Parmi les découvertes que les cadeaux de Noël permettent, il convient de signaler l’œuvre du scénariste Corbeyran à nos lecteurs. Publié aux éditions Glénat,  Corbeyran intervient dans des registres très variés. La science fiction, l’anticipation, le fantastique, lui ont permis de se faire connaître, mais c’est sans doute cette grande saga sur le monde du vin qui retenu notre attention. En l’état actuel ce sont 12 albums qui sont consacrés à cet univers très particulier.


Huit albums sont consacrés au vignoble bordelais, mais c’est pourtant l’univers de la vigne en Toscane qui est au centre de ces deux volumes illustrés par Luca Malisan.
Comme souvent dans le monde de la viticulture, on retrouve une saga familiale, avec ses secrets, parfois enfouis. Mais ce qui est significatif dans ce scénario, c’est la volonté de faire connaître lecteurs toute la dimension technique qui accompagne l’élaboration d’un grand vin.
Les personnages se battent contre les maladies qui attaquent la vigne. La cidadelle, la pourriture grise, le mildiou, l’oïdium, sont les ennemis du vigneron. Mais une fois la récolte dans les cuves, un autre combat commence, celui du suivi des deux fermentations, l’alcoolique et la malolactique, le suivi des températures étant également essentiel. L’environnement doit être impeccable et c’est bien celui qui permet à un grand vin de parvenir jusqu’aux verres des dégustateurs.
Dans cette série à deux épisodes, le scénariste évoque l’opposition entre « les faiseurs de vin » qui s’adaptent au marché avec comme préoccupation le profit, et une jeune femme qui a décidé de s’engager dans l’agriculture raisonnée, en utilisant des procédés traditionnels, en limitant les pesticides et autres produits phytosanitaires issus de l’industrie chimique.
Petit clin d’œil avec l’actualité, l’usage des désherbants, et notamment le fameux glyphosate est évoqué. On apprend au passage que si quatre interventions sont suffisantes en utilisant cet herbicide, il en faut au moins le double pour pouvoir s’en passer. Cela suppose une intervention mécanique, avec un labour superficiel, pour limiter la prolifération des mauvaises herbes.


On suit donc avec beaucoup d’intérêt les aventures de Lionello et de Tessa, vignerons en Toscane, qui s’opposent violemment. De sombres secrets sont à l’origine de cette dispute familiale, même si Charles, chef de culture dans le bordelais, cherche à réconcilier le frère et la sœur.
On suit également avec beaucoup d’intérêt les exigences du marché du vin bio. On se rend compte d’ailleurs que dans ce domaine il reste beaucoup à faire, car la précision des analyses permet de détecter la moindre trace de produits chimiques présents dans l’environnement, lors de l’élaboration du vin.
Luca Malisan, le dessinateur, accompagné du coloriste Paulo Francescutto, parvient à donner une grande précision en cet univers que l’on ne connaît bien que si l’on est, c’est évidemment mon cas, familier du monde de la viticulture. Cet univers particulier est bien différent du reste du monde agricole, car aujourd’hui le vin n’est pas un produit « vital », indispensable à l’alimentation. Il a pu faire partie du bol alimentaire au moment de la révolution industrielle, apportant aux ouvriers un complément énergétique en raison du sucre et des calories qu’il contient. Mais on ne recherche pas alors la complexité aromatique de ce qui est devenu aujourd’hui « le vin plaisir ».
Ce n’est plus le cas aujourd’hui, et cela se traduit d’ailleurs par une baisse de la consommation de vin « de table », comme celui que l’on mettait à la disposition dans les cantines scolaires jusque dans les années 70.
Ce est également l’occasion de découvrir les liens qui peuvent exister entre les vins de toscane avec leurs cépages particuliers comme le sangiero et les bordelais, comme le Merlot et le Cabernet franc et bien d’autres. Il faut noter au passage, malgré la mode solidement installée désormais, des vins de cépage, que c’est évidemment l’assemblage, chaque fois réinventé qui permet l’élaboration d’un grand vin. Un des mérites de cette série documentaire ce qui montre aussi la réalité de ce qu’est le monde de la viticulture, et notamment la sophistication technique de plus en plus utilisée. Des sondes thermiques, reliées à des serveurs permettent de contrôler les températures au moment de la vinification, sur l’ensemble de la cuve. Cela permet de développer des arômes et par les choix qui sont opérés d’exprimer la personnalité du cépage mais aussi celui transmis par le terroir.
On aurait envie de conseiller ses ouvrages à des géographes qui parlent de moins en moins souvent de terroirs en les qualifiant d’espaces productifs, pour reprendre l’expression à la mode. Un terroir c’est ce qui est formé par le travail des hommes associés à un paysage, et la vigne est sans doute ce qui en traduit le plus l’expression, en raison de la complexité, des secrets que l’on n’a pas encore percés, de cette ronce domestiquée, la vitis vinifera. In vino veritas assurément, mais où se trouve la vérité derrière tous ses mystères ?

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Bruno Modica, pour Les Clionautes