Pour le grand public, la vie de Vincent van Gogh semble commencer par sa fin : Auvers-sur-Oise, L’homme à l’oreille coupée, « La nuit étoilée » peinte en 1889 alors que le peintre est interné à Saint-Rémy-de-Provence… Pourtant, Van Gogh a eu une enfance et une entrée dans la vie d’adulte qui vont marquer à jamais son parcours tant comme artiste que comme individu. Dans cette bande dessinée, Sergio Salma (scénario et dessin) et Amelia Navarro (mise en couleur) reviennent précisément sur ce temps de construction de celui qui n’accédera à la notoriété qu’après son décès. 

C’est un autre Vincent qui raconte ce récit d’initiation : le frère décédé un an jour pour jour avant la naissance de celui qui portera à la postérité ce même prénom. Il regarde grandir son homonyme, utilise le « tu » et pose sur lui un regard empli de bienveillance. L’enfance est heureuse dans un univers qui apparaît pourtant sombre. Le père pasteur est rigoureux mais pas rigoriste, la mère aimante, la fratrie s’agrandit au fur et à mesure du temps qui passe. L’enfant parcourt la campagne avoisinante, s’étonne de la beauté des fleurs et du blé mouvant sous le vent.

L’errance formatrice

Que faire de ce jeune garçon de 11 ans peu obéissant à son père et tellement rêveur ? Les deux ans dans un pensionnat protestant sont empreints de tristesse alors direction Tilburg. Là, sous la houlette de Constant Huysman, professeur d’art et parfait pédagogue, Vincent apprend la technique picturale et se forge une culture artistique. Mais c’est encore un nouvel échec! Il faut repartir plus loin de la maison et surtout de Théo le frère chéri. Accueilli chez un oncle marchand d’art, Vincent arpente la ville, visite les musées et rencontre les plus grands artistes de l’école de La Haye. Sa grande connaissance de l’art et sa réputation de critique – parfois acerbe – l’introduisent dans ce milieu.

Envoyé à Londres à l’âge de 20 ans, si le travail est le même qu’à La Haye, les conditions de vie sont différentes. Le jeune homme parcourt la plus grande ville d’Europe, visite les immenses musées de la capitale, envoie des croquis à Théo et s’éprend, en vain, d’Eugénie.

« Ma vie a sombré quand j’avais vingt ans« 

Une simple phrase extraite de la longue correspondance de Vincent à Théo résume son état d’esprit. Les voyages s’enchaînent au gré des déceptions : retour au domicile familial puis Paris et à nouveau Londres pour rejoindre une succursale de son employeur. L’art y est une marchandise et les clients sont sans goût selon l’intransigeant employé qui finit par être renvoyé.

À 23 ans, Vincent est convaincu d’avoir trouvé sa voie : devenir missionnaire auprès des plus pauvres. La religion est une échappatoire à la tristesse et l’errance. Là aussi, nouvel échec. Malgré un précepteur qui devient son ami, son assiduité à tous les offices, les longues d’étude, rien n’y fait. Dehors, il y a la ville, l’art y est partout et la soif de liberté plus grande que la vocation. Vincent ne sera pas pasteur comme son père.

« Une mélancolie active »

Une dernière phase de la jeunesse de Vincent van Gogh commence alors qu’il a 25 ans auprès des plus pauvres. Poursuivant une démarche religieuse, il s’installe dans la région du Borinage sur la frontière franco-belge parmi les charbonniers qui exploitent la terre et en meurent d’un coup de grisou. Le froid, la misère, la souffrance composent un nouveau décor. Ses parents, Théo, des amis continuent d’envoyer argent et couleurs avant qu’un jour Vincent ne devienne enfin van Gogh.

Un train, encore ! Celui qui ramène la lumière dans l’esprit de Vincent. En 1880, sa décision est prise : il sera artiste. Il ne lui reste 10 ans pour préparer son entrée dans la postérité.

Le magnifique album de Sergio Salma s’ouvre et se referme sur le succès contemporain de Vincent Van Gogh, cet homme dont la jeunesse méconnue a forgé la vie et l’oeuvre. « Vincent avant van Gogh » est aussi une porte pour mieux percevoir une époque et une société entrées dans les livres d’histoire.