Le catalogue de cette exposition est codirigé par Jean-Luc Martinez, agrégé d’histoire, membre de l’école d’Athènes, ancien directeur du département des Antiquités grecques, étrusques et romaines, aujourd’hui président-directeur du musée du Louvre et Chantal Quillet, agrégée de Lettres classiques. Il présente la dernière exposition de la petite galerie du musée du Louvre, sur le thème de la figure de l’artiste. Cette thématique vient accompagner le cycle d’expositions du musée consacré en 2019 et 2020 aux génies de la Renaissance comme Léonard de Vinci, Donatello, Michel-Ange et Altdorfer.  Comme le veut la tradition, un art est invité. La littérature s’est imposée puisque ces artistes ont pour modèle le poète inspiré par la muse, et que certains textes donnent vie aux œuvres. Les commissaires se sont attachés à explorer les huit départements de conservation du Louvre, afin de cerner le passage du statut d’artisan, pour la plupart anonyme à l’époque antique, à celui d’artiste célébré, à partir de la Renaissance au point d’être autant admiré que son œuvre. Praxitèle, Fouquet, Dürer, Rembrandt, Poussin et Delacroix illustrent cette évolution vers la signature et l’autoportrait.

La première partie de cet ouvrage s’ouvre sur le problème de la signature. Les Grecs et les Romains confondent dans un même terme « l’artiste » et « l’artisan », tekhnitès en grec et artifex en latin. D’ailleurs il n’existe pas de muse de la sculpture ou de la peinture, techniques non considérées comme des arts. Pourtant des signatures existent. Complexes à interpréter, ces mentions indiquent plutôt la notoriété d’un atelier ou d’une production. Avec la naissance d’une histoire de l’art et d’un marché, certains usent de la signature pour valoriser leurs créations. Un bon exemple est la Vénus accroupie d’Antoine Coysevox, datant de 1686 destinée à Louis XIV. Le sculpteur agrandit un modèle antique de Phidias. Il signe en grec de ce nom et ajoute le sien en dessous. Il est donc de connivence avec son public cultivé. Le tableau de réception à l’Académie d’Anne Vallayer, fille d’un orfèvre montre Les attributs de la Peinture, de la Sculpture et de l’Architecture. Elle signe son œuvre de la date de son entrée dans l’institution sur la table d’ouvrage.

La section sur l’autoportrait montre, comment à la Renaissance, les architectes, les sculpteurs et les peintres s’émancipent et affirment la prétention de se représenter à l’égal des princes. Le plus ancien autoportrait d’Occident est exposé, celui de Jean Fouquet en émail et camaïeu d’or, autrefois intégré à un diptyque, y ajoutant sa signature. Les arts figurés rivalisent avec la littérature. Les écrivains traduisent les œuvres d’art en mots dans un exercice de description-évocation. Eugène Delacroix s’inscrit dans ce modèle puisqu’il est autant écrivain que peintre.

Un troisième volet se propose de s’intéresser aux Vies d’artistes. Dès la Grèce ancienne, une histoire de l’art naissante parle de Praxitèle ou d’Apelle. Ces textes perdus sont repris par des auteurs romains comme Pline l’ancien au Ier siècle ou Pausanias au IIe siècle. Dans les sociétés antiques, si les artistes ne sont pas reconnus, des écrivains notent une théorisation de leur art. On ne connaît certains peintres que par les descriptions dites anecdotiques de certains auteurs. Ces vies d’artistes deviennent des sources d’inspiration, comme celle de Vasari qui publie en 1550 les Vies des plus excellents architectes, peintres et sculpteurs. Dans un texte d’Oscar Wilde, le portrait de Dorian Grey part de l’exemple d’Adonis. Dans les textes du XIXe siècle, ce sont les peintres qui deviennent les héros romanesques, au travers desquels s’interroge l’écrivain sur son processus créatif.

Le chapitre suivant insiste sur la place des Académies (mot venant d’un quartier d’Athènes où enseignait Platon), dont l’Académie royale de peinture et de sculpture fondée en 1648 et placée sous la protection du roi Louis XIV. Le Louvre a joué un rôle particulier dans l’émergence de l’artiste. Quand la cour part à Versailles, les collections de l’Académie restent au Louvre qui devient un musée. La nouvelle institution artistique répond au désir des artistes de s’affranchir de la tutelle des corporations de métiers. Cette communauté a œuvré à la théorisation des arts. En dispensant un enseignement sur le modèle vivant (ce qui est interdit aux femmes qui doivent se contenter de copier dans les salles) et fondé sur le dessin, l’Académie élève la peinture et la sculpture au rang d’arts nobles dits « arts libéraux ». Les académiciens sont reçus après avoir présenté « un morceau de réception ». Ils ont le devoir de représenter un autre académicien. Ainsi Antoine Coysevox sculpte Charles Le Brun dans ses plus beaux atours tandis que le premier peintre du roi est portraituré par Nicolas de Largillière. Un tableau de Jean-Baptiste Martin montre une de leur réunion dans la salle appelée au XIXe siècle, le salon de Diane.  Les artistes deviennent à ce point des personnalités autonomes, qu’ils peuvent prétendre à ce type de représentation.

Dès le XVIIe siècle, l’Académie royale de peinture et de sculpture organise des expositions contemporaines d’œuvres de ses membres pensionnés par le roi, de 1737 à 1848, dans le Salon carré d’où le nom de Salon. Ouvertes au public, elles fournissent un espace de liberté et favorise la naissance des critiques d’art (dans lequel Diderot s’illustre de 1759 à 1781) tout en permettant aux artistes de se faire connaitre et d’obtenir des commandes. L' »Académie » d’Élisabeth Louise Vigée Le Brun présente La paix ramenant l’Abondance. Le sujet choisi, une allégorie, relève de la peinture d’histoire, le genre le plus noble réservé aux hommes. Cette femme se libère ainsi de la tradition. Marie-Guillemine Benoist a l’incroyable audace de présenter au Salon le Portrait d’une femme noire, Madeleine. Elle rend avec virtuosité la couleur de peau de son modèle qu’elle drape d’un tissu blanc immaculé. Élève de David, elle reprend les codes des portraits mondains mais les utilise pour peindre l’esclave de son frère. Le Salon quitte le Louvre au moment où il est investi par le public.

Cet ouvrage très plaisant invite en dernier lieu à effectuer une promenade dans le musée, à la lumière des « Phares » de Baudelaire, une façon d’aller à la rencontre d’un peintre par la voie romantique.