Des milliers d’œuvres d’art ont vu le jour pendant la première guerre mondiale et dans l’immédiat après-guerre. À travers elles, les artistes des pays belligérants ont représenté le conflit sous ses aspects les plus divers.
Analyser la production artistique de la Première Guerre mondiale selon une approche comparative et internationale
Cet ouvrage d’une grande qualité a pour objectif, sans être exhaustif, de poser les jalons d’une histoire comparative de ces œuvres, appréhendée selon une perspective internationale, en prenant en compte les contextes historique et institutionnels de production ainsi que de réception, tout en s’interrogeant sur les motivations des artistes en fonction de s’ils étaient des combattants ou s’ils étaient restés à l’arrière, de s’ils étaient missionnés au front pour le représenter, de s’ils étaient correspondant de presse, etc. Le livre est édigé par des spécialistes internationaux de l’art de la Grande Guerre, dirigés par Anne-Pascale Bruneau-Rumsey (maître de conférences en histoire de l’art et civilisations britanniques à l’Université Paris Nanterre) et Séverine Letalleur-Sommer (maître de conférences en langue et littérature anglophone à l’Université Paris Nanterre).
La plupart des artistes évoqués, comme par exemple Édouard Vuillard, Félix Vallotton, Maurice Denis, Paul Nash, C.R.W. Nevinson, dans l’ouvrage sont issus de courants modernes ou d’avant-garde. Leurs œuvres rendent compte d’une expérience qui ne fut pas seulement celle des combats, mais aussi celle de l’arrière, du deuil, de la reconstruction, physique, psychique et sociale, de la protestation, et enfin, de l’innovation artistique. Dans quelles conditions furent-elles créées ? À quels publics et quels usages étaient-elles destinées ? Comment ces réalisations ont-elles pu contribuer à forger les mémoires nationales ? Très tôt considérées par la critique anglo-saxonne comme formant un corpus spécifique, elles ont mis plus longtemps à être prises en compte en tant que telles en France, en Allemagne, ou ailleurs.
L’ouvrage est dirigé en quatre parties :
1. Création et circulation d’un art de guerre : acteurs publics et réseaux privés.
2. Témoignage, propagande et commémoration.
3. L’investissement mémoriel chez les artistes des mouvements modernes et d’avant-garde.
4. Les représentations de la mutilation, entre reconstructions, commémoration et commentaire social.
Je vous renvoie à l’excellent article de Jean-Pierre Costille sur l’ouvrage pour compléter ce compte-rendu et avoir des éléments sur le contenu de ces parties.
Une ressource dense mais très utile en Histoire de l’Art et sur la Première Guerre mondial
Les analyses proposées dans cet ouvrage d’une grande qualité sont claires et concises, replacées dans leur contexte, et offriront de précieuses ressources aux professeurs et aux étudiants désireux de compléter leurs cours ou de parfaire leurs connaissances.
Il est néanmoins destiné à un public ayant déjà de solides connaissances sur la période et sur les différents courants artistiques. En effet, l’ouvrage est très dense et complexe, avec de nombreuses notes de bas de page.
Un exemple d’œuvre analysée : La Mitrailleuse de C.R.W. Nevinson, 1915
C’est en exposant cette œuvre en mars 1916 à Londres que Nevinson acquiert une réelle notoriété. Il s’agit d’une scène de composition peinte en Angleterre en 1915. L’angularité des formes lui sert à souligner une continuité entre l’homme et la machine, notamment dans le personnage central, et permet la mise en place d’un jeu sur l’ombre et la lumière. Conjugué au raccourci saisissant, celui-ci apporte à la scène une forte intensité dramatique, encore renforcée par le symbolisme de la croix, au premier plan. La composition rapprochée, le cadrage serré qui suggère une continuation de la scène au-delà des limites du tableau, suscitent un effet de présence au cœur des événements. L’artiste endosse le rôle de peintre comme témoin, avec son expérience du front comme gage de l’authenticité de ce qu’il présente.