rappel programmes de première en France
ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/bo/2002/hs7/sesl.pdf
Ce manuel Franco-Allemand d’histoire de première suit logiquement celui sui était destiné aux classes de terminale. Il est clairement destiné aux classes européennes des deux pays et les deux éditeurs Klett et Nathan, le proposent dans les deux langues.
La question que l’on peut se poser, surtout si l’on exerce dans un lycée où n’existent pas de sections européennes franco-allemandes est de savoir si ce manuel est utilisable dans des classes traditionnelles. Cela explique la référence aux programmes officiels citée plus haut.
Les auteurs ont souhaité développer une histoire croisée et réaliser un accommodement des deux programmes nationaux. Cela donne un ensemble pourtant cohérent présenté dans le cahier des charges qui ouvre le manuel. L’ouvrage est destiné aux classe de « S » et de « L et ES » mais la densité du contenu, le rajout de chapitres spécifiques à l’histoire allemande, le rendent délicat à utiliser dans les classes où le volume horaire est limité.
Pourtant le contenu est particulièrement séduisant même si les premiers chapitre de l’ouvrage consacrés à l’Europe des Nations font clairement référence au programme de seconde. (L’Europe du Congrès de Vienne).
Il est vrai que ce sont les dernières questions de l’année, souvent traitées très rapidement.
Le premier chapitre est donc également traité en seconde, Restauration et Monarchie de juillet comprises ainsi que les aspirations libérales et nationales en Europe. Les Unités italienne et allemande sont développées avec, et c’est logique, un développement sur la démarche de Bismarck. Le second Empire par contre est traité sous l’angle d’un despotisme démocratique, mettant en avant la modernisation économique jusqu’au traité de libre échange de 1860.
La conclusion de la première partie de l’ouvrage, 1814-1914 est enrichie par des regards croisés, nation et nationalisme, séparation de l’Église et de l’État et kultukampf jusqu’à une réflexion sur le sonderweg et la construction politico-historiographique des ennemis héréditaires.
Pour la seconde partie, qui fait référence en première à L’âge industriel et sa civilisation du milieu du XIXe siècle à 1939 (15h), le traitement est tout à fait pertinent. Les deux chapitres qui composent cette partie sont: Les mutations de l’économie et Permanences et mutations sociales. Ils sont précédés par des repères statistiques sur une double page et se terminent par deux dossiers et une double page méthodologique. Ils se terminent ce qui évidemment logique avec les regards croisés franco-allemands.
Le chapitre 7 «De nouvelles formes d’expression et d’engagement» est, du point de vue du fond remarquable en tous points. On appréciera la périodisation, qui permettra au professeur de donner des repères précis aux élèves. Invention de la modernité, avec l’impressionnisme, naissance de l’art contemporain avec l’abstraction et enfin, l’art en Révolution où manquent toutefois le futurisme et le constructivisme. La culture de Weimar dont on connait l’importance est très heureusement traitée mais paradoxalement on n’y trouve pas de références au cinéma, et notamment à l’expressionnisme.
Le chapitre 10 traite de la domination coloniale et ici aussi on appréciera l’ouverture par des repères cartographique dont, et c’est une excellent chose, deux cartes de l’Empire russe et sa constitution et une présentation du Proche Orient de la fin de l’Empire ottoman et de l’Entre-deux guerres qui est souvent absente des autres manuels. On est souvent gêné de cette absence lorsque l’on souhaite décrypter, souvent à la demande des élèves, les origines des conflits au Proche-Orient.
De façon surprenante par contre la colonisation allemande est très peu évoquée, ce qui est étonnant pour un manuel d’histoire franco-allemand.
La cinquième partie de l’ouvrage est évidemment la plus facile à traiter dans l’esprit de ce manuel. La première guerre mondiale se prête bien à ces regards croisés et opposés évidemment. le contenu ne fait pas référence à cette « mode » franco-française qui préside à la démarche des historiens du mémorial de Péronne, à savoir la « brutalisation » qui laisse sceptiques bien des professeurs de terrain.
Les mutineries souvent traités de façon superficielle depuis quelques années sont évoquées, sans doute rapidement mais explicitement dans « les crises de l’année 17 ».
La « culture de guerre » permet d’opposer les regards croisés, franco-allemands pendant cette période.
Dans le 12e chapitre «sortir de la guerre», on aurait pu sans doute développer une partie sur le «temps des révolutions», ce qui aurait permis de traiter la Révolution Russe, et pas «Les révolutions», ce qui est un non-sens historique pour définir le processus continu de l’année 17 à la fin de la guerre civile, et la Révolution allemande et même européenne si l’on fait référence aux tentatives révolutionnaires qui échouent entre 1919 et 1920.
Du coup, dans la partie suivante -6- , et cela est vrai pour la plupart des manuels car les programmes sont de ce point de vue mal conçus, le stalinisme est présenté comme apparaissant par génération spontanée. Dans ce manuel et très opportunément par contre, les élèves disposent page 278 d’une présentation du passage de la NEP au socialisme dans un seul pays permettant d’expliquer et de comprendre l’ascension de Staline.
La partie 6 démocratie et régimes totalitaires dans l’entre deux guerres est très riche. On ne se limite pas dans le contenu à une juxtaposition de coups de projecteurs sur le Fascisme, le Stalinisme et le Nazisme mais au contraire, cette partie qui s’ouvre par la « crise des démocraties libérales » et pas seulement dans les « grands pays », puisque la Pologne est citée, permet de comprendre vraiment cette évolution d’une partie de l’Europe vers des régimes autoritaires dont les régimes totalitaires sont les plus aboutis.
Cela permet de monter à partir de la crise de Weimar et celle des années trente en France comment et pourquoi les deux pays ont eu des évolutions différentes. Les regards d’historiens permettent aussi d’initier les élèves mais aussi sans doute des étudiants d’histoire de première année, à l’analyse des phénomènes historiques. (P. 274)
La septième partie est consacrée à la seconde guerre mondiale, un chapitre qui arrive en fin d’année et qui est souvent le parent pauvre car largement amputé par les contraintes administratives et d’organisation des examens et autres.
Le traitement en est très classique et on reste un peu sur sa faim à propos des documents allemands peu nombreux même si les résistances allemandes à Hitler sont l’objet d’un dossier. De la même façon, l’annexion de l’Alsace Moselle entre 1940 et 1944 permet de faire comprendre comment les nazis concevaient la nouvelle carte de l’Europe dans le Reich de mille ans.
Le dernier chapitre est également très original car il est traité sous l’angle de la longue durée. 1815 – 1945 L’Europe et ses nations, conflits et défis.
L’idée européenne au XIXe siècle et le développement sur identité nationale et conscience européenne sont des parties très pertinentes de l’ouvrage.
À la question que l’on se posait au début, « ce manuel est utilisable dans des classes traditionnelles ? », je serai tenté de répondre par l’affirmative. L’ouvrage introduit des éléments de rupture par rapport à une évolution antérieure dont de nombreux professeurs avaient souligné les dangers et les limites. ( Déficit de chronologie, juxtaposition pointilliste de temps forts, concepts hasardeux comme la brutalisation).
Au delà des débats de fond, la présentation est riche de dossiers et de parties méthodologiques parfaitement utilisables en classe même si le niveau est élevé. Il est préférable donc d’avoir de « bonnes classes » pour en exploiter le potentiel.
Souvent critiqués les manuels sont souvent négligés à la fois parles élèves qui rechignent à le transporter et à s’y référer et aussi hélas par leurs maîtres qui n’en utilisent pas forcément toutes les potentialités. Il faut espérer que cet ouvrage sera retenu au delà des classes européennes pour lesquelles il est explicitement recommandé mais on ne peut qu’être séduit par l’idée de relever ce défi dans des classes traditionnelles.
L’ouverture au monde et aux autres cultures peut passer par d’autres vecteurs que les TICE sans compter le fait que l’histoire doit s’affirmer en tant que telle comme discipline scientifique et de formation.
Puissent cet ouvrage et la démarche continue que nous entreprenons ici y contribuer !
Bruno Modica © Clionautes