavkova choisit de traiter de l’esclavage à partir de la réalisation de la manufacture de Sèvres, des porcelaines dures, superbement décorées qui évoquent les cultures de la canne à sucre, du café du cacao dans les colonies, réalisé en 1827. Il s’agit là d’un véritable documentaire sur porcelaine, qui reprend les stéréotypes à propos des populations noires réduites en esclavage, car plus résistantes et aptes à réaliser des travaux pénibles.
Bien d’autres thèmes plus récents sont traités dans ce dossier de la documentation photographique, y compris la danse, dans ce dernier article de Iveta Slavkova qui évoque les corps en mouvement.
Avec le cahier de transparents, et la version numérique, ce dossier documentaire pourrait se révéler particulièrement précieux pour envisager, sous réserve que les conditions s’y prêtent, des études d’histoire des arts particulièrement intéressantes. Mais encore une fois, pour reprendre le titre du dernier article de ce dossier, corps en mouvement, corps contraints, ce sont bien les contraintes horaires, qui s’imposent à l’histoire des arts dans les classes.
Bruno Modica