C’est dans le cadre de la commémoration du centenaire de la Grande Guerre que la Société d’Histoire et la direction des Archives départementales ont organisé les 19 et 20 mai 2014 un colloque « La Caraïbe et la Grande Guerre »

Des contributeurs et des thèmes résolument variés tels que les parcours des soldats ultramarins, la vie quotidienne dans les colonies des Caraïbes, les monuments aux morts, les enjeux de mémoire, les relations internationales dans une région affectée par le conflit et aussi la valorisation pédagogique et culturelle. Ce colloque a permis de présenter les résultats de recherches récentes qui apportent un nouvel éclairage sur la participation des Guadeloupéens ou des Guyanais au conflit.

Pascale FORESTIER, Professeure d’histoire chargé du service éducatif des Archives départementales de la Guadeloupe pose la question de la citoyenneté en guerre ? Elle rappelle la situation particulière des Antillais au regard du service militaire et les débuts difficiles de l’incorporation, dès avant-guerre, des appelés ultramarins. Dans quelles conditions les soldats guadeloupéens sont-ils partis à la guerre ? Leur statut de soldats citoyens venant d’une colonie éloignée a-t-il suscité un vécu spécifique par rapport aux contingents métropolitains ?
En 26 juin 1912, le député Gratien Candace déclarait à la chambre des députés : « Vous avez fait de nous des citoyens, des Hommes libres. Nous voulons être traités comme de vrais Français ! Nous le serons véritablement que lorsque vous nous aurez associés, avec tous les autres fils de la patrie, à l’œuvre sacrée de la défense nationale.». L’auteure décrit la première incorporation en 1913. L’enthousiasme des politiques pour défendre la patrie n’est pas toujours partagé par la population, ous les hommes convoqués ne se rendent pas au conseil de révision. Une approche statistique et des destins personnels permettent d’aborder la participation des Guadeloupéens au conflit. le parcours des soldats guadeloupéens est décrit avec précisions grâce aux témoignages qui insistent sur les maladies liées au climat de la métropole.
On y découvre également les efforts dès 1915 du service de santé. Les hommes appartenant aux contingents créoles incorporés dans les troupes tant métropolitaines que coloniales sont envoyés pour l’hiver dans des localités abritées de la côte d’Algérie et de Tunisie. Mesures qui n’empêchent pas la surmortalité 46% des morts pour la France par maladies.
l’auteure présente aussi les conséquences en matière démographique et la situation des permissionnaires rarement autorisés à rentrer aux Antilles.

La situation des femmes martiniquaises pendant la Grande Guerre est abordée par Sabine ANDRIVON-MILTON , docteure en histoire et professeure au LPA du Robert, Martinique, Elle traite ici d’un sujet nouveau et de sources rares.
Lors de sa création l’Union des femmes martiniquaises lança un appel à tous les compatriotes en expliquant que son but était d’aider au soulagement des blessés de guerre allait ; elles sollicitaient leurs compatriotes pour des contributions tandis que certaines devenaient marraines de guerre. A ces actions proches des réalités de la métropole, d’autres situations apparaissent : la Martinique voit une augmentation brutale du nombre de reconnaissances d’enfants nés ou à naître (1914 : 467 actes de reconnaissances, 1915 1 582) ce qui permettait aux hommes de retarder le moment de la mobilisation. On peut s’interroger : Comment expliquer que des femmes aient accepté que des hommes, qu’elles connaissaient parfois à peine ou pas du tout, reconnaissent leurs enfants ? C’était une occasion de régulariser les enfants naturels, elles obtenaient éventuellement une contre-partie financière. Devant les difficultés pour les femmes sans emploi de nourrir leurs enfants, questions qui se pose aussi en métropole, le gouvernement avait accordé une allocation qui aux familles ce qui créa une situation paradoxale : la femme se trouve dans une situation de bien-être qu’elle n’aurait jamais rêvée.

Franck KACY Professeur au collège Alexandre Isaac, Les Abymes, doctorant de l’université des Antilles et de la Guyane étudie la situation particulière de Marie-Galante.
L’auteur présente un état précis nominatif des incorporations qui donne chair à la participation des îliens à la guerre puis il pose la question des impacts sur la vie dans une île, située à des milliers de kilomètres des zones de combats et de ses enjeux ?
Souscriptions et fêtes patriotiques mobilisent la population . Ce sont les îles les plus petites qui apparaissaient comme les plus marquées, l’état de guerre accentuait la dépendance et l’isolement de ces territoires.
Paradoxalement c’est surtout à la production de rhum que la guerre faisait la part belle même si la nuptialité comme la natalité furent marquées par le conflit. L’observation menée sur les trois communes de l’île ne laisse aucun doute : l’état de guerre stimule l’augmentation des mariages comme dans la commune de Saint-Louis où on a célébré 56 mariages
L’auteur observe enfin l’après-guerre : retour des rescapés, deuil des disparus dans cette île pauvre, création des associations d’anciens combattants.

Philippe MIOCHE, Professeur d’histoire contemporaine à l’Université Aix-Marseille s’intéresse à l’effort de guerre de L’usine de Beauport (sucre et rfum pour les tranchées) : conditions de travail, approvisionnement et circulation des marchandises et la compare à l’usine Solvay de Salin-de-Giraud (soude pour l’armement) : deux usines soumises à une forte augmentation de la demande.
C’est d’abord une description de l’usine guadeloupéenne et de ses rapports avec la maison mère bordelaise, des relations nouvelles avec les États-Unis pour les fournitures difficiles à recevoir de la métropole. L’auteur aborde aussi la question de la main-d’œuvre et des rapports sociaux en comparant avec la situation en Camargue.
Enfin les évolutions nées de la guerre sont caractérisées par le renforcement du syndicat des fabricants de sucre, la création d’une station agronomique. Les relations avec l’État sont plus tendues du fait de l’intervention sur les prix.

Gérard LAFLEUR, Docteur en histoire moderne et contemporaine se penche sur la presse guadeloupéenne pendant le conflit. Il appuie son enquête principalement sur le Journal Officiel de la Guadeloupe, si la première partie est consacrée aux actes officiels nationaux et locaux la seconde partie est constituée d’articles variés de la vie courante Du fait du décalage temporelle liée à la distance et de la censure C’est plutôt l’évolution de l’opinion publique perçue par les autorités locales qui transparaît. Une partie des articles reste cependant liés à la vie ordinaire : incendies, inondations, l’installation du télégraphe entre Basse-Terre et Pointe-à-Pitre,…
L’auteur analyse comment sont traités les événements de la guerre (entrée en guerre, annonce de l’entrée en guerre des États-Unis, activités diplomatiques comme la réception de Roosevelt en Guadeloupe en 1916), la participation des Guadeloupéens à la guerre (soldats, œuvres sociales dans l’île, sécurité intérieure et grèves) les conséquences économiques locales d’abord favorables puis pénalisantes – cultures, accès aux denrées de première nécessite, déclin du commerce).

Jacqueline ZONZON présente le concours du « Jeune historien guyanais » : « La Guyane et la Grande Guerre, 1914-1918 », organisé par le service éducatif des archives départementales il permet la publication d’un recueil de documents qui a pour objectif de faire comprendre la guerre comme élément d’intégration à la nation française , ce qu’est une guerre mondiale et l’engagement des Guyanais, de repérer l’empreinte laissée par la guerre sur la mémoire des Guyanais. L’auteur décrit avec précision le choix des documents dont elle donne quelques courts extraits et qu’elle met en relation avec les programmes.

Dominique CHATHUANT, notre collègue clionaute présente une contribution sur l’assimilationnisme et la guerre.
Il analyse les divers contacts occasionnés par l’arrivée en Europe des soldats venus des Antilles mais aussi l’arrivée des Américains, blancs et noirs.
Partant de la culture politique assimilationniste des vieilles colonies il la confronte au regard paternaliste des métropolitains, image très différente de la Negro Brute caractérisant la culture américaine. Il s’interroge sur ce que produit la rencontre entre l’assimilationnisme et l’arrivée en France d’hommes porteurs de cette culture et des lois ségrégationnistes dites « Jim Crow ».
L’auteur rappelle le contexte de l’action des élus : Lagrosillière, Candace, Lémery et Henri Bérenger pour l’application aux vieilles colonies de la loi Briand de 1913 qui permet de rendre indissolubles les liens avec la France de 1789 et 1848. Le même constat est possible dans l’empire en AOF avec Blaise Diagne qui permet l’instauration en 1915 de la loi Diagne qui instaure la conscription dans les Quatre communes sénégalaises de pleine citoyenneté. « L’impôt du sang » fonde la revendication égalitaire et la promesse de droits civiques dans une perspective assimilationniste d’une France émancipatrice des peuples coloniaux.
Mais quand les États-Unis entre en guerre, l’assimilationnisme doit se confronter à la perception hostile des lois Jim Crow
Les faits divers des journaux locaux, le fait que des troupes noires américaines soient équipées par la France et les violences de Nantes et Saint-Nazaire montrent les difficultés nées de cette confrontation. Par exemple le commandement américain est choqué de la nonségrégation au mess des officiers.
La note Linard va révéler cette réalité : au moment même où aux Antilles ou dans l’empire français on voit dans la France coloniale une nation émancipatrice, en France on puise dans le registre colonial pour justifier l’inégalité américaine. Dominique Chathuant montre les réactions politiques à cette note
A travers le récit des événements de Saint-Nazaire en 1919 qui opposent soldats américains d’une part et population française et troupes coloniales d’autre part l’auteur décrit le véritable choc culturel tant pour les soldats antillais que pour les soldats américains blancs comme noirs qu’a pu constituer cette expérience française. La mort d’un jeune Guadeloupéen fournit l’occasion de réaffirmer le caractère français des Antilles et de dénoncer les stéréotypes raciaux des Américains.
Si la guerre a permis le renforcement du paradigme assimilationniste, elle échoue à changer le statut civique pour l’Algérie ou l’AOF malgré l’argumentation des parlementaires fondées sur l’impôt du sang.
En annexe le retour sur le monument aux morts de Port-Louis est l’occasion de revenir sur le crime de Saint-Nazaire contre Saint-Éloi Théophile Étilce, son parcours et les honneurs rendus par son inscription sur le monument aux morts montre une reconstruction mémorielle., .

Jacques DUMONT :Professeur à l’université des Antilles et de la Guyane aborde La figure de l’ennemi qui participe pleinement d’un engagement patriotique. La presse locale guadeloupéenne et martiniquaise reproduisant la propagande métropolitaine et construit l’image de l’inhumanité, de la barbarie de l’Allemand.
L’auteur reprend les grandes lignes de la première conscription et la thématique de « l’impôt du sang » qui devient le fondement d’une attente de reconnaissance et de changement statutaire. Pendant le conflit s’exprime le poids de l’éloignement mais dès l’établissement de la censure, la propagande favorisée par la distance et l’absence de contre-informations possibles domine. On assiste à une véritable fabrication58 de l’ennemi : la presse détaille « les atrocités allemandes », déshumanise l’ennemi. La frontière entre civilisé et sauvage qui justifiait la colonisation est remise en question. C’est ce qui contribue aux Antilles au glissement des de la notion même de Civilisation.

Anne LEBEL, Directrice des Archives départementales de la Guadeloupe. Évoque la difficulté de compter les soldats guadeloupéens Morts pour la France depuis les lendemains même du conflit publiés en 1919 et leur utilisation politique par Gratien Candice puis Henry Bérenger qui réaffirme l’ampleur du sacrifice des vieilles colonies pour protéger la mère patrie. Ce n’est qu’en 1963 qu’un nouveau décompte : 1 470 morts pour la Guadeloupe,1 635 pour la Martinique est proposé par Henri Bangou. Les moyens informatiques actuels et le contexte des commémorations a permis de fixer le chiffre pour la Guadeloupe de 1 168 morts pour la France. L’auteur revient sur les enjeux de ces calculs et les difficultés particulières pour les soldats confrontés à un climat si rude qu’il a occasionné beaucoup de morts par maladie et remet en perspective les enjeux mémoriels.

Séverine LABORIE, Chargée d’études documentaires à la Direction des Affaires culturelles de la Guadeloupe.dresse un inventaire des monuments aux morts. Partant de la loi Poincaré et son application en Guadeloupe elle montre le rôle respectif des communes, du gouverneur, de l’Église et présente un certain nombre de monuments notamment la « Douloureuse de la Pointe-à-Pitre » comparé à ceux de Guingamp, Montluçon ou Le Poilu mourant de Petit-Bourg.Description, décor, symbolique, auteur, date et condition de leur réalisation et l’évolution dans le temps sont complétés de quelques clichés photographiques reprenant les grandes catégories d’allégories.

Jacques ADELAÏDE-MERLANDE, président de la société d’histoire de Guadeloupe pose la question la France va-t-elle céder les Antilles aux Etats-Unis d’Amérique en contrepartie de la dette ? La rumeur part de Martinique en janvier 1919
l’auteur analyse le traitement dans la presse, les réactions de l’opinion mais a-t-on réellement envisagé en France une cession des Antilles ?

The First World War and the Decline of US Empire in the Caribbean
Alan McPHERSON, professeur de relations internationales à l’Université d’Oklahoma:
Si La guerre a été une chance diplomatique, financière économique pour les USA en Amérique latine elle a aussi permis une implantation militaire dans en Amérique centrale et dans les Caraïbes. Mais les idées de Wilson dans le règlement du conflit ont encouragé des revendications d’auto-détermination contre l’influence américaine comme à Saint-Domingue ou en Haïti.
Une longue bibliographie complète cet article.

Suivent deux contributions présentées au 46ème colloque de l’Association des Historiens de la Caraïbe : Martinique 11-15 mai 2014

Gusti-Klara GAILLARD-POURCHET : La Première Guerre mondiale et l’influence française en Haïti ? En 1914 la situation en Haïti est troublée par des soulèvements contre un pouvoir central affaibli par des difficultés financières liées à la baisse des cours du café. C’est dans ce contexte que l’influence française décline au profit des États-Unis qui occupe le pays à partir de 1915. C’est à l’étude de ces mécanismes qu’est consacrée cet article : aspects monétaires, diplomatiques, économiques mais aussi culturels. Les 19 ans d’occupation américaine ce sont heurtées à deux réalités bien ancrées : l’usage du français affirmé comme langue officielle dans la constitution de 1918 et la religion catholique

Anne LEBEL déplore le peu de travaux sur l’histoire des soldats guadeloupéens morts pour la France pendant la Première Guerre mondiale. Cet article reprend et complète celui publié dans ce même ouvrage (p. 153-166) sur le décompte des morts et les causes de leur décès durant la Grande Guerre. Il précise les sources disponibles.