CR par Stéphane Moronval, professeur-documentaliste au collège de Moreuil (80)

Les lecteurs réguliers de la Cliothèque, tout au moins ceux qui s’intéressent à l’histoire militaire antique, connaissent probablement assez bien la récente collection Illustoria de Lemme edit (anciennement les éditions Maison), dont les publications font maintenant l’objet de compte-rendus réguliers. Ces publications s’enchaînent à un rythme soutenu ; tellement soutenu qu’on excusera peut-être l’auteur de ces lignes d’avoir pris la liberté de traiter de façon parallèle les deux dernières, au prix de quelques répétitions. Il faut dire aussi que les thèmes abordés ne sont pas si éloignés l’un de l’autre, puisqu’ils concernent tous deux des aspects de ces « âges sombres » qui virent le déclin du vieil Empire romain et l’émergence des structures nouvelles sur lesquelles allait s’organiser le Haut Moyen-Age ; âges méconnus, et donc propices à toutes les réécritures, n’évitant pas toujours les pièges du manichéisme ou de la mythification.

Sur les traces d’Attila

C’est ainsi qu’Iaroslav Lebedynsky s’intéresse à la campagne d’Attila en Gaule, en 451 ap.J.-C. ; campagne dont le retentissement fut grand auprès des contemporains et dans l’historiographie ultérieure, contribuant à un certain « brouillage » de l’événement auquel l’auteur se propose de mettre fin en se plaçant au plus près des sources, quasiment intégralement écrites. I.Lebedynsky, historien prolifique spécialiste des peuples de la steppe (qui a déjà fourni à Illustoria un excellent titre, au compte-rendu duquel on renverra ici : http://clio-cr.clionautes.org/spip.php?article2927) connaît bien son sujet, qu’il a abordé dans un ouvrage plus largement consacré au « Fléau de Dieu », rédigé avec K.Escher et qui fait aujourd’hui figure de référence sur le sujet dans l’édition francophone (Le dossier Attila, Errance, 2007). Son texte, très maîtrisé tout en restant d’une lecture aisée, utilise logiquement l’usuelle division en quatre chapitres de la collection. Le premier s’attache à rappeler la nature réelle des enjeux et des acteurs des événements de 451. On y trouvera, avec une présentation synthétique des autres puissances de l’époque (Empire romain bien sûr, Perses et Vandales installés en Afrique du nord) un tableau dépassionné de l’Empire des Huns, immense mais récent (Attila apparaissant cependant plus comme un héritier qu’un fondateur), hétérogène et de caractère parasitaire. Les relations entre Huns et Romains sont d’abord fluctuentes ; puis le raidissement de la position des deux parties de l’Empire romain à l’égard d’Attila, cristallisé par la tentative d’Honoria, sœur rétive du souverain d’Occident, de se lier à lui, conduit à la rupture en 450. Le Hun s’attache alors à préparer une nouvelle offensive, diplomatiquement et militairement. Outre une discussion raisonnée sur les probables buts de guerre d’Attila, ce deuxième chapitre est aussi l’occasion pour l’auteur d’étudier les différents aspects de la puissance militaire hunnique ; étude assez courte vu le format de la collection (et encore y sacrifie t-il celle des armées romaines contemporaines, largement développée dans quelques récents et très bons ouvrages francophones), mais indéniablement intéressante. Sont alors reconstituées les grandes lignes de la campagne qui s’ensuit en Gaule, dont certaines parties sont déjà occupées par des peuples barbares, avec l’aval plus ou moins contraint de Rome (3ème chapitre). Mayence, Trêves, Metz, Reims, autant de probables sanglantes étapes sur la route des envahisseurs, tandis que le patrice Aetius, homme fort de l’Occident romain, rassemble fébrilement une coalition de tous ceux que l’avance des Huns menace ; parmi eux, les puissants Wisigoths installés en Aquitaine. Mis en échec devant Orléans, Attila recule jusqu’aux fameux « Champs catalauniques » ou site de Mauriacus, que l’auteur localise à quelques km à l’ouest de Troyes. C’est là qu’a lieu l’affrontement décisif étudié dans le 4ème chapitre. Les combats sont sanglants, confus ; finalement battus par les forces hétéroclites d’Aetius, mais quelque peu ménagés par sa duplicité, les Huns évacuent la Gaule. La mort d’Attila, deux ans plus tard, entraîne l’écroulement de leur empire.

Des Huns pas forcément pires que les autres

Une nouvelle fois, l’auteur livre un volume particulièrement réussi : appuyé sur son excellente connaissance des sources et une bibliographie fournie, I.Lebedynsky donne ici une reconstitution claire et argumentée des faits. Sa méthode et sa rhétorique sont très au point (on renverra ici à titre d’exemples aux discussions sur la réalité des événements d’Orléans, sur la localisation de la bataille finale), et lui permettent de dessiner un tableau crédible et très convaincant, assez éloigné des grands mythes simplistes véhiculés par une partie des écrits qui se sont intéressés au « Fléau de Dieu ». Période de bouleversements d’importance, ce même milieu du Vè s. devait voir l’arrivée des Anglo-Saxons en Grande-Bretagne, évoquée dans un autre ouvrage dû à P.Galliou, venu quasiment simultanément enrichir Illustoria et dont on trouvera donc le compte-rendu dans une autre section de la Cliothèque. Ce fut la première étape d’un processus qui détermina, dans une très large mesure, le paysage linguistique, culturel et politique du pays que nous connaissons aujourd’hui. Comme le souligne I.Lebenynsky dans la conclusion de son étude, les dramatiques événements impliquant les Huns en 451 n’eurent à contrario quasiment aucune conséquence pratique sur l’évolution ultérieure de la Gaule. Et, même si Attila eut été victorieux, l’impact de cette victoire aurait probablement été limité, d’ordre bien plus politique que culturel, et en tout cas bien loin d’un bouleversement total au profit d’une hypothétique « barbarie » asiatico-nomadico-paganiste, dont il est bien trop caricatural de faire du roi des Huns le champion… Sous la plume de l’auteur se perçoivent ainsi l’étonnant contraste entre la portée réelle des faits et la marque indéniable qu’ils laissèrent sur les esprits des contemporains, ainsi que les excès d’une certaine historiographie parfois bien plus influencée par les préoccupations contemporaines de ses rédacteurs que par un souci d’approche rationnelle des événements.

On trouvera par ailleurs dans les annexes habituelles, et particulièrement le cahier d’illustrations, mélangeant superbes photographies d’objets évocateurs de l’époque et des protagonistes, restitutions détaillées, cartes, vues actuelles des lieux ou vestiges évoqués, toutes précisément légendées, un attrait supplémentaire à l’ouvrage.
Sans nul doute, celui-ci, offrant une étude commode et synthétique mais très riche de son sujet, vient brillamment enrichir une collection maintenant arrivée à maturité.

Stéphane Moronval copyright Clionautes.