A l’occasion du trentième anniversaire de la Révolution islamique en Iran, Arte Vidéo édite le DVD Iran, une puissance dévoilée qui propose d’éclairer un siècle d’histoire mouvementée de l’Iran. Le film écrit par Jean-François Colosimo, professeur de philosophie et de théologie byzantine à l’Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge et réalisé par Jean-Michel Vecchiet est découpé en 20 chapitres (intro, 1905, 1908, 1921, 1933, 1940, 1941, 1951, 1959, 1961, 1967, 1971, 1973, 1974, 1978, 1979, 1980, 1989, 2001, 2003) ce qui rend son utilisation aisée.

Par Marie-Anne Vandroy

Ce documentaire de 90 mn s’appuie sur des documents d’archives et des documents d’époque habilement exploités et souvent originaux, ainsi que sur les récits de témoins. De l’ancien Président de la République, A. Rafsandjani, en passant par les anciens membres des gouvernements iranien et étrangers, les responsables de la CIA ou du Mossad ou tout simplement en conviant des acteurs de la vie civile et des Iraniens ordinaires, il propose une analyse nuancée et complète des évènements, en donnant la parole aux Iraniens. La narration chronologique découpée en années clef reconstitue, sans parti pris, ces cent ans d’histoire. Fait exceptionnel, les autorités iraniennes ont accordé pour ce film une autorisation de tournage sur le territoire iranien. Les entretiens avec les personnalités de 1er rang ont ainsi été réalisés à Téhéran et Qom.
« Depuis 1979, l’Iran a embrasé l’islam et enflammé le Moyen-Orient. Il a défié l’Amérique, menacé l’Europe et contesté l’ordre mondial. Depuis la Révolution islamique, l’Iran fait peur. Pourtant, la guerre entre l’Iran et les grands empires dure depuis cent ans. C’est une guerre qui a pour enjeu le pétrole et le nucléaire » (introduction).

Le fil directeur de ce documentaire est double :
– Éclairer les relations complexes entretenues par le pays avec l’Occident
– Analyser les remous et soubresauts internes qui le secouent régulièrement
Avec beaucoup de clarté, servi par un commentaire où de nombreuses formules font mouche, les difficultés de l’Iran, pris dans la toile de ses contradictions, sont pointées : entre découverte du pétrole et acquisition du nucléaire, entre volonté d’ouverture et de modernisation et repli et réveil chiite, entre domination étrangère et désir d’indépendance, entre Orient et Occident.
Le pétrole est le fil rouge de cette histoire tourmentée. La découverte des gisements et leur exploitation sont synonymes de domination étrangère, britannique d’abord, américaine ensuite. Il est aussi l’acteur essentiel de l’affirmation d’un nationalisme visant à rétablir la grandeur et l’indépendance passées comme le montre le rôle joué par le Shah lors du choc pétrolier de 1973. L’Iran, du fait de ses réserves et de sa position stratégique, est au cœur de toutes les convoitises et de tous les enjeux géopolitiques.

De nombreuses séquences peuvent être exploitées dans le cadre de nos enseignements.
– L’Iran est un carrefour d’influences pour les puissances colonisatrices et impérialistes. L’ère du colonialisme et du néocolonialisme correspond aux jeux des puissances autour de la découverte du pétrole. Ainsi l’appropriation de l’hydrocarbure et la mainmise étrangère, dès 1908, avec la création de l’Anglo Persan Oil Company peuvent constituer un exemple original à exploiter dans le cours sur la colonisation (ch. 3 et 5 d’une durée de 10 mn environ).
L’Iran est au cœur des enjeux internationaux et est un des théâtres de la guerre froide. L’étude de la constitution des blocs peut être menée à partir des chapitres 9 et 10 : signature du pacte de Bagdad, envoi de conseillers militaires américains, achat massif d’armement aux Etats-Unis. L’Iran devient le bras armé de l’Occident en Orient.
L’exploitation du coup d’Etat orchestré par la CIA contre Mossadegh et la réinstallation par les Américains du Shah Reza Pahlavi constitue un excellent modèle pour montrer la politique d’ingérence américaine dans les affaires intérieures et un procédé, de nombreuses fois réutilisé dans le cadre de la guerre froide, celui du coup d’Etat (chapitre 8 – 15 mn).
Le thème de l’islamisme et du terrorisme trouvera une illustration claire dans les chapitres 16 à 20. L’Iran est au centre de l’islamisme politique et de la contestation de l’ordre mondial dominé par les États-Unis. L’analyse et les images de la prise d’otages à l’ambassade américaine sont à cet égard éloquentes (ch. 16).

Le film permet également de comprendre la complexité de ce pays, le premier du Moyen-Orient à se doter d’une constitution et d’un parlement, dont les gouvernements affichent très tôt leur volonté d’ouverture et de modernisation comme le montrent l’interdiction du port du voile ou la promotion de l’éducation laïque par Reza Khan (1925-1941). Ces tentatives rencontrent l’hostilité des religieux chiites longtemps écartés du pouvoir.
L’analyse de l’arrivée au pouvoir de Khomeiny est passionnante (ch. 15). Loin du manichéisme habituel, il montre le rôle joué, dans un premier temps, par les étudiants dans le renversement du Shah, révolution « kidnappée » par la suite par les mollahs. Khomeiny apparaît comme le fossoyeur d’un régime autocratique, autoritaire et honni. Khomeiny, c’est d’abord la fin du despotisme. Les images de son arrivée sur le territoire montrent l’enthousiasme des premiers temps, relayé par les Occidentaux qui ont voulu voir en lui un « gentil gourou ».
Le film montre également comment, à partir de 1979, l’Iran est victime de l’opprobre occidentale. Lors de la guerre contre l’Irak « nous étions seuls » comme le dit dans un demi-sourire éloquent H. Rafsandjani. Et ce malentendu et cette incompréhension perdurent. En 2001, quand les États-Unis sont touchés dans le cœur par les attentats du 11 septembre, M. Khatami fait un communiqué public sans appel condamnant les terroristes (n’oublions que la mouvance Al Qaïda est sunnite …) tandis que, spontanément, les Iraniens descendent dans les rues apporter leur soutien et témoigner de leur compassion et leur émotion au peuple américain. Cela n’empêche pas Georges Bush de déclarer l’Iran au cœur de « l’Axe du Mal ».
Entre l’Occident et l’Iran, c’est l’histoire d’un tango raté selon l’expression de François Nicoullaud, ambassadeur de France en Iran de 2001 à 2005.

Voilà un documentaire passionnant, essentiel et incontournable pour comprendre et surtout faire évoluer les mentalités. Noter en bonus, le Dessous des Cartes sur la Géopolitique du chiisme.

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