La parution de cet ouvrage dans la collection « Biographies » de Gallimard fait suite à un constat. Bien que Vercingétorix soit une figure historique importante, « il n’existe aucune biographie […] nourrie du savoir contemporain sur son époque. Il se trouve certes de nombreux essais, plus ou moins biographiques, mais qui ont à peu près tous en commun d’accorder davantage de place à son ennemi romain qu’à lui-même » (p. 17). Jean-Louis Brunaux, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de la Gaule, entend ici pallier ce manque et redonner une épaisseur historique au chef gaulois, au-delà du mythe ou de l’image d’Epinal forgée au XIXe siècle.
L’entreprise est difficile car les sources sont relativement peu nombreuses. Le texte le plus contemporain est l’œuvre de César lui-même. C’est tout le paradoxe de Vercingétorix ; sa mémoire est tributaire de ce que son ennemi a écrit sur lui. Or dans les écrits de César, Vercingétorix n’a pas de personnalité propre. Il est réduit à un rôle de figurant dont l’utilité se résume à mettre en valeur l’action et les qualités du général romain.
Ce paradoxe transparaît inévitablement dans cette biographie. Si Vercingétorix est bien la personnalité centrale, il y est également beaucoup question du général romain auquel son destin était lié et dont il faut sans cesse interpréter les écrits pour s’affranchir du prisme déformant. Pour J.-L. Brunaux, Vercingétorix a incontestablement vécu dans la proximité de César bien avant leur opposition finale. Cette proximité, mentionnée par Dion Cassius, serait liée au statut d’otage qui aurait été celui du futur chef gaulois au début de la Guerre des Gaules. En effet, César avait pour habitude de réclamer des otages parmi les jeunes aristocrates au sein des peuples ou cités avec lesquels il signait un traité. L’âge et le statut de Vercingétorix dans la cité arverne en faisaient un candidat idéal. Vercingétorix aurait ainsi passé plusieurs années dans l’entourage de César et au contact de l’armée romaine dont il aurait ensuite mis à profit sa connaissance du fonctionnement et des stratégies.
L’approche biographique permet de replacer le chef gaulois dans son milieu social et culturel, l’occasion pour J.-L. Brunaux d’évoquer l’organisation politique et les structures sociales de la Gaule. Issu d’une grande famille arverne qui a donné des hommes politiques de premier plan à l’instar de son père Celtill, Vercingétorix est naturellement amené à jouer un rôle important. Mais ce n’est qu’avec l’irruption de César dans les affaires intérieures de la Gaule que son rôle s’accroît, jusqu’à être désigné chef d’une coalition dirigée contre le proconsul. Cette coalition n’est cependant pas celle de toute la Gaule comme on l’a longtemps dit, il existe d’autres tentatives menées par différents chefs qui se sont opposés à César. De même, la défaite d’Alésia ne met pas un point final à la Guerre des Gaules.
La grande réussite de Vercingétorix aura été d’avoir rassemblé autour de lui un grand nombre de peuples, y compris certains alliés traditionnels des Romains comme les Eduens dont le rôle comporte cependant toujours des zones d’ombres. Vercingétorix n’est pas pour autant l’exact pendant de César. Son pouvoir n’est pas de même nature et il ne s’exerce pas de la même façon. L’auteur montre que les décisions de Vercingétorix dépendent largement de ses capacités de négociation avec les autres chefs de la coalition. Des retournements d’alliances sont toujours possibles et certains alliés s’avèrent incertains. La stratégie de Vercingétorix, qui occupe une large place dans l’ouvrage, semble liée à la nature instable de son alliance et César tire remarquablement profit des dissensions entre peuples gaulois et des rivalités entre chefs dont il a parfaitement saisi les enjeux. Pour beaucoup de Gaulois, exercer une domination sur les autres peuples semble plus important que de s’affranchir d’une tutelle romaine sans cesse croissante. Un comportement qui explique l’échec de Vercingétorix et l’intégration de la Gaule dans le monde romain.