Film de Wajda sur le crime soviétique de Katyn en 1940.
Film historique majeur de l’année 2009, Katyn a subi une sortie escamotée sur les écrans de cinéma français. L’édition en DVD de cette fiction documentaire poignante et prenante est donc une excellente opportunité pour découvrir le film le plus intime du grand cinéaste polonais Andrzej Wajda, particulièrement impliqué dans son sujet. En effet son père, le capitaine de réserve Jakub Wajda, figurait parmi les victimes du crime soviétique de 1940. Piété filiale et hommage patriotique irriguent donc cette puissante oeuvre mémorielle. On y plonge dans une tragédie nationale fondatrice, occultée durant plusieurs décennies par le négationnisme soviétique. Crime d’État redoublé par un mensonge d’État, le nom de Katyn est ainsi devenu un des symboles les plus fameux de la barbarie stalinienne.

Un traumatisme majeur de la mémoire polonaise

En avril 1940, ce sont 14 000 représentants de l’élite polonaise, officiers prisonniers de guerre, mais aussi fonctionnaires et intellectuels arrêtés lors de l’invasion soviétique de 1939, qui sont assassinés dans l’ouest de la Russie sur ordre du Politburo. Ce véritable génocide des élites a pour finalité la liquidation d’«ennemis du peuple» jugés idéologiquement irrécupérables. Puis, au printemps 1943, les troupes allemands mettent au jour dans un ancien camp du NKVD, situé dans la forêt de Katyn, un vaste charnier contenant 4400 corps d’officiers polonais empilés dans plusieurs fosses, vestiges partiels de ce grand massacre. Radio-Berlin rend la découverte publique le 13 avril 1943 en accusant les Soviétiques du forfait, et en fait un thème majeur de propagande. Dès la reconquête de la région par l’Armée Rouge, les Soviétiques orchestrent en contre-feu une vérité officielle attribuant le massacre aux nazis. Ils vont même jusqu’à tenter vainement de faire valider cette version au Procès de Nuremberg. Imposture évidente à laquelle personne n’adhérait sincèrement, ce dogme historique perdura pourtant presque jusqu’à la fin de l’URSS : il fallut attendre le contexte de la Glasnost pour que Mikhaïl Gorbatchev reconnaisse pour la première fois officiellement la responsabilité du NKVD en 1990.

Pour donner âme à cette tragédie, Wajda choisit pour protagonistes une poignée de captifs emblématiques : un général, un capitaine de cavalerie, un jeune lieutenant pilote, internés ensemble au camp de Kozielsk et emmenés à Katyn dans le même convoi vers la mort. Débutant avec la défaite et la capture en 1939, le film suit d’un double regard, en parallèle, leur destinée, dont ils ignorent l’issue fatale presque jusqu’au dernier instant, et la souffrance de leurs familles, qui passent de l’attente à l’angoisse, et de la prise de conscience de la tragédie au deuil inexprimable, dans une Pologne asservie par l’URSS où s’impose la version mensongère du soi-disant crime nazi. Si les plus réalistes adhèrent, par résignation, à cette imposture, d’autres, en revanche, payent cher le prix de leur attachement à la vérité.

Le déroulement de l’intrigue se polarisant sur le face-à-face entre Polonais et Soviétiques, l’occupation allemande est donc peu présente, sans être occultée : le père du capitaine, universitaire de la célèbre Université Jagellonne, est assassiné par les nazis, qui tentent par ailleurs d’instrumentaliser la veuve du général pour leur propagande sur le crime de Katyn. Dans cette trame qui mène de 1939 à la Pologne soviétisée de l’après-guerre, une ellipse scénaristique diffère jusqu’aux dernières minutes du film la scène de la mise à mort. Cette construction met parfaitement en relief la tombée dans le gouffre de l’inconnu qui en résulte pour les proches, transis entre angoisse de l’incertitude et impossibilité du deuil, et condamnés à l’attente et au silence. La scène horrible du meurtre collectif des officiers polonais par les séides du NKVD est l’ultime séquence du film. Wajda imprime à ce dénouement accablant une bestialité crue (conforme aux conclusions des fouilles et des autopsies) qui donne à la matérialisation du meurtre, selon un processus à la fois bureaucratique et fonctionnel qui n’est pas sans points de comparaison avec les meurtres de masse nazis, une force abominable. Les regards ouest-européens peuvent sans doute être troublés par ce prisme particulier, caractéristique du point de vue polonais, mais il serait abusif de récuser la sincérité de cette approche qui met en parallèle, et en équivalence, les oppressions nazie et soviétique.

Un DVD riche en suppléments

Sur le plan technique, le DVD offre le choix entre VO et VF, mais souffre en revanche du petit désagrément d’un sous-titrage français inamovible. Choix du réalisateur, l’insertion d’images d’archives en noir et blanc dans le film de Wajda est fluide et judicieuse. Quatre suppléments enrichissent le DVD :

Entre propagande et désinformation, les archives nazies et soviétiques consacrées à Katyn (17 mn) : utile à une pédagogie de la propagande par les médias, cette séquence juxtapose les versions vertigineusement contradictoires de la tragédie de Katyn présentées par les actualités d’époque : le reportage allemand sur la découverte du site en 1943 et la “contre-enquête” soviétique de 1944 imputant le massacre aux «monstres nazis». Cependant, la forte présence des cadavres momifiés à l’écran appelle des précautions à l’égard du jeune public.

Post mortem, entretien avec Andrzej Wajda (49 mn) : séquence proposant une rencontre sous-titrée avec le cinéaste. Il y formule une réflexion intéressante sur la genèse du projet, et sur sa réception par le public et notamment la jeunesse polonaise.

Le martyrologe polonais, entretien avec Alexandra Viatteau (12 mn). Historienne spécialiste de la Pologne communisteet auteur d’une synthèse récente consacrée à Katyn : la vérité sur un crime de guerre (André Versaille éditeur, 2009)., Alexandra Viatteau propose un rapide éclairage sur le cinéma historique de Wajda et sur ce que l’on savait de Katyn en Pologne et en Occident avant la chute du Mur.

Un grand témoin, Joseph Czapski raconte Katyn (26 mn) : officier de réserve capturé par les Soviétiques en 1939, l’écrivain et artiste Joseph Czapski fut un des rares miraculés à échapper à l’ordre d’extermination des élites polonaises captives. Réfugié en France après 1945, il y est mort en 1993. Il est l’auteur d’un poignant témoignage sur sa captivité en URSS, intitulé Souvenirs de Starobielsk (1987). L’entretien radiophonique proposé date de 1979. En dépit de son titre, le propos ne traite que partiellement de Katyn et brosse plus largement l’épopée de l’armée Anders, à laquelle Czapski a appartenu, puis évoque la Pologne en exil. Il y fait notamment le récit de sa vaine mission de recherche des disparus polonais en URSS, lors de la constitution de l’armée Anders en 1941.

© Guillaume Lévêque

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