Quand l’humour médiéval rencontre une réflexion historique bien plus fine qu’il n’y paraît…
Avec Knight Club, Arthur de Pins – que beaucoup connaissent pour Zombillénium, Péchés mignons ou La Marche du Crabe – se lance dans un projet ambitieux : un roman graphique historique en deux volumes, mêlant humour, aventure et réflexion. Le cadre choisi surprend et intrigue : la Terre sainte au XIIᵉ siècle, au temps des croisades. Mais fidèle à sa patte, de Pins ne se contente pas de raconter une énième épopée guerrière : il propose une fresque humaine pleine d’ironie, de décalage, mais aussi de pertinence historique.
Le pari est risqué : faire rire avec un contexte marqué par la violence, le fanatisme et les confrontations culturelles. Pourtant, dès les premières pages, on comprend que l’objectif n’est pas la parodie gratuite, mais une comédie intelligente qui interroge autant qu’elle divertit.
Résumé
Nous suivons Séraphine, forgeronne talentueuse, personnage central et étonnamment moderne par sa détermination et sa liberté d’esprit. Son village, déjà pillé par les croisés, risque une nouvelle attaque. Elle décide alors de partir réunir une équipe de guerriers capable de le défendre. Direction Jérusalem pour un “casting” complètement improbable, entre sélection façon épreuve d’aventure, discussions absurdes et rencontres explosives.
Ce qui fait le sel du récit, c’est la composition de cette troupe :
• des combattants venus d’horizons divers,
• porteurs d’identités religieuses, culturelles et sociales variées,
• qui doivent apprendre à coopérer malgré leurs préjugés.
Les tensions internes sont permanentes : malentendus culturels, divergences stratégiques, ego encombrants… mais aussi moments de camaraderie inattendus. On rit souvent, mais derrière la farce, le livre rappelle une vérité très actuelle : avant d’affronter l’ennemi, il faut apprendre à vivre ensemble.
Un fond historique à la fois documenté et accessible
Il serait tentant de croire que l’humour gomme l’Histoire. C’est tout l’inverse.
Arthur de Pins s’appuie sur un cadre solidement construit :
• le contexte des croisades est clairement posé : rivalités religieuses, enjeux de pouvoir, violence ordinaire des campagnes militaires ;
• la BD évoque la complexité des contacts entre civilisations : échanges culturels, coexistence difficile, incompréhensions, mais aussi hybridations inattendues ;
• le quotidien médiéval est rendu avec précision : climat, armes, équipements, organisation militaire, conditions de vie sous un soleil écrasant… et cette armure qui devient presque un personnage comique à elle seule.
Ce fond historique, sans être pesant, donne de la crédibilité au récit. On sent le travail de recherche, même si tout est traité par le prisme de la comédie. Pour des enseignants, c’est particulièrement appréciable : on rit, certes, mais sans perdre de vue le contexte.
Des choix graphiques très forts… et très efficaces
Arthur de Pins reste fidèle à son style : lignes claires, personnages expressifs, dynamisme constant, hérités de l’animation. C’est fluide, lisible, très rythmé. Le découpage met en valeur les scènes d’action autant que les dialogues ciselés. On passe d’un gag visuel à une tension dramatique avec une aisance impressionnante.
Le contraste entre :
• la gravité du cadre historique,
• et la modernité graphique, presque pop,
fonctionne étonnamment bien. Il crée une distance qui permet de rire sans désinvolture et d’aborder un sujet complexe sans sombrer dans le didactisme.
Le groupe de personnages est visuellement très différencié, ce qui aide à suivre leurs interactions et à mémoriser leurs identités. Quant aux paysages, ils participent pleinement à l’ambiance : chaleur, poussière, immensité… la Terre sainte devient un décor vivant.
Un véritable outil pédagogique pour le collège et le lycée
À première vue, on a affaire à une BD “divertissante”. En réalité, Knight Club peut devenir un support pédagogique particulièrement riche.
Au collège
• Il peut accompagner l’étude des croisades, en donnant chair aux notions : diversité des acteurs, rapports entre populations, violence des conflits.
• Il offre une entrée culturelle et humaine sur les contacts entre l’Occident latin et le Proche-Orient médiéval.
• Il permet de travailler l’esprit critique : distinguer humour, fiction et réalité historique.
Au lycée
• Il ouvre sur les thèmes des représentations, des stéréotypes, des identités.
• Il peut nourrir une réflexion sur le vivre-ensemble, la tolérance, les conflits culturels, les mécanismes de domination.
• Il s’inscrit parfaitement dans des démarches interdisciplinaires, notamment en EMC, français ou enseignements artistiques.
En classe, c’est aussi un formidable levier de motivation : le ton accroche immédiatement les élèves tout en leur donnant des clés de compréhension historiques.
Conclusion
J’ai refermé Knight Club avec le sourire… mais aussi avec la conviction que cette œuvre va bien au-delà du simple divertissement. Arthur de Pins réussit une alchimie rare : raconter une époque dure et complexe, sans l’édulcorer, tout en proposant une lecture jubilatoire, fluide et intelligente.
Cette BD rappelle qu’on peut enseigner l’Histoire autrement, par l’humour, par la fiction bien écrite, par des personnages attachants. Elle invite à réfléchir aux croisades, mais aussi, plus largement, à notre rapport à l’Autre, aux préjugés et aux alliances improbables qui peuvent sauver.
Un album que je conseillerais volontiers à des collègues… et que je n’hésiterai pas à mettre entre les mains de mes élèves.




